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la lanterne de diogène
18 avril 2006

LEONTINE

UNE MATRIONA BOURGUIGNONE

J’ai connu autrefois, au village, une vieille femme à la silhouette frêle.

Elle marchait avec ce port altier propre à ceux qui peuvent aller la tête haute sans avoir à le proclamer. Vêtue d’une longue jupe noire et d’un chandail gris-bleu, coiffée d’un petit chignon poivre et sel, elle serait passée inaperçue, pourtant, tout le monde la connaissait. C’était elle que l’on allait trouver quand on avait besoin de piqûres, quand un enfant avait du mal à l’école, quand on avait un service à demander, quand on appelait au secours. Pour tous, c’était Mademoiselle Léontine.

C’est en 1899 que Léontine voit le jour. Ses parents, Camille et Jules, sont paysans. Ils exploitent une vigne et quelques champs. Elle passe le plus clair de son temps à la ferme comme tous les enfants du village. Elle fréquente l’école communale et s’y montre bonne élève. Très tôt, des nuages viennent assombrir une existence qui aurait pu rester banale : son frère meurt à la guerre. Elle en gardera sa vie durant un deuil silencieux et profond. La guerre, une autre, réduira à néant le travail de plusieurs générations de modestes paysans.

A la fin de l’occupation, les choses ont changé. L’argent qu’on avait pu mettre de côté dans les années d’avant-guerre ne vaut plus rien et il faut recommencer à zéro. Léontine se met dans l’élevage de volailles, ce qui suffit tout juste à entretenir la ferme et assurer sa subsistance mais, à l’époque, on pouvait vivre des produits du jardin.

On a du mal à imaginer qu’il y a une trentaine d’années, une femme possédant une telle érudition et une telle ouverture d’esprit pouvait vivre aussi humblement, occupant sa retraite comme le reste de sa vie, sans faire de bruit et rendant service, toujours. D’abord, il y avait les piqûres. Dans les années 1960, peu d’infirmières s’installaient en milieu rural. Son savoir-faire était d’autant plus précieux.

« C’est mon grand-père qui m’a appris à les faire. Quand j’avais ton âge, j’ai eu une maladie qui nécessitait des piqûres. C’était lui qui me les faisait parce qu’il savait mais au bout d’un moment il m’a appris à les faire toute seule parce qu’il n’avait pas le temps de s’occuper de ça tous les jours. Eh bien tu sais, quand il faut approcher la seringue et se piquer soi-même, c’est pas toujours évident. Il y a des jours où j’hésitais longtemps… »

Son autre spécialité, consistait à donner des leçons particulières aux enfants en difficulté ou malades. Sa compétence suffisait mais, surtout, sa patience et son bon contact avec les enfants apportaient ce que le maître ne peut pas toujours. Je crois aussi qu’il se dégageait de sa personne une autorité naturelle qui inspirait le respect. Aujourd’hui encore, les petits cancres d’autrefois se souviennent de ces heures avec la vieille femme qui leur évitait des ennuis à l’école.

C’est seulement lorsqu’elle mettra sa maison en viager, à la fin des années 60, qu’elle accèdera aux commodités qui se sont répandues après la guerre, comme la TV. Après que l’occupant a emporté le poste de radio, la ferme est demeurée silencieuse. C’est à cette époque qu’elle prend l’habitude d’aller en cure en Savoie. Le reste du temps, ce sont surtout les fleurs et la lecture qui l’occupent le plus. Et puis, sa porte demeure ouverte et sa compagnie est appréciée.

Pour les adultes, Léontine demeurait avant tout une personne de confiance. On la savait de bon conseil et puis, quelques soient les problèmes qu’on rencontrait, on savait qu’elle garderait pour elle les confidences. Elle n’était pas du genre vieille fille aigrie se plaisant à faire battre les montagnes. Elle a même accordé l’hospitalité à des personnes qui, sinon, se seraient retrouvées à la rue. Plus couramment, on pouvait lui confier ses clés en cas de départ , une plante à arroser et même un animal familier. Personnellement, j’ai pu lui confier une petite chatte qui allait devenir sa plus fidèle compagne jusqu’à la fin. Sans doute parce qu’elle appréciait le traitement, l’animal a connu une longévité exceptionnelle, trônant sur un fauteuil d’osier pendant la saison froide. 

En d’autres contrées, elle aurait été considérée comme une sage. En Afrique, elle aurait été la vieille, celle que l’on salue avec respect, celle qui conserve la mémoire du village et qui a connu tout le monde enfant. Avec le temps, chacun mesurerait ce qu’il lui doit. Dans nos pays civilisés, on se souvient tout juste que, dans cette maison, avant les gens d’aujourd’hui, il y avait cette vieille personne, mais on n’y attache pas plus d’importance.

Il est vrai qu’elle cultivait la discrétion. Je l’ai connue vivre modestement mais chacune de nos visites représentait une petite fête. Après une grosse bise et les compliments sur le fait que j’avais « encore grandi », elle ouvrait une petite boite ronde, en fer, qui contenait des bonbons. Je partais alors les sucer dans sa petite propriété. C’était un autre monde que j’entreprenais de découvrir, à la fois anachronique et merveilleux. D’abord, j’allais voir les lapins. Ensuite, j’ouvrais un petit cagibi de tôles. Dedans se trouvait un petit poêle noir hors d’âge. J’ai appris par la suite que, à part la cuisson des confitures en été, sur cet appareil rudimentaire elle y faisait aussi bouillir la lessive et chauffer l’eau pour la toilette. Les grands bacs de ciment servaient pour laver le linge mais aussi pour le bain. Le vieux poêle procurait aussi un semblant de chauffage.

En fait, je préférais la grande grange où était rangé son bois pour l’hiver. J’y entrais par une petite porte. Elle abritait aussi la Dauphine d’un couple d’amis qui n’avaient pas de place chez eux. Et puis, dans le fond, se trouvaient des outils à main. J’ouvrais alors une autre porte barrée par une bêche. Et là, je trouvais un jardin modeste mais merveilleux. J’imagine que Tarik a dû ressentir la même chose en débarquant sur la péninsule ibérique venant de son aride Afrique du nord, découvrant les promesses de son livre sacré à travers les vergers et les champs irrigués laissés par les Romains. Je voyais des feuilles vertes qui sortaient de terre, parfaitement alignées, les tomates qui partaient à l’assaut de piquets de bois, des petites sentes entre les diverses cultures et des fleurs partout. Des arrosoirs traînaient ainsi qu’un tuyau d’arrosage jaune. Je découvrais une autre perspective sur le village, l’arrière des maisons du voisinage, ce que l’on ne voit pas de la rue. Au fond, de l’autre côté de la clôture, une rangée d’arbre suggérait le cours du ruisseau. Pourtant, ce qui me plaisait le plus dans ce petit paradis, c’étaient les fraises. Elle avait eu la bonne idée d’en planter une variété dite des quatre saisons. Ainsi, quelque soit le moment de l’année, je pouvais en boulotter. La visite se concluait parfois en emportant une énorme laitue et des carottes qu’elle venait de déterrer.

Avec l’âge, l’intérêt évoluait et, au hasard, elle me faisait découvrir les modestes trésors de son intérieur. Comme beaucoup de gens de la campagne, elle vivait surtout dans la cuisine. On y entrait par une porte vitrée avec quelques carreaux de couleur. La salle à manger - ou du moins la pièce ainsi dénommée car il y avait un grand lit – restait pour moi la réserve à bonbons puisque c’était de là qu’elle sortait la boite. En fait, elle y laissait ses livres et, sur la table, faute de place, sans doute, étaient posés les deux gros volumes du dictionnaire « Universel » illustré. Curieuse de tout, elle les consultait souvent après avoir lu ou entendu un mot que son univers n’avait pas rendu familier. Dans cette pièce, était accroché le portrait d’un jeune soldat en uniforme d’un autre age : son frère qui lui a tant manqué toute sa vie. Elle me parlait des derniers livres empruntés dans le Bibliobus après m’en avoir expliqué le principe. Elle attendait toujours avec impatience le prochain de Bernard Clavel. Ainsi passaient les hivers ; les étés étant consacrés aux rosiers et au jardin. Elle s’est éteinte un jour de 1981 après de trop longs mois pendant lesquels elle n’était déjà plus vraiment présente.

Aujourd’hui, sa vieille ferme a été bien retapée et résonne de rires d’enfants. Pour elle qui les adorait, voilà une belle manière de l’honorer. Bien sûr, tout a changé. Il ne reste plus de rosiers et une pelouse fleurie remplace le potager. Le jardin des délices a disparu.

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