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la lanterne de diogène
10 septembre 2010

Travailler plus pour payer plus

En entendant les ministres et les ténors de la majorité, on peut relever deux points forts autour desquels s’articulent tous leurs propos. Il s’agit de l’idée selon laquelle les Français doivent travailler plus et le rappel démographique pour justifier une réforme des retraites.

 

Voyons d’abord celui-ci. Dans les années 1970 (avant la réforme Haby), en seconde AB économique et sociale, le premier cours d’économie traitait de la démographie. On nous expliquait l’importance de cette science et de ces études pour prévoir l’avenir. Pour illustrer, on nous disait que, si l’on constatait beaucoup de naissances, il faudrait lancer un programme de construction de crèches, d’écoles puis d’universités ainsi que de terrains et salles de sports. En revanche, si la population vieillissait, il faudrait construire plus d’hôpitaux et de maisons de retraite. Ça paraissait une évidence et pourtant… Les lycéens de cette époque gardent le souvenir de classes surchargées, de salles de cours à la faculté manquant de tables et de chaises qu’il fallait prélever dans les salles vides et surtout du manque d’offres d’emplois.

Il était facile de comprendre que, parvenue à un âge avancé, il n’y aurait plus de retraite pour cette génération plusieurs fois sacrifiée malgré toutes les études démographiques et autres entre les mains des gouvernements qui se sont succédés depuis la fondation de la 5ième République. Premier Ministre, M. Pierre Mauroy avait attiré l’attention sur ce point, sans susciter la moindre réaction et sans pouvoir mettre en œuvre une quelconque politique. Pour ceux qui ont retenu les cours de démographie d’il y a trente-cinq ans, on a l’impression que le gouvernement actuel nous les ressort. Désormais, pour justifier sa réforme des retraites, il avance, à bout d’argument, celui imparable de la démographie. Nul doute que cet argument ressortira pour d’autres occasions. C’est habile. Parée de la rigueur scientifique, recouverte du blanc manteau de la froideur des chiffres, la démographie offre l’apparence de l’objectivité contre laquelle on ne peut lutter. Quel est cet argument scientifique et démographique ? Nous avons gagné quinze années de vie en plus par rapport à la Libération et aux dernières grandes lois sociales. Pour dire les choses brutalement : on vit plus longtemps, donc il faut entretenir plus longtemps les vieux qui sont plus nombreux, donc il faut trouver de l’argent pour payer les pensions.

 

Cela conduit à l’autre leitmotiv déjà asséné depuis plus de dix ans, au moins par les mêmes politiques : en France, on ne travaille pas assez. Là encore, les mots, pour simples qu’ils paraissent, ne sont pas anodins. On pourrait croire qu’il s’agit d’en appeler à une politique du plein emploi. En fait, la droite et les libéralistes en général ne s’occupent pas de ceux qui sont exclus de l’emploi mais s’intéressent à ceux qui travaillent. Il s’agit, d’une manière ou d’une autre (comme les heures supplémentaires sans charge), de faire travailler plus ceux qui travaillent déjà. Au passage, on évite une hausse des salaires qui pourrait relancer l’inflation tandis que les retenues sur le salaire fournissent un apport non négligeable pour financer la politique gouvernementale et, éventuellement, calmer les exigences des salariés. Si l’on fait travailler plus ceux qui ont un emploi, ils paieront plus d’impôt, plus de cotisations sociales. Le tour est joué : on peut financer la retraite par répartition. En fait, on se rend compte que ce n’est pas « travailler plus pour gagner plus » mais « travailler plus » pour payer plus. Comme il y a gros à parier que, à moyen terme, le système des retraites manquera encore de fonds, il n’y aura qu’à faire travailler encore plus. « Travailler plus », ça signifie travailler plus pendant la semaine. Il ne s’agit plus seulement de faire sauter le verrou des « 35 heures » ou de le vider de sa substance, mais d’abolir toute notion de travail hebdomadaire. On ne compte pas les heures pendant la semaine, on ne s’occupe pas de la nuit ni du jour de repos institutionnel. Nul doute que certains cherchent à faire la semaine de huit jours qui permettrait un jour de plus de travail. On y arrivera, soyons en surs. « Travailler plus », c’est aussi repousser l’âge de départ à la retraite : comme certains vivent plus longtemps, il est normal de travailler plus longtemps. On passera sur les congés annuels, les congés parentaux, les congés maladie. On peut penser que de passer de 60 à 62 ans ne suffira pas et qu’il faudra rapidement passer à 65 puis 68 ans si l’on reste dans cette logique.

 

Il n’est pas besoin de rappeler qu’un simple suivi de l’actualité infirme toutes ces assertions qui seraient (peut-être) valables en situation de plein emploi. Or, c’est loin d’être le cas avec 10 % de la population active recensée par Pôle Emploi auxquels s’ajoutent les chômeurs non déclarés et radiés. Surtout, on voit mal comment la tendance pourrait s’inverser. En effet, jamais la population mondiale n’a été aussi nombreuse. Six milliards huit cent millions et quelques (autrement dit sept milliards d’ici deux ou trois ans) peuplent la planète. Outre les problèmes en termes d’épuisement des ressources, de l’eau, de l’air, de pertes de terres cultivables, on connaît parallèlement à cette hausse (depuis le début du 20ième siècle) des progrès technologiques extraordinaires. Il s’agit, notamment, de machines qui effectuent le travail de toute une équipe d’ouvriers ou de manœuvres, notamment dans les travaux publics, le bâtiment, les mines. Ces secteurs sont désormais peu pourvoyeurs d’emplois et exigent des qualifications et plus seulement une bonne constitution physique ainsi que du courage. N’importe qui ne peut pas piloter une machine quand il suffisait autrefois de la seule force pour tenir un pic ou un marteau ou actionner un tour. Surtout, depuis la fin de la guerre, un appareil s’est développé au point de s’insinuer désormais partout, y compris chez les particuliers. Un seul de ces appareils remplace non pas une équipe mais tout un service. Il s’agit, bien entendu, de l’ordinateur. Au début, réservé aux calculs longs et compliqués, petit à petit, avec le développement de l’intelligence artificielle, il est présent partout : pour écrire un texte comme celui-ci, pour le diffuser, pour ensemencer un champ, pour prendre une photo, pour conduire une voiture et, bien sûr, pour toutes les tâches administratives mais pas seulement. Il en résulte notamment une augmentation de la productivité et une baisse de la pénibilité ainsi qu’une amélioration de la qualité. Dans ces conditions, comment appliquer les recettes utopiques et naïves de l’Ecole de Chicago de Milton Friedman qui n’étaient déjà que la réactualisation des théories d’Adam Smith au 18ième siècle ? http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/11/20/3214653.html

 

Comment, même, leur opposer la rigueur et le pragmatisme keynésiens ? Ni Smith, ni Keynes n’avaient idée de l’ordinateur et Friedman n’avait pas idée de ses applications à venir. Ni l’un, ni l’autre ne prévoyait une Terre peuplée de sept milliards d’individus. Le véritable argument démographique, c’est celui-ci : une planète de très bientôt sept milliards d’humains.

 

Lorsque Jacquard a inventé un nouveau métier à tisser semi-automatique, des émeutes ont failli lui coûter la vie. Quantité d’ouvriers du textile se retrouvaient sur la paille. Pourtant son invention s’est imposée. On n’arrête pas le progrès, on l’accompagne. Le problème de nos jours, c’est qu’on refuse d’accompagner le progrès et qu’on ne regarde que les profits immédiats engendrés par les nouvelles technologies. Ces profits alimentent les marchés financiers au lieu d’être répartis et réinvestis. Nous y reviendrons.

Les émeutiers de la fin du 18ième siècle étaient assez nombreux pour lyncher Jacquard. Que dire d’une planète de sept milliards d’humains dont ne serait-ce que 10 % se trouverait sans moyen de vivre ? Il ne suffit pas d’en appeler à la mobilité géographique, la polyvalence, la mobilité sociale pour les autres. Ce ne sont que des formules vides de sens. Faut-il que tout le monde aille travailler en Chine pour gagner sa vie péniblement puisque c’est là-bas que tout est fabriqué y compris les ordinateurs ? Imagine-t-on 10 % de la population mondiale émigrer vers le pays le plus peuplé de la Terre ? Il suffit de voir les hordes de ruraux qui s’entassent aux portes des grandes villes du monde et singulièrement de Chine pour comprendre que la mobilité géographique ne règle pas les problèmes de pauvreté et de chômage. Polyvalence ? on sait que ça veut surtout dire qu’on demande à quelqu’un de qualifié de penser à balayer son bureau avant de quitter son travail et de remplacer la collègue en congé de maternité. Sur un CV, la polyvalence est plus que très mal vue. Elle est considérée comme une preuve d’instabilité et non comme un atout supplémentaire. Il en est de même pour la mobilité sociale. Rien de plus mal vu que quelqu’un qui, pour une raison ou une autre, change souvent de métier ou même de région. Toutes ces incantations traduisent une incapacité à appréhender le monde qui change, qui a changé et, au-delà, une peur devant ces changements qu’on ne maîtrise pas et qu’on n’accompagne même pas. On a même l’impression que les décideurs pratiquent l’immobilisme et ne veulent pas voir le monde qui a changé pour essayer d’en profiter tant que ça dure encore un peu. C’est la peur contre l’incompétence. C’est la peur contre l’espoir.

 

Il est un autre grand changement qui transforme considérablement la donne et rend aussi obsolètes toutes les recettes des siècles passés ; y compris les meilleures. Désormais, ce qui produit le plus de richesses, ce n’est pas l’industrie ni même ce qu’on appelle traditionnellement les services ; encore que ça en fasse partie. Il s’agit des opérations financières. En quelques clics d’ordinateurs (on y revient) bien synchronisés, on peut produire des millions d’unités monétaires. Il s’agit, bien sûr, d’une simplification qui a pour seul but de mettre en évidence l’ampleur de transactions, d’opérations en tout genre qui s’effectuent dans un champ virtuel, qui évoluent très vite et sont sensibles aux événements et surtout aux rumeurs. Les sommes dégagées sont astronomiques. La moindre erreur, le moindre grain de sable dans les rouages, la moindre spéculation et c’est la catastrophe comme celles qui ont emporté les économies des Etats ces dernières années. Or, ces richesses échappent non seulement à tout contrôle mais aussi à tout prélèvement qui pourrait seulement compenser justement les dégâts causés par les nouveaux moyens de les créer. De plus, ces richesses ne sont pas réinvesties et leurs montants sont tels qu’un partage les entamerait à peine.

Aucune politique d’aucun Etat n’a prévu ces opérations financières et leur ampleur qui échappent à la plupart des taxations. Dans certains cas, elle les a encouragées dans la mesure où les richesses produites donnaient une illusion de bien être et de bonne santé économique. Aujourd’hui, tel l’apprenti-sorcier, ces machines financières incontrôlées détruisent au moins autant qu’elles produisent. Ce n’est pas l’assurance-vie, contractée par des salariés moyens pour compenser les insuffisances de la protection sociale ou une taxe sur les assurances santé complémentaires qui dégagera le financement nécessaire à une politique quelle qu’elle soit mais appauvrira, au contraire, un peu plus les classes moyennes.  

À  défaut de pouvoir maîtriser la population –ce que toutes les grandes religions refusent –il est possible de mettre à contribution une petite partie (ça suffirait compte-tenu des sommes en question) des richesses produites par les nouveaux produits financiers et les opérations qui les engendrent ne serait-ce que pour responsabiliser ceux qui évoluent dans la mouvance de la grande finance internationale. On peut le regretter, il ne s’agit pas d’une révolution mais d’une simple adaptation aux changements considérables survenus ces trente dernières années.

 

Sur le plan français, nous avons vu que le soi-disant argument démographique avancé par la majorité ne tient pas voire est purement mensonger. L’allongement de la durée de la vie –tout relatif selon les catégories –n’a que peu d’incidence dans un monde globalisé ; qu’on le veuille –comme les libéralistes –ou non. Quant à l’allongement tout à fait utopique de la durée de travail au-delà de soixante ans, il ne s’agit que d’un pis-aller. Si nous en étions restés à la retraite à 65 ans, le même gouvernement proposerait aujourd’hui de passer à 67 et nul doute que d’en moins de dix ans, il faudrait décider d’allonger d’une année ou deux encore et ainsi de suite. La fuite en avant n’est pas une méthode de gouvernement même si elle donne l’impression de se projeter dans l’avenir. Seul le plein emploi peut pallier le déficit actuel. Le plein emploi, compte-tenu de l’importance de la population actuelle signifie qu’on doive partager le travail contrairement aux mythes de l’ultralibéralisme. En attendant, seule la mise à contribution des nouveaux types d’opérations financières peut compenser l’apport démographique et préserver les politiques de protection sociale.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/02/06/3917410.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/04/16/4648541.html

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