Parmi les rengaines, les
platitudes rabâchées par les partisans d’une Europe qui serait une vaste zone
de libre-échange, entérinée par le traité dit de Lisbonne, on entend
souvent : « l’Europe, c’est la paix ! ». On nous explique
que c’est grâce à l’UE que la paix perdure sur un continent qui a vu s’affronter les peuples plus qu’aucun
autre.
Beau retournement de
termes ! Un simple coup d’œil sur la chronologie de l’histoire du vieux
continent nous montre que c’est tout bêtement le contraire. C’est la paix qui a
rendu possible l’union de l’Europe et non le contraire. A l’origine de tout
cela, il y a eu la chute du nazisme puis, quelques années plus tard, la main
tendue par DeGaulle –acteur incontestable de cette chute –à Adenauer, chef des
vaincus, par ailleurs agresseurs disproportionnés d’hier.
C’est ce geste, cette main
tendue, qui est à l’origine de tout. Ce n’est certainement pas le traité de
Maastricht ni même celui de Rome, plus généreux, qui a amené la paix. Tout
juste les traités de coopération européens l’ont elle consolidée ; ce qui
n’est pas si mal.
Mais bon, on est prêt à n’importe
quel raccourci, n’importe quelle approximation, n’importe quelle stéréotype
pour faire avancer sa cause. Les référendums organisés dans quelques pays
membres de l’Union Européenne prouvent qu’à trop en faire, on finit par
dégoûter l’opinion.
Il ne suffit pas de dire
« l’Europe, c’est la paix ! ». Encore faudrait-il le prouver. Et
là, pas besoin d’en appeler à l’Histoire. Le présent offre une vision qui
infirme ce vulgaire slogan. Le TCE ou sa version modifiée à Lisbonne met en
avant « la concurrence libre et non faussée ». Ce n’est pas tout à
fait la guerre mais c’est déjà la guerre commerciale. La guerre commerciale est
encouragée entre les entreprises, comme on a appris à l’université ou dans le
manuel d’économie politique du gros Barre. L’UE franchit un pas en encourageant
la concurrence entre les Etats. Il s’agit d’encourager le moins-disant social
afin d’attirer les investisseurs. On ne se soucie même plus de la productivité.
Mieux vaut une petite équipe de « bras cassés » mal payés qu’une
équipe qualifiée mais onéreuse. Partout, on réforme (au sens destructeur du
mot) les lois sociales qui ont marqué le progrès de l’humanité et incité les
peuples du monde entier à regarder vers cette belle réussite.
On l’a oublié mais l’UE, au nom
du principe d’égalité, a autorisé le travail de nuit pour les femmes. C’était
la première étape, la porte ouverte à tous les renoncements. Au passage, on
remarque toujours l’inversement des valeurs : c’est au nom de l’égalité
entre les genres que l’on autorise les femmes à travailler la nuit. On aurait
pu penser que cette référence à l’égalité interdirait plutôt le travail de nuit
pour les hommes, aussi… Maintenant, la durée de travail hebdomadaire est portée
à 60 heures avec possibilité jusqu’à 65 heures. On parle de réforme. On tâche,
en ce moment, de « permettre » aux nouvellement nommés
« séniors » de travailler plus longtemps. Il s’agit surtout de
repousser l’âge légal de la retraite. On parle de réforme. A quand
l’autorisation du travail pour les enfants ? C’était la première loi
sociale au monde et, après tout, un enfant de cinq ans sait se débrouiller avec
quelques appareils électroniques. On parle de réforme. C’est vrai que le paysan
qui amène sa vache à l’abattoir la réforme également. Le plus marrant, c’est
qu’on voudrait que les gens soient convaincus que c’est pour leur bien et qu’il
faut accepter tout ça dans un forfait global. Oui, « forfait », le
mot est juste.
En France, on nous annonce que la Sécurité Sociale
,
ne remboursera plus la totalité de la prise en charge des maladies de longue
durée. Dans l’esprit de « la concurrence libre et non faussée », on
nous explique que les mutuelles et donc, les assurances privées devront prendre
le relais. Elles se feront concurrence comme c’est déjà le cas pour l’assurance
auto ainsi que le montrent les publicités surannées qu’on subit depuis quelques
années. La Sécu
assurait le même traitement pour tous, le progrès c’est de mettre en concurrence
les couvertures sociales et donc les malades qui, en plus d’être malades,
seront inégaux face à la maladie. Ce qu’attendent les Européens, c’est une
protection sociale à la mesure de leur puissance économique et la solidarité
entre les peuples qui ne s’affrontent plus que sur les pelouses des stades. Ce que les Européens attendent, c’est un
statut du citoyen européen qui soit une référence et un gage de progrès à
vocation universelle.
Alors, il ne suffit pas de
rabâcher « l’Europe, c’est la paix ! » quand, dans les faits,
toutes les avancées de la paix, de la victoire sur le nazisme, sont, non plus
mises en question, mais anéanties même si l’on emploie le bel euphémisme de
« réforme ».
Aujourd’hui, on ne comprend pas
que les générations qui ont connu l’horreur des tranchées aient pu vouloir une
revanche, une prolongation de la Grande Guerre
, au lieu de devenir les générations
militant pour la paix. On ne comprend pas que, des deux côtés, il se soit
trouvé des chefs, plébiscités par leurs opinions, qui voulaient en découdre une
bonne fois pour toutes. Quand on réalise les progrès fulgurants réalisés par
l’Europe depuis que la paix règne, on demeure consterné de voir que
l’affrontement se déroule, aujourd’hui, non pas dans les stades mais sur le terrain
social car c’est la finance qui a pris le dessus sur le politique. Les futures
générations nous regarderont-elles avec la même incompréhension en constatant
que l’amélioration continue des conditions de vie a été balayée en brandissant
des principes de progrès
La deuxième guerre mondiale a été
militaire mais aussi politique. Il s’agissait non seulement de repousser
l’expansionnisme allemand mais surtout d’abattre le pire totalitarisme de tous
les temps. Si, sur le premier point, la victoire est acquise définitivement, on
ne peut que constater que sur le second, insidieusement, toutes les victoires
amenées par la paix retrouvée sont
annulées par une forme nouvelle de totalitarisme : la finance et son bras
armé, la déréglementation qui instaure la loi du plus fort, celle-là même que
les peuples du monde ont abattue en 1945.