Or donc, la dernière trouvaille pour faire baisser le
chômage –ou plutôt le nombre de chômeurs –, c’est la chasse au faux chômeur. Il
se trouve toujours assez de crédules pour ne pas dire de crétins pour se figurer
que cette chimère existe en nombre et prolifère. En plus, c’est
intellectuellement très confortable quand on peut désigner un coupable. Déjà,
en son temps, le « meilleur économiste de France », autrement dit le
gros Barre en avait fait l’instrument de sa politique. En la matière, il n’en
était pas à une bourde près. En effet, n’avait-il pas proclamé que « les
chômeurs n’ont qu’à créer leurs entreprises » (mais oui, il a osé dire
ça !), qu’il « ne fallait pas confondre les chômeurs et les
demandeurs d’emploi », puis que le chômage baisserait mécaniquement, du
fait de la démographie, à partir de 1984 et qu’il faudrait juste patienter
jusque là. Les mauvaises recettes ont toujours du succès et le gouvernement
Fillon aux abois les reprend sans scrupule. C’est plus facile que d’établir les
conditions favorables à l’embauche. Faire la chasse à ces satanés faux chômeurs
et obliger les vrais à accepter à peu près n’importe quoi voilà qui devrait
rassurer tous les braves gens outrés que l’on puisse profiter de ce qui reste
de la protection sociale. Qu’on les rassure, d’ailleurs, parce que les
fraudeurs connaissent suffisamment le système pour passer entre les mailles du
filet. Ceux-là ne seront pas inquiétés. Seuls le seront ceux qui éprouvent de
vraies difficultés, les blessés de la vie.
Votre serviteur a longtemps été de ceux-là et sait
parfaitement de quoi il retourne. La suppression de toute aide ne m’aurait pas
fait trouver un emploi qui n’existait pas. C’est à croire que la suppression de
l’aide sociale ferait surgir des emplois comme dans un tour de passe-passe où
les lapins sortent des chapeaux. En reprenant Camus, je dirais : « nous sommes quelques uns à ne pas
supporter qu’on parle de la misère autrement qu’en connaissance de cause ».
Or, les commentateurs qui critiquent (un peu) la politique du gouvernement,
posent mal la question. Ils demandent notamment si le qualificatif de « raisonnable »
s’appliquera à un CDI ou un CDD. En fait, quand on décroche l’un ou l’autre
contrat, ce n’est déjà pas si mal. Le problème c’est que l’ANPE proposera aussi
des « contrats d’avenir », autrement dit 20 h payées plus ou moins le
SMIC par une administration ou une association.
Pourra-t-on refuser un tel boulot en mettant en avant que la
distance rend les frais de transports plus importants que la rémunération ?
Et encore, toutes les distances ne se valent pas. On ne peut comparer un tel
« contrat » situé à 100
km
mais bien desservi par les trains, les cars ou une
route de type « nationale » avec le même situé à 25 km
dans un lieu isolé et
desservi par des petites routes. Dans ce dernier cas, outre les déplacements
qui seront peu ou prou équivalents, cela voudra dire qu’on ne pourra pas
effectuer de démarches sur place ou en passant et qu’il faudra ressortir pour
les courses. Les frais et la fatigue s’accumulent. Ces 20 h sont loin d’être de
tout repos. Souvent, ces « contractuels d’avenir » devront justifier
de qualifications sans commune mesure avec le salaire, les horaires ne seront
pas nécessairement adaptés. Selon l’association, il faudra peut-être travailler
le dimanche. S’il s’agit d’un hôpital ou de certaines associations, on fera
comprendre que l’on ne peut pas s’en aller avant que le travail soit fini.
Parfois, l’employé en question devra gérer une caisse. Là encore, la
responsabilité sera sans commune mesure avec la paie. De plus, à l’issue du
« contrat », on s’apercevra vite qu’un autre employeur n’aura que
mépris pour une expérience qui n’est « pas vraiment un emploi ». Et
pourtant, on ne peut pas le refuser car on sera radié vite fait ou au moins suspendu.
Curieusement, les syndicats et les associations qui aident
vraiment les chômeurs ne bronchent pas tellement contre ça. En revanche, toutes
revendiquent la réintégration des demandeurs d’emploi qui ne se sont pas rendu
à une convocation de l’ANPE. C’est un comble parce que, par définition, un
chômeur n’a pas grand-chose d’autre à faire que de se rendre à ces rendez-vous.
Et puis, on peut toujours téléphoner pour déplacer l’entretien.
Certains chômeurs éprouvent d’énormes difficultés à
retrouver du travail. On peut citer le manque d’offres en général, on peut
ajouter l’âge. Aujourd’hui, dès quarante ans, un employeur sera réticent à
embaucher quelqu’un qui ne restera qu’une vingtaine d’années dans son
entreprise. C’est que l’on croit encore que l’on reste au XXIème s. toute sa vie dans la même boite.
L’autre mauvaise façon de poser la question du chômage
consiste à invoquer le manque de formation. En fait de mauvaise façon on
devrait dire mauvaise foi. Il faut comprendre que les patrons voudraient que
l’école apprenne un métier aux jeunes et qu’ils soient opérationnels dès le
jour de l’embauche. Ce n’est pas pour cela qu’existe l’éducation de
masse ; faut-il le rappeler ?
Aujourd’hui, on nous rebat les oreilles avec ces jeunes qui
sortent sans diplôme. Combien sont-ils ? 14 % ? cela veut dire que 86
% sont diplômés ! On nous dit aussi que près de 80 % d’une tranche d’âge
décroche le bac (même s’il y a beaucoup à dire sur les conditions d’obtention).
Il serait intéressant de voir lesquels trouvent du boulot le plus facilement.
Pas sûr que ce soient ces derniers. Les autres sont corvéables à merci et ne se
plaindront pas, trop heureux d’avoir trouvé à s’embaucher et, pour le travail
qu’on leur proposera, ils apprendront vite. C’est aussi un aspect de la question
de la formation. Quelqu’un avec une formation générale, même bac + 4 ou 5 aura
plus de mal que quelqu’un qui apprend quelque chose de bien particulier, qu’il
soit titulaire d’un diplôme d’ingénieur ou d’un CAP.
On le voit, il faut se garder de toute solution simpliste et
considérer que chaque cas est, pour ainsi dire, particulier. Une chose est
sûre : ce n’est pas en faisant travailler plus longtemps ceux qui ont un
emploi que cela va donner du boulot à ceux qui n’en ont pas. Ça se saurait. En
revanche, on tient là un bon moyen pour faire plier encore un peu plus les
salariés (considérés comme des privilégiés par les libéralistes dans la mesure
où leur salaire est fixe et tombe à la fin du mois
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/05/17/1972300.html).
La fin des 35 heurs, 41 années de cotisation aux caisses de
retraite, le non remboursement des médicaments et le forfait d’un euro (ou 18 €
selon les cas) et maintenant la chasse aux soi disant faux chômeurs sont autant
de moyens de faire courber les travailleurs http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/03/30/8532696.html
. La peur éprouvée à l’idée de se trouver dans l’une ou l’autre de ces
situations s’apparente à du harcèlement. Ne nous y trompons pas.