Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
5 avril 2007

TGV : un record et puis après?

tgv

Le TGV vient donc d’établir un nouveau record en dépassant les 574km/h. Grâce à cette performance, il reste le train le plus rapide du monde. Alors, avant de poser des questions, il convient de se réjouir. Si j’avais été collégien, je me serais enthousiasmé pour ce record. J’aurais même été fier de savoir que c’est le résultat de la technologie française, de ses ingénieurs et de tous les travailleurs qui ont, chacun à sa mesure, œuvré pour cette réussite. Eux, doivent être particulièrement contents que leur camarade ait conduit une motrice à la vitesse d’un avion. Ah, je n’aurais jamais imaginé, lorsque je faisais des exposés sur le TGV, alors à l’étude, qu’il pourrait rouler un jour à une telle vitesse. Des fois, je me dis que certains de mes petits camarades s’en souviennent, mais j’en doute. A l’époque, le TGV était prévu pour intégrer la flotte des turbotrains mais la crise de l’énergie a obligé à repenser la motorisation et la plupart d’entre eux ne rêvaient pas de prendre le train mais d’avoir une moto à eux. Quoi qu’il en soit : bravo !

http://fr.wikipedia.org/wiki/Record_du_monde_de_vitesse_du_TGV

Maintenant, il faut aborder ce qui fâche. D’abord, il convient de rappeler que, contre toute attente, alors que l’on ne parlait que du tout automobile, le cabinet du général De Gaulle a donné le feu vert aux études qui allait déboucher sur le TGV. A cette époque, personne, ni en Europe, ni en France, ne pariait sur le train. La voiture individuelle symbolisait la croissance économique, la prospérité nationale, la supériorité de l’économie de marché par rapport à l’économie socialiste des pays de l’Est. La réussite sociale se concrétisait par l’achat d’une voiture. Au village, on s’extasiait sur les nombreux enfants de Mme Machin qui avaient « tous leur voiture, même les filles ! » Du coup, ces gens devenaient respectables. On entendait :  « aujourd’hui, tout le monde a sa voiture », quand une personne, souvent âgée, avait besoin de se déplacer à la ville pour aller chez un médecin ou pour faire une radio. C’était une façon de mépris et de dire qu’elle n’avait plus sa place dans le groupe. Cela paraît incroyable mais cela a été. D’ailleurs, pour ce type de personne, les déplacements sont toujours aussi difficiles, sauf qu’on ne leur renvoie plus de remarque méprisante.

Quoi qu’il en soit, en Europe, tout le monde haussait les épaules devant cette exception française consistant à parier sur un train rapide quand, en France même, on envisageait de transformer les chemins de fer en autant d’autoroutes et de voies rapides automobiles. En Italie, on construisait péniblement la « Directissime » entre Rome et Florence, à travers les Apennins parce qu’on n’y croyait pas vraiment. Et puis, lorsque la première relation a été inaugurée au début des années 1980, il a fallu constater la réussite de la technologie et de la politique commerciale. En effet, la technologie a été développée par la société d’Etat de la SNCF. Aucun groupe privé n’a investi dans ce projet, y compris le groupe CGE et sa filiale Alsthom qui battait de l’aile à ce moment, faute d’oser innover précisément. C’est pourtant ce groupe, allié au britannique GEC (un comble quand on sait le retard des britanniques en matière ferroviaire) qui se verra offrir la construction des trains à grande vitesse. Facile de gagner de l’argent quand on n’a pris aucun risque en Recherche & Développement.

Sur le plan commercial, l’idée était d’offrir la Grande Vitesse à tout le monde, donc au prix kilométrique habituel, majoré du prix de la réservation. D’ailleurs, les grands express, les fameux TEE, ont disparu de la circulation sur la ligne Paris-Lyon et ses prolongements après la mise en service du TGV. Bien sûr, le succès a dépassé les espérances. Proposer un prix correct et un parcours à 250 km/h entre Paris et Lyon, sans se fatiguer et de centre-ville à centre-ville, ne peut que satisfaire la clientèle. Las, entre temps, le gros Barre, avait diffusé largement, d’abord comme professeur puis comme Premier Ministre les principes de l’économie libéraliste. Bien que gouvernée par des membres du PS, la France devait abandonner tout ce qui avait fait son succès pour se plier aux règles nouvelles imposées depuis l’étranger.

D’une manière générale, dans les années 1980, on a abandonné les recettes économiques qui avaient fait les preuves de leurs réussite au profit de théories économiques hasardeuses fondées sur la concurrence sauvage et qui partout crée beaucoup de pauvreté et beaucoup de richesses pour un nombre de plus en plus limité. Fin de la digression.

Le succès de la LGV (ligne à grande vitesse) Paris-Lyon a encouragé la construction de deux autres lignes vers la Touraine d’une part et vers le Nord et donc le Bénélux, l’Allemagne voire la Grande-Bretagne, d’autre part. Et là, tout a commencé de changer. D’abord, les autres régions ont réclamé leur part. Comme il n’y aurait pas d’argent pour tout le monde, on a commencé à parler de financement privé et donc de compagnies privées sur ces tronçons. Le tunnel sous la Manche, s’est construit de cette façon sous l’impulsion menaçante de la Thatcher qui ne désespérait pas d’imposer au dernier moment son idée de pont autoroutier sur la Manche, puis qui a tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du train français qui prouvait aux britanniques sur leur territoire la supériorité du service public à la française sur la privatisation et l’individualisme à la Thatcher.

Une fois mis en service, le TGV Atlantique a innové par sa politique tarifaire. Désormais, ce n’étaient plus les kilomètres qui seraient payés mais la place. On paie selon le remplissage, selon la date, selon l’anticipation sur le déplacement, Petit à petit s’est instaurée l’idée que le prix du billet ne dépend plus de la distance. C’est l’abandon du principe démocratique de l’équité. L’inauguration du Thalys entre Paris et Bruxelles a enterré définitivement le principe du service public. Quelques années avant, le président Mitterrand, inaugurait en grande pompe les installations de l’Eurostar (Paris-Londres) dans la Gare du Nord de Paris. En fait, il s’agit de trois quais et quatre voies séparées des autres par une clôture. Le personnel est différent, les guichets sont différents, l’accueil est différent. Cela préfigure ni plus ni moins de ce que seront les grandes gares lorsque différentes compagnies pourront faire rouler des trains. A noter que les petites gares sont en train d’être vendues (souvent pour être démolies) les unes après les autres, à l’heure où nous lisons ces lignes. Comme d’habitude, le gros des investissements –en l’occurrence les gares, les voies –a été financé par l’impôt tandis que les profits seront reversés aux actionnaires –souvent étrangers et anonymes –des sociétés privées.

Devant cette perspective depuis longtemps annoncée, la SNCF s’est engagé sur la voie de la concurrence commerciale. D’abord en obtenant que les infrastructures fassent l’objet non pas seulement d’une comptabilité à part comme l’obligeait la Commission Européenne, mais d’une société différente appelée RFF. Ainsi, le prix du billet est reversé à la société d’exploitation tandis que RFF doit financer les nouvelles infrastructures –les LGV –et entretenir les anciennes.

En Europe, les pays attentistes se sont lancé à leur tour dans la course au train à grande vitesse en adoptant des stratégies différentes. L’Allemagne, d’abord, a cherché à développer un train très rapide sur les infrastructures existantes. Cela abaissait le coût de la mise en œuvre. L’ICE est né de ce pari. Le succès de l’entreprise a conduit les décideurs à engager, comme les Français, la construction de lignes spécifiques pour ces ICE. L’Italie a développé ses trains pendulaires particulièrement adaptés au relief accidenté de la péninsule. Le Pendolino, sans prétendre aux vitesses du TGV ou même de l’ICE a permis de gagner beaucoup de temps sur les voies classiques et sinueuses. L’Espagne, afin d’être prête pour ses vitrines que constituaient les Jeux Olympiques de Barcelone et l’Exposition Universelle de Séville en 1992 a préféré acheter la technologie française du TGV. Plus loin, aux Etats-Unis, au Canada, en Russie etc. on a cherché à développer un réseau à grande vitesse, bien pratique dans ces pays vastes comme des continents. Ce sont là autant d’hommages au service public ferroviaire français. Aucun opérateur privé n’aurait pris ne serait-ce qu’une fraction de ces risques. En revanche, aujourd’hui, tous veulent leur part d’un gâteau pour lequel ils n’ont financé aucun ingrédient.

Autre thème qui fâche : l’accent mis sur le TGV au dépends des relations traditionnelles. Partout, les omnibus régionaux désignés par le sigle TER (trains en retard) font l’objet de critiques fortes de la part des clients et usagers potentiels. Ces derniers regrettent de ne pas pouvoir accéder à ces trains rares, aux horaires souvent inadaptés (malgré la concertation), et voient des dizaines de kilomètres abandonnés et les petites gares démolies. Parfois, on retire carrément les rails pour être sûr que des entreprises privées ou un Conseil  Régional ne soit pas tenté de rouvrir des lignes jugées déficitaires par la SNCF. La rupture entre les Français et leur train devient une évidence que les records de vitesse ne masquent pas. Quant à ceux qui utilisent tous les jours les TER, s’ils apprécient les nouveaux matériels acquis par les Conseils Régionaux ou Généraux, ils se plaignent des retards fréquents. Or, quand on prend le train en France, on est habitué à arriver à l’heure et c’est le moins que l’on puisse demander au prestataire de services.

Le record de vitesse du TGV masque également les retards pris dans la construction de nouvelles lignes encore retardées. C’est le cas du TGV Rhin-Rhône, promu à l’origine par M.Chevenement. C’est là son péché originel et il n’est pas prêt d’obtenir sa rédemption. Tous les prétextes sont bons alors même que les voisins européens attendent dans la consternation que les pouvoirs publics français se décident. Tout est prêt en Allemagne, tout est prêt aux Pays-Bas, tout est bientôt prêt en Espagne, même (en fait le projet prévoit de partir des Pays-Bas, de passer par l’Allemagne, de rejoindre la Franche-Comté proche de la Suisse, la vallée du Rhône et de prolonger vers la Catalogne). Des sommets européens y ont été consacrés et tout le monde est tombé d’accord. Las, au dernier moment, les autorités françaises ont lâché le morceau. A croire que l’on veut encourager les embouteillages et la pollution dans la vallée du Rhône en pleine canicule.

Un autre projet traîne lamentablement depuis plus d’un siècle : la liaison Briançon-Oulx (province de Turin). Un tunnel de base d’un peu plus de 20 km réunirait deux vallées alpines. Il paraît tout de même incroyable que l’Union Européenne qui finance des projets nationaux se montre incapable de débloquer un budget pour un projet international hautement stratégique. Dans les circonstances actuelles, ce tunnel mettrait les Alpes du sud à un peu plus de quatre heures de Paris contre neuf actuellement. En effet, le TGV Paris-Milan s’arrête à Oulx pour desservir les stations alpines italiennes à la mode. Là encore, malgré des sommets franco-italiens qui mettent en avant le projet, rien n’avance. Le dernier espoir repose sur un investisseur argentin qui propose de creuser le tunnel et de se payer sur la bête une fois achevé. Il n’est pas interdit de penser qu’une fois achevé la SNCF refuse de l’utiliser arguant de la non-conformité de l’ouvrage. Des précédents existent comme l’aéroport de Vatry aux normes internationales, causant peu de nuisances dans une zone peu habitée et inutilisé. Dans le même temps, on s’interroge sur un troisième aéroport à même distance de Paris mais en Picardie ou en Orléanais. Ce projet de tunnel sous le Montgenèvre s’ouvrirait au TGV parisien et au Pendolino italien mais aussi et surtout au ferroutage afin d’acheminer les marchandises à travers les Alpes entre l’Espagne et le l’Italie (il s’agit notamment de pièces d’automobiles).

Toujours dans la région Provence-Alpes, le projet indispensable de RER entre Marseille et Aix est reporté depuis près d’un quart de siècle. Tout au plus, on procède en ce moment à de lourds travaux de doublement de la voie ; peut-être le prélude à ce fameux RER.

Chaque région pourrait présenter des dossiers sérieux de développement du rail auxquels on se garde bien de donner suite. On se demande bien pourquoi à l’heure où l’on parle de développement durable, de raréfaction du pétrole et d’augmentation de son coût.

tgv__1_

Alors, si l’on a raison de se réjouir, cette semaine du record de vitesse sur rail par un consortium français, il ne faut pas oublier que, tous les jours, on a de sérieux griefs à adresser à l’opérateur qui oublie le service public et essaie de singer les compagnies aériennes privées.

http://www.record2007.com/site/index.php

Bon, retour à la joie. Les images de la vidéo en ligne sont magnifiques. On pense à l’ivresse d’Eric Pieczac, le conducteur, mais aussi à tous ceux qui ont participé à l’aventure : aux contribuables qui ont financé le projet, aux ingénieurs et au moindre des ouvriers d’Alstom qui a vissé un boulon, au balayeur qui a nettoyé l’atelier pour pouvoir y travailler le lendemain, à tous ceux qui travaillent chez les sous-traitants. Ce record est d’abord le leur. La matière grise donne son utilité à l’exécution mais serait vaine sans elle. Ce genre de record permet d’espérer quelque peu en l’humanité.

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 661
Newsletter
Publicité