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la lanterne de diogène
28 janvier 2007

hommages à l'Abbé Pierre

Ce matin, en prenant le métro, je vois, comme d’habitude, les clochards –pardon les SDF ça fait mieux – sur les quais. Je me dis : qui va parler d’eux à présent ? qui va les défendre ? Pour eux, alors que les participants s’acheminent vers Notre-Dame, la vie ne change pas. Simplement, ils n’ont plus de porte-parole. On les entendra encore moins. Hier soir, au Palais Omnisports de Bercy, certains avaient, au moins pu passer quelques heures au chaud et bien assis. Pour une fois, on ne les a pas refoulés.

A Bercy, les anonymes sont arrivés dès 6 heures du soir pour retrouver l’Abbé Pierre et l’évoquer encore. Nous le savons, comme le dit l’adage populaire : la fête passée, adieu le saint ! Des photos défilent, entrecoupées de séquences des « Guignols de l’info » où intervient la marionnette de celui qui nous réunit et qui nous fait rire malgré la peine. Pendant ce temps, les personnalités prennent place devant. On en reconnaît quelques unes. Aucune ne cherchera à se montrer malgré la haie de photographes autour d’elles. Patricia Martin anime la soirée et sait trouver le ton juste. Elle même n’est jamais citée et personne (sauf un chanteur) ne se mettra en avant. Elle appelle au micro, ceux qui l’ont un peu mieux connu. M.Jacques Delors parlera, Lambert Wilson lira des textes de l’Abbé Pierre, des Compagnons d’Emmaüs, mal fagotés, tremblotant, s’exprimeront, maladroitement. Agnès b. évoque sa rencontre avec l’Abbé Pierre. Un SDF prend le micro à son tour. Il se dit artiste et le prouve avec son harmonica. Il gueule ! il gueule comme savait gueuler l’Abbé. Il nous dit que la nuit où il est mort, deux SDF sont morts de froid. Il  réclame une minute de silence pour eux et pour tous ceux qui sont morts depuis le début de l’hiver. Pourtant l’hiver est particulièrement doux cette année mais le froid est plus dur pour les pauvres. Je pense à ce type tellement emmitouflé dans ses cartons que le camion des poubelles l’a écrasé.

Appelé sur l’estrade, Jacques Higelin va le chercher. Il se met au piano mais lui laisse le micro. Higelin ne chantera pas. Il s’est effacé devant celui qui savait dans sa chair ce que veut dire coucher dehors. Patricia Martin fait remarquer que pendant la minute de silence « on » a continué à prendre des photos …  Témoignage de Zappy Max : il animait un jeu très populaire à la radio, autrefois. Il se souvient de l’Abbé Pierre venu y participer. Il était arrivé en moto, le béret trempé, le blouson de cuir dégoulinant, le bas de la soutane couvert de boue et les godillots tout crottés. L’Abbé y avait gagné une belle somme mais le public en entendant sa destination avait spontanément organisé une quête recueillant des billets et des bijoux.

Madame Simone Veil évoque ses souvenirs avec l’Abbé Pierre. Visiblement, elle l’a fréquenté régulièrement, lui rendant visite lors de ses retraites à l’abbaye de Saint-Wandrille. (Un chanteur, très connu, prendra beaucoup de temps pour expliquer qu’il a préparé un petit texte mais qu’il ne le retrouve pas et qu’il va chanter sa dernière chanson) Un chanteur des rues avait, lui, pris le temps d’ajouter un couplet à la « Chanson pour l’Auvergnat » de Georges Brassens et fait venir des copains pour un chœur improvisé. Les syndicalistes Bernard Thibault et François Chérèque montent ensemble sur le podium. Pour une fois, ils sont unis. Un trio de femmes, Marie-Christine Barrault, Nicoletta et Nolwenn Leroy, lisent des témoignages. Martin Hirsch  annonce qu’il faut terminer la veillée : beaucoup devront se rendre aux obsèques. Patricia Martin ne le dit pas mais elle prendra l’antenne à 6 heures le lendemain… Les autres devront ranger les installations et rendre le Palais Omnisports à ceux qui l’occupent cette semaine. Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois concluront en entonnant « Ce n’est qu’un au-revoir ».

Voilà que je sors du métro. Il fait froid mais très beau. Les policiers arborent la fourragère rouge en hommage au Grand-Croix de la Légion d’Honneur. Peu à peu, le parvis de la cathédrale se remplit. Dans la foule, je remarque que beaucoup sont bien habillés. On a fait un effort comme quand on va voir un parent ou un ami. Les Africaines, principalement, ont revêtu leurs plus riches boubous, parfois en partie cachés sous les vestes de laine. Du reste, je remarque beaucoup de Noirs et d’Arabes dans une proportion plus forte que dans la population où ils demeurent très minoritaires. Quelques SDF sont également présents. On les reconnaît à leurs sacs en plastique dans lesquels ils transportent le peu qu’ils possèdent encore. Les personnalités arrivent dans leurs belles voitures sombres. On a beaucoup glosé sur leur présence mais ils avaient bien le droit de s’associer à cet hommage public et puis, que n’aurait-on dit de leur absence ? J’aurais été le premier à la dénoncer. Nous avons hué fortement M.Nicolas Sarkozy. Pour ma part, loin de moi l’idée de lui refuser de s’associer à l’hommage public et religieux. J’espère que ces huées l’auront atteint et fait comprendre qu’il doit changer son cœur. Finalement, c’est, peut-être, lui le plus malheureux et le plus à plaindre.

Le corbillard arrive et le soleil se voile comme s’il obéissait au glas lugubre de la cathédrale. Maladroitement, spontanément et avec ferveur, la population massée applaudit au passage du cercueil. Les Compagnons allument les cierges de la procession avant l’entrée dans l’église.

Sur l’écran géant, on n’entendait plus les commentaires mais seulement l’office et les chants. Quelques fois, on pouvait voir les fidèles, les Compagnons aux premiers rangs et j’ai cru remarquer que M.Borloo semblait très affecté. Sans doute songeait-il à la charge immense qui est la sienne et à la difficulté qu’il aura à, simplement, faire respecter la loi sur le logement. Comme il devait se sentir faible en ce moment solennel.

Autre moment d’émotion lorsque les dignitaires d’autres religions ont rendu hommage devant le cercueil : les bouddhistes dans leurs tenues safran ou grenat, agenouillés, les mains jointes. Les marques de respect sont, finalement, universelles, comme l’Abbé Pierre. Ils ont déposé, comme cela se fait pour les défunts vénérables, une kata(g) à la tête du cercueil, entre le béret et l’étole sacerdotale ajoutée au cours de l’office par dessus la cape légendaire. Le professeur Kapet de Bana a déposé sa toque de couleur. La veille, je lui avait brièvement parlé car je l’avais entendu réclamer des obsèques internationales. Personnellement, j’aurais souhaité que la France ne fasse pas moins que l’Inde envers l’étrangère, dignitaire d’une religion très minoritaire qu’était Mère Térésa.  Il m’avait ensuite montré une photo de lui avec l’Abbé avant de me remettre le texte d’une chanson qu’il avait apprise à l’école au Cameroun.

Pour l’Abbé Pierre, le PAPE des Pauvres

Unissons nos voix

Avant de nous quitter

Je pars pour un très long voyage

Et mes chansons pour bagage

Je vais par les monts

Et je vais par les champs

La vie est si douce

Et le monde si beau

Et si je rencontre la mort en  chemin

Mon cœur ne connaît pas la haine

Je chante l’amour

Et je chante ma foi

Ils avaient passé quinze jours ensemble.

Et puis, la procession se remet en branle pour accompagner le défunt hors de la cathédrale. Nouveaux applaudissements lorsque le cortège funèbre traverse le parvis. Des prêtres qui suivaient joignent leurs applaudissements. J’aperçois la physionomie particulière de l’abbé Gilbert, le curé des loubards. Il paraît livide.  Le cercueil est placé dans le corbillard. Cette fois, c’est fini ! chacun ressent le vide. Le glas cède la place à l’envolée comme pour rappeler le soleil.

Maintenant, des groupes se forment. Une tente semblable à celles des SDF est déployée. D’autres chantent en attendant la ré-ouverture des portails de la cathédrale. Les camions des télévisions remballent leur matériel. On évoque le Panthéon pour l’Abbé Pierre. Je crois que ce serait la meilleure façon de se donner bonne conscience en évitant surtout de mettre en œuvre une véritable politique du logement. On voudrait lui donner le nom d’une place à Paris. Si c’est pour lui attribuer un carrefour, promu « place » où il n’y aura jamais de numéro, donc jamais d’habitant, ce n’est pas la peine. C’est ce coup là qu’on  a fait récemment à Coluche et à d’autres avant. En revanche, ce serait une bonne idée de lui attribuer la nouvelle Avenue de France, construite dans le 13ième arrondissement, à l’emplacement même d’un camp installé par l’Abbé Pierre, quand le secteur était en chantier. On pourrait, peut-être, faire circuler une pétition en ce sens (personnellement, je ne sais pas comment faire*). Ensuite, il faudra rester vigilant pour que la future loi dite « Abbé Pierre » soit vraiment appliquée.

Au pied de Notre-Dame de Paris, l’Abbé Pierre n’a pas eu les obsèques de Victor Hugo. Cependant, il était de la plus haute importance que nous soyons nombreux pour rendre un hommage public à l’Abbé Pierre. C’était une manière de montrer quel monde nous voulons : non pas l’économie ultra libérale mais un monde de fraternité. Pour cela, je dis merci. Merci est le mot qui revient le plus souvent sur les livres, dans les messages des anonymes. Merci, donc, et, pour finir, je reprends l’expression de Colette Magny :

Salut, camarade curé !

abbe_pierre_1_

Sur ma tombe,

à la place de fleurs et de couronnes, apportez-moi les listes de milliers de familles,

de milliers de petits enfants auxquels vous aurez pu donner

les clés d’un vrai logement

Abbé Pierre

*on peut peut-être écrire directement au maire de Paris sur le site Internet de la mairie :

http://www.paris.fr/portail/contacts/Portal.lut?page_id=5722&document_type_id=12&document_id=10737&portlet_id=12354

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A
Bonsoir ami, je relaie la demande d'une avenue digne de l'abbé Pierre à Paris sur http://dialogues.canalblog.com.<br /> Bonne nuit
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