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la lanterne de diogène
13 mai 2006

ce tout petit supplément d'âme

Du général au particulier, l’évocation d’un type bien.

Pour la première fois, on parle de l’esclavage cette année à un niveau national et médiatique. Juste moment éphémère de souvenir d’un fait qui a assombri l’humanité pendant des siècles. Aujourd’hui, on le sait, l’esclavage revêt des formes modernes comme le proxénétisme et, car c’est la caractéristique de  notre époque violente, là où subsiste l’esclavage, quelque soit sa forme, il semble infiniment plus cruel. Cependant, deux formes d’esclavage ont profondément marqué l’Histoire : le système romain et la traite négrière. Le premier cas paraît complexe car si l’esclavage patriarcal comportait un aspect protecteur, il existait aussi ces théories d’esclaves maltraités et mourant à la tâche. C’est ce modèle qui a prévalu concernant la condition des asservis d’Amérique, amérindiens ou Noirs. Pourtant, concernant ces derniers, il ne peut y avoir aucune comparaison dans la mesure où, contrairement à tout ce qui se passait ailleurs et sous quelque latitude que ce soit, il ne s’agissait pas de prisonniers de guerre, ni de braves gens capturés dans cette perspective.

Les Noirs étaient destinés à l’esclavage simplement parce qu’ils étaient noirs. Ils naissaient esclaves, ils vivaient esclaves, ils étaient esclaves par définition et par conséquent ne pouvaient échapper à ce cruel destin. C’est pour cela que la traite négrière ne peut se confondre avec aucune autre forme d’oppression fût-ce l’esclavage. C’est pour cela que l’esclavage est marqué au plus profond de la chair des Noirs aujourd’hui encore, même si leur tempérament les conduit à demeurer extrêmement pudiques sur le sujet. En revanche, leur mémoire reste aussi forte que leur discrétion. Il faut la violence de notre époque, de nouvelles expressions du racisme, plus insidieuses, des tentatives de mise en compétition des martyrs entre eux à des fins de manipulations infâmes pour que certains Noirs, comme Lilian Thuram, décident de mettre les pendules à l’heure.

Toujours est il que cette journée sert aussi à rappeler l’apport décisif des Noirs dans l’histoire de notre pays. Je pense notamment à ces régiments coloniaux envoyés en première ligne et au débarquement des troupes d’Afrique occulté par le très spectaculaire débarquement de Normandie. Bien sûr, il ne convient pas non plus de mettre en compétition les deux qui nous ont permis de pouvoir écrire ou lire ces lignes. Que l’on fasse un petit tour dans ces cimetière plantés de croix blanches sur lesquelles figurent des noms étrangers écrits avec des W, des K, des Y, des terminaisons en –son ou de noms doubles avec des Mac- ou Mc- . Souvent, on trouvera devant la grille une voiture de location ou une voiture avec le volant à droite.

Il existe aussi un lieu à Paris qui rend hommage « aux soldats noirs morts pour la France ».

http://perso.wanadoo.fr/memoire78/pages/jtp2.html

http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/colonisation/dossier.asp?ida=435015

A Clamecy, de l’autre côté de la gare, se trouve un monument aux soldats d’Afrique massacrés dans les environs. Cependant, il n’existe nulle part de cimetière d’esclaves. J’évoquerai juste la statue de Solitude, cette esclave antillaise révoltée qui a été condamnée à mort et pendue après avoir donné naissance au bébé qu’elle portait.

La proximité des commémorations du 8 mai avec ce 10 mai est des plus heureuse, si je puis  dire s’agissant de douleurs vives. Pour ma part, j’ai commencé à écrire ces lignes en entendant à la radio, à l’occasion de ce souvenir, Euzhan Palcy la réalisatrice du très beau film « Rue Case-nègres » d’après le roman de Joseph Zobel. Ce film, je l’ai vu avec quelqu’un qui allait prendre une place importante dans mon cœur et qui a inauguré son magnétoscope en louant cette vidéo.

Beaucoup de situations vues dans ce film lui rappelaient des souvenirs personnels. Je le connaissais assez pour savoir que, malgré une impassibilité apparente, il avait le cœur gros.

Je l’ai rencontré dans des circonstances banales. C’était à l’occasion de la Coupe du Monde de 1994. Comme il avait entendu que je n’avais pas de téléviseur, sans me connaître, sinon pour m’avoir aperçu dans le voisinage, Serge – c’est son prénom– m’a invité à regarder les matches chez lui. A commencé alors une longue série de visites, et une amitié indéfectible. En rentrant du boulot, je savais que j’allais le retrouver et que la fatigue et le stress partiraient. En ouvrant sa porte, sa petite chienne sans âge me faisait une fête envahissante ce qui, pour lui, représentait un gage de confiance. Petit à petit, nous avons fait connaissance et nous nous sommes acceptés, lui, petit homme à peine instruit et moi, l’intello du foyer des travailleurs où nous résidions.

Serge est né il y a une soixantaine d’années dans un village de la lointaine Guadeloupe. Très tôt les nuages vont assombrir le ciel paradisiaque de la Caraïbe. Il perd ses parents alors qu’il a tout juste l’âge de raison et il est élevé par sa grand-mère. Ils doivent faire face à la jalousie du voisinage aussi, mais c’est un autre histoire. C’est cette vieille femme qui lui inculque un principe fort dont il ne se départira jamais, malgré les épreuves, la facilité et les tentations : rester honnête, quoi qu’il en coûte. En attendant, il devient en quelque sorte le chef de la petite famille car il y a d’autres petits frères et sœurs. Il commence à travailler à onze ans pour un ébéniste. « Je devais passer la teinture sur les meubles et après, je laissais sécher. Ensuite, je prenais un coton et je frottais pour faire briller jusqu’à ce qu’on voit sa photo ».

Quand il ne travaille pas, il part avec ses copains en vélo et va au bout de Basse-Terre. Là, ils vont se baigner et, à l’heure du repas, ils pêchent quelques langoustes qu’ils font à la braise sur la plage et avec les épices qu’ils ont fauchées dans la cuisine de leurs cases. Juste compensation pour ces petits pauvres que de déguster un plat de riches. Pendant ce temps, la grand-mère pense à l’avenir. Alors qu’il a seize ans, elle me met sur le bateau pour la métropole. Sur le quai, les gens chantent « Adieu foulards, adieu madras » comme toujours quand appareillaient les navires. Ce n’est pas un cliché et il faut avoir vu une petite larme au coin de ses yeux pour comprendre le déchirement vécu par ceux qui restaient et ceux qui partaient. C’est peut-être de là qu’il a gardé cette extrême sensibilité qui le caractérisait.

Le Caledonia débarque à Marseille où il reste six mois avant de tenter sa chance à Paris. «Je travaillais dans un garage de la place Clichy, à côté du Gaumont-Palace. Je devais garer les voitures des clients. C’est comme ça que j’ai connu les acteurs qui venaient voir les films le dimanche. Je portais un costume ; obligatoire. On m’appelait «  l’officier Charles » pour ne pas confondre avec le patron qui s’appelait comme moi. »

Il ne reste qu’un an à Paris avant d’être engagé dans une fête foraine. Là, son sens inné du rythme et ses mouvements chaloupés sont remarqués dans une baraque où les clients viennent pour danser. « Je faisais tout : valse, mazurka, cha-cha, musette, biguine, boléro, calypso ». ainsi, Serge parcourt les grandes villes d’Europe et fait danser les belles pendant plus de deux ans. « A Berlin, j’ai connu une Allemande. Elle voulait se marier avec moi. J’aurais peut-être dû. »

Son service militaire achevé, il retourne à Marseille. Le soleil devait lui manquer. Il habite le Panier, le quartier en face de Notre-Dame de la Garde ; pour ceux qui connaissent. Il exerce plusieurs métiers, docker surtout et manœuvre dans le bâtiment. Il a notamment travaillé à la construction de la faculté à Marseilleveyre.

« Le dimanche, je prenais mon scooter et je partais sur la Côte. Des fois, j’allais jusqu’à Menton. Sinon, j’ai fait de la boxe aussi, dans la salle de Marcel Cerdan. » Malgré la dureté des tâches, ce seront probablement les meilleures années.

Il s’est fait beaucoup de copains grâce au bistrot que tenait un cousin et a multiplié les succès féminins, surtout quand le cousin lui prêtait sa décapotable. Sans doute grisé par cette atmosphère, lui qui avait connu très tôt les souffrances humaines, la maladie à travers ses parents, le deuil précoce, la misère, toujours, il ne prend pas garde à un danger redoutable en Provence : le mistral. Ce vent glacial paraît rafraîchir le grand port où la chaleur semble souvent intolérable. Lui, après avoir sué toute la journée sur les docks, déambule chemise ouverte sur la Canebière ensoleillée. A l’époque, quantité de petits cafés et de petits cinémas bordaient la célèbre avenue phocéenne. Il tombe malade et on l’envoie se soigner dans la ville qui a bâti sa fortune et sa réputation sur le climatisme : Briançon. « On m’a dit : vous allez au Bois de l’Ours. Moi, je croyais qu’il y avait un ours puisque c’était la montagne. En réalité c’est un rocher qui a la forme de l’ours… »

Après une longue convalescence – à l’époque on ne soignait pas aussi bien et beaucoup en mouraient – il décide de demeurer dans la ville la plus haute d’Europe, loin de la mer et loin de tout ce qui représentait son univers. Il travaille d’abord comme journalier. En hiver, c’est le déneigement. Il faut comprendre que dans les années 1970, la neige tombe encore en abondance sur les Alpes du sud. Le matin, les rues sont encombrées et on ne peut pas circuler, même à pied. Tous les hommes doivent, séance tenante, déneiger puisque de toute façon, on ne peut rien faire tant qu’il y a la neige. Bien sûr, le service de la voirie effectue le gros du travail. Serge s’y fait embaucher comme beaucoup d’autres qui n’ont pas un métier à l’année. Seulement, avec sa petite taille et son poumon en moins, il s’épuise rapidement. Alors, les autres, particulièrement Vladimir, un ancien de la Légion, font le boulot à sa place pour qu’il puisse toucher son salaire à la fin de la journée. En échange, il leur fait les courses : les cigarettes, les canettes. Je suppose aussi qu’il leur paie un coup après le travail. C’est seulement quand il se fera embaucher dans les restaurants où ses qualités de cuisinier seront remarquées qu’il pourra vraiment commencer une nouvelle existence. Il rencontre Christiane, une petite infirmière qu’il a connue et qui était veuve. (elle était vraiment petite : sur les photos que j’ai, elle apparaît toujours plus petite que lui même quand elle est une marche au-dessus de lui qui était pourtant bien petit. ). C’est le temps de la R 10 Major qui lui permet de travailler l’hiver dans les stations et d’aller en boite avec sa compagne. Ce bonheur est de courte durée puisque le cancer l’emporte. Quand Serge évoquait ces moments avec beaucoup de pudeur, toujours, on pouvait mesurer qu’il avait atteint un point d’équilibre. Avec le recul, on comprend qu’insensiblement il décline à partir de ce moment.

Imperceptiblement d’abord puis, avec le chômage et enfin la retraite, la machine à détruire s’accélère. En attendant, il peut encore faire illusion. Il a récupéré le chiot que sa femme et lui avaient pris. On prend l’habitude de les croiser en ville et surtout sur les gradins de la patinoire les dimanches après-midi quand il ne travaille pas. Il supporte fièrement les « Diables rouges », l’équipe de hockey. En dehors de cela, il mène une existence solitaire d’autant qu’il a perdu contact avec sa famille. Il n’a jamais voulu remplacer sa compagne.  Sa chienne le tire un peu de cette solitude : une caresse et la conversation s’engage. Sans doute pour y échapper, il suit les conseils de Vladimir et le rejoint au foyer des travailleurs où se trouvent déjà quelques copains à lui. Vladimir est un autre blessé de la vie, c’est sans doute ce qui les a réunis et pour cela aussi qu’il se montre toujours prêt à rendre service.

En fait, s’il retrouve des copains, s’il s’en fait d’autres, ce sera le début de la fin. Entouré de personnes vivant seules, il est renvoyé à sa situation mais, contrairement à d’autres, il n’a pas de dérivatif hormis l’alcool. Bien sûr, il n’avouera jamais à un ami ou même à un médecin ce qui le ronge. A ce moment, on aurait, sans doute pu faire quelque chose pour lui. Le pinard est l’antidépresseur le plus facile à trouver et le moins cher. C’est l’automédication. On se soigne seul pour ne pas ressentir cette solitude. On n’en sort pas.

En attendant, il prend de nouvelles habitudes. Ses nouveaux amis sont Pascal, Christian, Patricia, Antoine, notre ange-gardien. Il retrouve Boualem, son plus vieil ami avec lequel il a beaucoup travaillé. Il y a aussi les « mohameds » comme il dit. Un jour il a apporté un témoignage à l’un d’eux alors que tous se débinaient. Depuis, tous les autres lui vouent un respect affectueux, se trouvant à ses côtés dans les moments les plus difficiles.

Quand ça lui prend, il nous invite à déjeuner le dimanche. Ses spécialités sont le poulet basquaise et le couscous. Si je connais un peu Vladimir, j’ai pu rencontrer Christian, le Parigot, lui aussi venu se faire soigner. Un personnage étrange avec une grande ouverture d’esprit et qui parait la conscience du groupe. Il n’a jamais peur de dire ce qu’il pense et fait montre d’une grande lucidité. Paradoxalement, sa franchise a pu dénouer des situations conflictuelles.

Assez rapidement, j’ai pris l’habitude de passer le voir tous les jours. C’est là que, peu à peu, il m’a raconté sa vie, ses souvenirs de jeunesse, le temps des pièces de monnaie avec un trou au milieu etc. Il m’a dit, presque aussitôt après avoir fait connaissance : « j’ai jamais été en prison et j’ai jamais touché à la drogue », comme pour me dire que, malgré les apparences, il était quelqu’un de bien. Au hasard d’un mot qui lui échappait, j’ai pu comprendre un peu ce qui l’habitait. Dès que je peux, je lui apporte du boudin antillais, article inconnu à Briançon dans les années 1990. Je ramène de Marseille des produits exotiques que je trouve dans le magasin d’un Ivoirien chez qui j’ai mes habitudes. Du coup, il retrouve les parfums et les arômes de sa jeunesse. Il n’a pas mangé de confiture de coco depuis une bonne vingtaine d’années, depuis qu’il a perdu le contact avec sa famille. Egalement, je lui fais écouter des chansons créoles que j’ai enregistrées. Encore une fois, à Briançon, il n’a aucun moyen d’avoir accès à de tels articles : pas de radio locale, pas de magasin exotique. A part la télévision qui passe des artistes ou des paysages de là-bas, plus rien ne peut lui rappeler ses origines.

Il n’aime pas s’entendre appeler « black ». D’abord,  il ne comprend pas bien. Ensuite, il ajoute aussitôt : « je suis nègre ! c’est dans le dictionnaire. Et je suis fier de ma couleur ». J’entendais, il y a peu, une écrivaine antillaise dire que ce sont les Blancs qui ont fait de ce mot une insulte alors qu’entre eux, ils l’utilisent sans problème et qu’ils sont fiers ; étrangement les mêmes paroles que Serge prononçait des années avant. 

Depuis qu’il est arrivé au foyer, les jours, les mois, les années ont passé, semblables. Comme souvent, un événement, même prévisible, même banal, vient précipiter l’échéance. Dans son cas, c’est la mort de sa petite chienne. Elle avait peut-être dix-huit ans. En tous cas, elle était très vieille et c’était sa seule présence. Depuis, plus rien ne l’a arraché à l’enfermement dans lequel il végétait : toute la journée et toute la nuit, parfois, devant la télévision. Rien ne pouvait le faire sortir à part les démarches administratives. « Tu crois que j’en ai pas, moi, des soucis ? Pourquoi tu crois que je regarde ces conneries ? » terrible aveu. Comme ce n’étaient que des rediffusions, il connaissait par cœur les épisodes mais il se passionnait encore pour Derrick et Doctor Queen.

Les séjours à l’hôpital se succèdent. D’abord tous les ans, puis l’intervalle se rétrécit. Dans sa chambre de l’hosto, je retrouve Ahmed avec son beau veston. C’est lui qui avait profité du témoignage de Serge. Les autres viennent aussi en fonction de leur travail et de l’horaire du bus. Je suis frappé parce qu’ils ne parlent presque pas alors qu’ils restent assez longtemps. Que se passe t-il entre eux ?

Parmi les dernières grandes joies qui ont illuminé un peu son visage, il y a les Jeux Olympiques de Sydney que nous avons suivis ensemble, à la TV. Il a les larmes aux yeux durant toute la cérémonie d’ouverture. On pourrait croire que la vie lui a tanné le cuir mais, malgré les épreuves, il garde une extrême sensibilité. Il n’attend pas le discours de clôture du président Samaranch pour comprendre que ce sont les plus beaux JO. Pour l’an 2000, je le vois encore une fois ému. Je lui ai apporté un disque de Noël antillais et il regarde le feu d’artifice sur la Tour Eiffel à la TV. Un peu de gaieté dans un hiver qui ne finira plus.

Alors que je travaille pour le journal local, je publie un portrait qui retrace l’essentiel de sa vie et que je reprends ici. Cet article remporte beaucoup de succès malgré celui consacré à autre personnalité de Briançon sur la même page. Beaucoup ont apprécié que l’on s’intéresse à un anonyme, au lieu de ces quelques individus que la presse régionale monte en épingle à défaut d’avoir sous la main un grand écrivain ou une vedette des médias. Serge est un homme simple. Pour ma part, j’espérais que ça lui donnerait un peu de courage en trouvant sa photo et son nom dans le journal. Je voulais lui témoigner mon amitié, aussi. Je pense qu’il ne faut pas attendre la mort pour rendre hommage à quelqu’un. Hélas, il a été hospitalisé la veille de la parution.

Deux ans et un mois après, je faisais publier un petit entrefilet pour signaler sa disparition un 13 mai. Christian était parti cinq mois avant, le 13 décembre et Boualem l’a suivi le 13 juin.  En bas de page et entouré de deux publicités, peu l’ont lu. Le buraliste de Briançon, pourtant lecteur attentif du journal qu’il vendait ne l’avait pas vu non plus. Quand je lui ai parlé, quelques mois plus tard, il a eu du mal à dissimuler sa peine. Il connaissait bien Serge pour avoir tenu un bistrot avant d’ouvrir son magasin. Serge lui était resté fidèle et il y achetait ses cigarettes et, quelques fois un journal. Avant de lire l’entrefilet que je lui avais apporté, il avait compris que c’était bien la solitude qui avait eu raison de lui.

La jalousie demeure bien un péché capital. Les rares qui lui en voulaient car ils sentaient qu’ils ne pourraient pas atteindre son intégrité n’ont cessé de le tourmenter. Cette formule de François Béranger s’applique bien à sa personnalité et à sa situation : « Vous n’aurez pas ma fleur / Celle qui me pousse à l’intérieur ». Ultime outrage : ils ont entretenu la confusion sur le jour de son enterrement. Ceux qui l’aimaient n’ont pas pu s’absenter de leur travail pour aller lui rendre un dernier hommage, surtout quand le chantier était loin. Ses copains retraités ne l’ont pas su. Ainsi, ce jour-là, il n’y avait personne. Son cercueil est sorti de la morgue pour rejoindre le carré des indigents. Est-ce si important  puisque de son vivant, nous n’avons rien pu pour lui ? Il était à bout de force.

En attendant, nul d’entre nous ne l’a oublié. Quand nous nous retrouvons, son souvenir nous envahit. Nous avons envie de crier, de l’appeler. Nous mesurons, à présent, ce qu'il représentait pour nous: un homme serviable, un confident, un ami fidèle, ou, tout simplement, un voisin agréable. Toujours d'une extrême gentillesse et d'une générosité exceptionnelle, il ignorait la méchanceté, la jalousie, la malhonnêteté. Il ne se plaignait jamais. Parce qu'il connaissait le prix des difficultés de la vie, il savait recevoir et écouter. Il partageait le peu qu’il possédait. Malgré tout, malgré ses amis, Serge était très seul. Il n'arrivait plus à lutter et à trouver de goût à la vie. Il essayait d'oublier cette solitude mais, avec le temps, elle était devenue trop lourde à porter et il était épuisé. Il s'est éteint sans faire de bruit.

Nous mesurons, aujourd’hui la grande chance que nous avons eue de connaître Serge avec le vide qu'il laisse dans nos cœurs.

Il me vient, à ce stade, ces mots de Malraux : « la tombe des héros est le cœur des vivants ».

Pour élargir le propos :

http://www.parolier.net/paroles,mississippi,eddie+constantine.html

« Rue Cases-négres » d’Euzhan Palcy disponible en DVD (Lion d’argent à Venise)

http://www.ac-versailles.fr/etabliss/Toussaint/labct2/madras/madfou.htm

http://www.palli.ch/~kapeskreyol/ki_nov/inde/madras.html

http://www.parolier.net/paroles,ordinaire,robert+charlebois.html

(pas de trace des paroles de François Béranger)

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Commentaires
E
Très bel hommage, merci
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la lanterne de diogène
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