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la lanterne de diogène
31 juillet 2006

idée reçues en littérature

Ecrire c’est subvertir !

Nous l’allons montrer tout à l’heure.

D’abord un petit proverbe iranien

Donne un cheval à celui qui dit la vérité :

il en aura besoin pour s’enfuir

à rapprocher de cette formule de Gramsci : la vérité est révolutionnaire

Venons-en au fait. Je remarque que la littérature a, encore moins de nos jours, la cote. Il est vrai que, précisément on ne peut pas coter la littérature. La façon de l’enseigner, de la présenter rebute à tout jamais. Il m’arrive de penser que c’est voulu. Le temps n’est plus de ces professeurs qui entraient dans le métier par amour des mots et qui ambitionnaient de partager avec leurs jeunes élèves ce qu’ils avaient aimé et qu’ils ne cessaient de chérir. Ils lui devait bien ça à la littérature qui leur avait permis de voyager quand leur modeste traitement les maintenaient à quai et qui leur avait ouvert un horizon illimité. Parfois, elle avait instillé un esprit de révolte dont ils ne pourraient jamais se défaire.

Aujourd’hui, la littérature n’est qu’un support pour des activités qui se veulent pédagogiques. On fait de la technique. On dissèque les textes comme autrefois on épinglait des grenouilles vivantes pour vérifier les propriétés du système nerveux. On oubliait que l’animal était vivant et sensible comme on oublie que la littérature a un sens. Or, tout est fait pour éviter le sens. Au collège, on passe une séance à discuter de la couverture d’un livre pour « dégager des hypothèses de lecture ». Le théâtre est abordé par l’études des didascalies (en langage simple ce sont les indications scéniques). D’une manière générale, on privilégie l’étiquetage : la typologie des textes, des scènes de théâtre. Tout est fait pour que le temps manque pour les explications et pour la compréhension. La technique n’est plus un moyen d’aborder un texte, de le comprendre mais une fin en soi. La preuve : la dissertation de culture générale qui a donné au baccalauréat son prestige n’est plus choisi que par une poignée de candidats. L’immense majorité préfère les exercices scolaires tels que le commentaire composé et le résumé/analyse. Comment pourrait-il en être autrement quand tout concourre à ne pas se poser de question, à ne pas comprendre les écrits des auteurs mais à seulement étudier leur composition ?

Ailleurs, les grands textes, les grands auteurs sont caricaturés. On s’efforce de n’en retenir qu’un aspect risible. Rabelais me semble, à cet égard, emblématique : ne retenir que les beuveries et mettre l’humanisme sous le boisseau. Pourtant, qui pourrait dire qu’il n’est pas d’actualité et ce, plus que jamais ?

D’autres auteurs, connaissent le même sort peu enviable et passent, avec quelque condescendance, pour d’aimables comiques alors même qu’ils ont signé quelques unes des plus belles pages de la littérature et que leurs idées, habilement mêlées de traits d’humour afin d’alléger le propos, ont traversé le temps.

« Cyrano de Bergerac » tel que le présente Edmond Rostand ne se limite pas à un habile hâbleur qui pratique à l’occasion l’autodérision. La tirade des nez ne représente absolument pas l’esprit de la pièce. Cyrano apparaît certes comme un homme cultivé amoureux des mots mais il souffre de deux maux : un nez qui l’enlaidit au point de lui faire perdre toute assurance devant une femme et, forcément, un amour rendu impossible et devenu d’autant plus total. La généreuse imposture ne saurait laisser personne indifférent.

Dom Juan serait l’homme à femmes. Je me demande si ceux qui disent cela ont bien lu la pièce de Molière. Dom Juan se joue de la femme qui l’aime et qu’il méprise. Elle fait deux courtes apparitions la pièce. Il séduit deux petites paysannes en même temps dans une courte scène. Le premier point ne sert qu’à souligner la nature mauvaise du personnage et le second n’est qu’un intermède au milieu de scènes qui montrent comment l’on peut manipuler ses égaux, ses inférieurs, son créancier, son amoureuse, son père. Dom Juan défie la morale, la mort, Dieu, la société toute entière.

Les vices à la mode passent pour des vertus

Il entend en utiliser les armes à son seul profit et, sans doute, ambitionne-t-il de la détruire après s’en être servi tout comme il a fait avec sont amante.

Je tiens Marcel Pagnol pour un des tout meilleurs écrivains francophones du siècle dernier. On n’en a retenu que l’accent de ses personnages avec un certain mépris pour cette province un peu bête et paresseuse. Pagnol a décrit non pas les passions, les jalousies, les crimes des princes comme l’ont fait un Corneille ou un Racine. Il a montré superbement que les grands sentiments comme les pires vilenies habitent le commun. Il est un de ceux qui ont le mieux décrit les passions du peuple.

Relis Marius en sautant la trop fameuse partie de carte et il reste un drame qui n’a rien à envier aux meilleurs classiques du genre comme Shakespeare, Racine ou Hugo. Il reste l’amour paternel débordant et, parfois, un peu maladroit, l’amour d’une jeune femme qui aime au point de renoncer à son bonheur pour permettre celui de l’homme qu’elle a toujours aimé, les passions contradictoires d’un jeune homme qui ne sait pas choisir entre rêver sa vie ou la vivre réellement. Les scènes d’humour qui ont fait la réputation des films (qui étaient des pièces à l’origine) ne doivent pas nous tromper. Shakespeare aussi ne rechignait à introduire quelques bons mots dans ses tragédies les plus sombres.

Je crois que, cet égarement n’est pas fortuit. En caricaturant les plus belles pages de la littérature, on contribue à l’obscurantisme. On gomme tout ce qui pourrait faire réfléchir, voire remettre en cause l’ordre établi. Le plus grave reste, peut-être, que l’Education Nationale participe grandement à cette démarche en réduisant au minimum (et en dissuadant les professeurs de les aborder) la part des écrivains du 16ième siècle tels Montaigne et Rabelais.   Finalement, c’est bien ce qui se passe sur les plateaux de radio et de télévision où les écrivains, les philosophes, les meilleurs intellectuels, sont invités à égalité avec des chanteurs, des acteurs voire des commerçants et effleurent à peine les thèmes abordés dans leurs ouvrages, interrompus qu’ils sont, sans arrêt, par une remarque qui se veut drôle, une pause musicale, une publicité, une chronique, une sollicitation d’un autre invité. Au total, on n’aura retenu que l’anecdote.

L’opéra n’a pas peu contribué à cette tendance. L’art bourgeois ne peut risquer de voir ébranlé la société. En réduisant « le Mariage de Figaro » à quelques envolées lyriques, et quelques airs, surtout si elles sont chantées en italien ou en allemand, on passe complètement à côté de la férocité de Beaumarchais envers les dominants et leur prétention à tout posséder et à spolier leurs dominés. Les commentaires sur la musique passent sous silence les plus beaux coups de griffe :

médiocre et rampant et l’on arrive à tout

Je suis sûr que tu connais plusieurs personnes qui répondent à cette observation…

Et encore :

En fait d’amour, trop n’est même pas assez

Et pour finir :

Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant

Donc, pour en revenir à Rabelais, n’oublions jamais qu’il a été un des grands écrivains humanistes en français. Il a également conduit ses héros principaux en la ville d’Utopie, nom qu’il a emprunté à Thomas More.

Gargantua est à l’origine (malgré lui) de la guerre entre son père Grandgousier et son voisin Pichrocole. Toucquedillon, son aide de camp est capturé mais traité humainement, moyen par lequel Rabelais énonce quelques nouveaux principes dont les rois doivent, désormais, s’inspirer. L’extrait que je publie résonne particulièrement en ces temps agités et prélude à quelque nouvel embrasement. Une leçon à méditer ; et qu’on ne nous dise plus que Rabelais n’écrivait que sur la bouffe et les beuveries. Quant à la scatologie, il est dépassé par nombre d’auteurs à succès d’aujourd’hui qui se répandent sur leurs manières de déféquer et sur la couleur de leurs urines, sans pour cela atteindre l’humour de Rabelais.

http://www.fdn.fr/~rebours/rabelais.htm

Comment Grandgousier traita humainement Touquedillon prisonnier

Touquedillon fut présenté à Grandgousier et interrogé par lui sur l'entreprise et les affaires de Picrochole, à quelle fin il prétendait par ce tumultueux vacarme. A quoi il répondit que sa fin et sa destinée étaient de conquérir tout le pays, s'il pouvait, pour l'injure faite à ses fouaciers ;

« C'est, dit Grandgousier, trop entreprendre : qui trop embrasse peu étreint. Le temps n'est plus d'ainsi conquérir les royaumes, avec dommage de son prochain frère chrétien. Cette imitation des anciens Hercule, Alexandre, Hannibal, Scipion, César et autres tels, est contraire à l'enseignement de l'Évangile, par lequel il nous est commandé de garder, sauver, régir et administrer chacun ses pays et terres, non d'hostilement envahir les autres, et ce que les Sarrasins et barbares jadis appelaient prouesses, maintenant nous l'appelons brigandages et méchancetés. Il eût mieux fait de se contenir en sa maison, en la gouvernant royalement, que d'insulter à la mienne, en la pillant hostilement, car il l'eût augmentée en la gouvernant bien, en me pillant il s'est détruit. Allez-vous-en, au nom de Dieu, suivez une bonne entreprise, remontrez à votre roi les erreurs que vous connaîtrez, et ne les conseillez jamais en ayant égard à votre profit particulier, car avec le bien commun, le vôtre propre aussi est perdu. Quant à votre rançon, je vous la donne entièrement, et je veux qu'il vous soit rendu armes et cheval : ainsi faut-il faire entre voisins et anciens amis, vu que ce différend entre nous n'est point proprement la guerre.

Gargantua XLIV

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Commentaires
A
en lisant des textes écrits par ma mère, je remarque bon nombre de figures de style involontairement employées. Ca voudrait dire que l'enseignement de ces figures est parfaitement inutile si le but de l'enseignement du français est de nous apprendre à écrire (elle ne les a jamais apprises)... et si le but est de nous faire comprendre les textes, alors nous apprendre les figures de style signifie que celles ci ne sont compréhensibles que par un lecteur averti, et donc que les auteurs ne cherchent pas à permettre la lecture à toute personne, cultivée ou non. Ou alors ce genre de cours est parfaitement inutile...
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