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la lanterne de diogène
11 septembre 2006

Toujours en danger de mots

Il y a toujours danger de mots. Dans le premier article, j’attirais l’attention sur la dérive linguistique consistant à utiliser un mot pour sa consonance, son esthétique, son pouvoir d’amoindrir un sens qui pourrait blesser au détriment d’un vocabulaire rigoureux et précis. Au delà de la mode, de la paresse intellectuelle, de la primauté de l’émotion sur le sens, cette dérive favorise la manipulation intellectuelle, les conflits et ouvre la porte à toutes les tyrannies et, plus prosaïquement, toutes les confusions.

L’étape suivante a été atteinte ces jours derniers avec le communiqué du CRAN ( Comité Représentatif des Associations Noires) demandant, ni plus, ni moins, le retrait de la dernière édition du dictionnaire Robert, ouvrage de référence. La définition qui déplait s’applique au mot colonisation. On y trouve l’expression « mise en valeur d’une terre » qui choque certains. En clair, un mot connoté négativement ne peut côtoyer une mot positif tel « valeur ».

Au delà de l’anecdote, nous sommes en présence d’un groupe de pression qui prétend imposer une définition lexicale à l’ensemble des francophones parce que la définition ne lui convient pas. Sur le même thème, celui de la colonisation, on a entrouvert, il y a peu, un débat sur l’écriture de l’Histoire. Le législateur, est-il compétent pour décider de la vérité historique ? La même question se posera si elle parvient sur le bureau d’un juge ou si le gouvernement ou la représentation nationale en est saisi. La définition d’un mot se doit-elle de ménager les susceptibilités, de faire plaisir, de servir une cause ?

Déjà, un certain nombre de mots donnent l’impression qu’ils appartiennent à un groupe. On peut penser au champ lexical du patriotisme, avec des mots tels que « drapeau », « hymne national », « patrie », « peuple », « fierté », « pays ». Beaucoup croient à tort qu’ils relèvent de l’extrême droite alors même que cette famille politique a, historiquement, toujours combattu ces notions et s’allie ouvertement avec les forces francophobes d’Europe. Ce n’est qu’un exemple, mais il revient si souvent que cela illustre bien cette dérive. Les mots, le sens, le domaine qu’ils recouvrent existent par eux-même et ne doivent, en aucun cas, se trouver confisqués par un groupe quel qu’il soit.

Au cours du même journal parlé qui reprenait cette information, le journaliste qui présentait un autre sujet sur la chasse a conclu par cette phrase : « chacun sa définition de la chasse ». En fait, c’est bien ce que l’article « Danger de mots » mettait en avant : chacun propose sa définition d’un mot ou d’une notion et tous se retrouvent contre celle du dictionnaire. Cela signifie en d’autres termes la remise en question des repères objectifs, et la généralisation de l’émotion qui peut être amenée à fluctuer selon les circonstances et l’environnement. Vérité d’un côté, mensonge de l’autre ; le refrain bien connu se trouve de plus en plus d’actualité. Il y a une vingtaine d’années, on avait fait rire au dépends d’un astronome pakistanais qui déclarait que ses confrères occidentaux se trompaient en prétendant que la Terre tourne autour du Soleil vu qu’il est écrit le contraire dans le Coran et les traditions musulmanes. En fait, notre pays, rationaliste à l’extrême, inventeur de la notion de laïcité, pouvait bien se gausser de l’obscurantisme religieux mais ne se rend, de toute évidence, pas compte que l’on est dans l’obscurantisme chaque fois que l’on cède à l’émotion, à l’intérêt particulier aux dépends d’un minimum de rigueur dans le vocabulaire et ce, d’autant plus que le langage est un acte répété tout au long de la journée et pour une fréquence nettement supérieure à la plupart des autres activités : manger, boire, uriner, travailler, etc.

Alors, pour en revenir à notre Robert, le retrait de l’édition revêtirait un caractère d’un extrême gravité. D’abord, il s’agirait d’un précédent qui se trouverait aussitôt suivi d’une multitude d’autres. Chaque groupe de pression, chaque association, chaque religion, se mettrait à éplucher les dictionnaires pour y dénicher le mot ressenti comme injurieux. Je dis bien « ressenti ». Un menuisier pourra revendiquer pour sa propre définition le terme d’art au lieu de métier et invoquer l’histoire de sa profession ; idem pour un architecte, un médecin etc. Les religions trouveront toujours que l’on ne révère pas assez leurs figures emblématiques et qu’on les place au niveau de simples grands hommes de l’Histoire universelle. Le dictionnaire serait rédigé dans les  cabinets des meilleurs avocats et échapperait aux linguistes. Imagine-t-on le chirurgien confiant le bistouri à l’avocat afin de ne pas toucher telle ou telle autre partie d’un corps malade ? Imagine-t-on le paléontologue jonglant entouré de juriste avant de publier ses travaux ? Faut-il rappeler que pendant des siècles, les calculs étaient tout simplement impossibles dans la mesure ou la notion de 0 était niée ? Certains considéraient que Dieu étant partout, il ne pouvait exister de vide, fut-ce en mathématique.

En fait, ces dérives existent déjà, elle touchent aussi bien les sciences (y compris les sciences exactes) que ce qui relève des humanités. Aujourd’hui, avec un minimum d’instruction, chacun peut estimer avoir raison contre tous au nom du droit d’exprimer ses convictions, de les défendre et de refuser les mêmes droits aux autres. Veut-on voir la généralisation de ces démarches ?

Il ne s’agit nullement de demeurer figé dans un cadre étroit et de n’en pas sortir parce que les choses auraient été décrétées ou découvertes une fois pour toutes. Il est bien évident, et c’est l’objet de ce qu’on appelle la recherche, que tout peut être remis en cause. Il existe quantités de domaines scientifiques, en France, où par refus de remettre en cause certains principes, la science française prend du retard sur celles qui n’ont pas d’a priori. Il n’en demeure pas moins, que la cohésion et surtout la cohérence restent nécessaires en tous les domaines et que l’intérêt particulier ne saurait imposer un point de vue. Encore une fois, et ce n’est pas récent, la confusion s’insinue partout et favorise la manipulation.

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