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la lanterne de diogène
27 septembre 2010

NOME : le hold-up bien nommé

Ainsi que nous l’apprenons en lisant Les Echos, une loi qualifiée de « réforme la plus importante dans le secteur depuis 1946 » a été adoptée cet été en catimini. La Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité (NOME) entend imposer la concurrence entre les opérateurs d’énergie. Puisqu’à 96 %, les consommateurs n’ont pas manifesté leur intérêt pour cet aspect de la « concurrence libre et non faussée », le Gouvernement a décidé de la leur imposer, que ça leur plaise ou non.

http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/dossier/020594274496-loi-nome-decodage.htm

 

C’est décidé, le Gouvernement veut faire le bonheur des gens malgré eux. Au passage, on émousse un peu le dogme libéraliste de la non intervention de l’Etat dans l’organisation du marché mais c’est exceptionnel puisque ça sert les intérêts des concurrents de l’Etat et non des consommateurs. On peut tolérer une entorse aux sacro-saints principes dans ces cas-là.

 

Pour parvenir à établir une véritable « concurrence libre et non faussée », le Gouvernement entend contraindre sa propre entreprise à céder à bas prix jusqu’à 25 % de sa production à ses concurrents. En d’autres termes, on oblige une entreprise à fournir à ses concurrents une partie des ses produits pour que les clients puissent la quitter et aller acheter ailleurs. Imagine-t-on forcer Carrefour à céder à bas-prix un quart de ses produits aux petits commerçants de quartier pour que ses propres clients aillent chez eux et leur éviter d’aller faire leurs courses à la périphérie de la ville dans leur supermarché ? Il faut croire que le dogme libéraliste peut s’accommoder de certains arrangements pourvu qu’ils soient favorables aux grands trusts multinationaux.

 

Ça pourrait n’être qu’une nouvelle péripétie de l’ultralibéralisme qu’on oblige les peuples à adopter puisque, visiblement, ils ne manifestent pas d’enthousiasme spontanément. En effet, quel intérêt pour nous de changer de fournisseur puisqu’il se fournit au même producteur ? Ça pourrait n’être qu’une nouvelle attaque contre les instruments mis en place par l’Etat pour contrôler des activités stratégiques. Dans un pays où l’on nourrit une méfiance naturelle contre l’Etat et les impôts, ça marche toujours.

On découvrira bientôt qu’il y a une arrière-pensée. Pillée et concurrencée avec un handicap imposé par son propre propriétaire, EDF ne tardera pas à manquer d’argent. La droite et les médias qui lui sont favorable pourront monter en épingle les pertes, les déficits éventuels, les privilèges des salariés (courant gratuit), la gabegie du Comité d’Entreprise. Assez rapidement, l’opinion sera convaincue qu’EDF est un dinosaure incapable de survivre au monde moderne et à la globalisation comme la Sécurité Sociale qui renfloue la MSA, qui doit supporter les dispenses de cotisations. L’Etat ne verse pas sa participation au budget de la Sécurité Sociale et s’exaspère d’avoir à combler le déficit qu’il a créé. D’autres services publics se trouvent aussi attaqués par les pouvoirs publics. La SNCF propose des trains à des heures impossibles pour justifier la fermeture de lignes. La Poste propose des horaires inadaptés pour justifier la fermeture des bureaux. Avec l’électricité, c’était plus compliqué. Heureusement le dogme de l’UE de « la concurrence libre et non-faussée » est venu à la rescousse. On met en concurrence et si ça ne marche pas, on l’impose. Quand EDF sera en difficulté, on justifiera sa vente bradée à une entreprise politiquement favorable. La droite ne manque pas d’amis intéressés. Les clients, eux, paieront. C’est tout ce qu’on leur demande. Et s’ils ne comprennent pas que c’est pour leur bien, c’est que, décidément, ils sont incurables.


Il faut, plus que jamais, rappeler cette évidence que l’Etat c’est nous. Autrement dit, c’est par nos impôts que nous avons constitué une entreprise qui produit de l’électricité, la transporte, la vend jusque dans nos foyers et qui procède à l’entretien des usines et des réseaux. En échange de cet impôt consenti bon gré mal gré, le consommateur bénéficie de tarifs extrêmement avantageux, parmi les plus bas d’Europe et donc du monde. Ça parait normal puisque nous avons payé pour. Or, sous prétexte de se plier à une directive de l’UE sous la pression des groupes privés, on va désormais spolier les consommateurs-contribuables de leur bien et le distribuer à des entreprises privées qui vont nous le revendre. Imagine-t-on aller acheter un kilo de pommes de terre et qu’on doive en céder une partie à ses voisins qui vous les revendront pour que vous conserviez votre kilo ? C’est ce qui va se passer avec la NOME : nous avons de l’électricité, nous voulons en disposer, on nous la prend et nous devons payer à un autre pour la récupérer.

 

C’est une nouvelle illustration de la « concurrence libre et non faussée » que bien peu réclament tant on peut constater tous les jours qu’elle ne profite en aucun cas au consommateur. Faut-il rappeler que le gaz a augmenté depuis la privatisation de GDF et sa mise en concurrence et va encore augmenter ? Le Pdg de GDF parle d’alignement sur les cours du marché. La belle affaire ! qui se plaindrait de payer moins que les cours mondiaux ?

Les autoroutes ont commencé par augmenter leurs tarifs dès leur privatisation et ont lancé un programme d’automatisation des péages qui va permettre de licencier le personnel. Elles peuvent bien distribuer des petites bouteilles d’eau les jours d’affluence, ça ne fait pas avaler la pilule de la hausse des tarifs mais ça fait plaisir à tous les gogos toujours prêts à lécher les bottes qu’ils reçoivent dans le derrière. Ce sont les mêmes qui vous regardent de travers quand vous vous dépêchez de partir le soir pour aller chercher les enfants, quand vous prenez une journée de RTT et surtout quand vous faites grève.

 

Le mieux, c’est sans doute la distribution de l’eau. La concurrence est encore plus illusoire puisque, malgré la présence de différents opérateurs –pas tant que ça puisque trois groupes se partagent le marché ainsi que les régies municipales –on ne peut pas choisir son fournisseur. Il est imposé par sa commune et l’on ne peut décider de s’adresser à un concurrent pour payer moins cher.

Nous avons déjà évoqué ce qu’il en était des renseignements téléphoniques, gratuits pour les abonnés et désormais payants. Le consommateur n’y a rien gagné non plus. Quant aux tarifs du téléphone, ils ont baissé non en raison de la concurrence mais des nouvelles technologies. D’ailleurs, les opérateurs cherchent à revenir sur leurs tarifs promotionnels depuis qu’ils ont constaté que les clients en profitent. Des hausses sont à venir et nous n’y pourront plus rien. Quand on pouvait manifester contre les hausses décidées par l’Etat, il n’y a rien à faire contre celles décidées par une entreprise privée.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/06/18154482.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/04/03/1635375.html

 

En fait, il s’agit d’un véritable hold-up. On prend, avec les moyens coercitifs de la puissance publique, le bien de tous, le bien des citoyens payé par leurs impôts pour le céder à des intérêts privés qui vont nous le revendre. Les conséquences ne se limitent pas aux seuls tarifs.

 

Il y a, au moins, un précédent. En Argentine, la compagnie des pétroles de Patagonie (YPF dont on voyait le sigle sur des voitures de course) était, jusqu’à sa privatisation, le premier groupe industriel argentin et le premier contribuable à la richesse du pays. Le président Menem, favorable aux dogmes libéralistes de l’Ecole de Chicago a procédé à la privatisation du groupe. Les activités ont été dissociées, vendues à la découpe, rachetées par lots. Les acheteurs –des groupes privés étrangers en grande partie, parfois alliés à des Argentins –ont mis la main sur les bénéfices engrangés depuis des années et payés par le contribuable. Ils ont gardé ce qui les intéressait et abandonné le reste. Aujourd’hui, les Argentins qui pouvaient bénéficier de pétrole bon marché dans un contexte mondial de hausses et de fluctuations paient leur essence plein pot. Ce n’est pas tout. Les hôpitaux, dispensaires, centres culturels, de loisirs financés par les œuvres des pétroles de Patagonie ont fermé. Les salariés qui en bénéficiaient ne peuvent plus se soigner ni distraire leurs enfants. D’ailleurs, la plupart ont été licenciés. Les appartements qu’ils occupaient dans les immeubles de la compagnie ont été revendus au privé. Les loyers ont augmenté et ils sont partis. Pour où ? sans emploi, sans revenu… Voilà comment des gens qui gagnaient leur vie plus que correctement rejoignent les pauvres. Qui a profité de la privatisation à part quelques financiers ? Certainement pas ceux qui y travaillaient ni ceux qui consommaient les carburants. Des villes entières avec leur population ont été ruinées. La Patagonie, autrefois riche de son pétrole et des habitants qui y travaillait va peut-être devenir le premier territoire vendu à des intérêts privés pour renflouer l’Etat argentin.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/10/10/2873460.html

 

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=1500

 

À travers cet exemple argentin, nous voyons que ce n’est pas seulement le changement de propriétaire d’un groupe du secteur de l’énergie mais une cascade de réactions négatives engendrées par un processus dont on attend toujours de voir les aspects positifs quelque part dans le monde. Il faut ajouter que ce qui s’est passé pour les pétroles de Patagonie s’est généralisé à tout le secteur public argentin qui assurait à ce pays la prospérité (y compris pendant la récession des années de dictature) sur un continent malmené. Lorsque les gens ont voulu récupérer l’argent dont ils disposaient dans les banques et que les entités bancaires privatisées ont été dans l’incapacité même d’ouvrir leurs guichets, cela a donné lieu à des semaines d’émeutes. En France, également, nous avions un secteur public fort qui assurait la stabilité sociale. Nous ne pouvons pas faire comme si nous ne savions pas ce qui s’est passé en Argentine ou, plus près de nous en Turquie. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

http://www.lanouvellerevueargentine.com/assets/files/NRA%20ruffini.pdf


En attendant, l’Etat coupe la branche sur laquelle nous sommes assis confortablement et un opérateur privé ramasse le bois pour obliger les victimes déchues à le payer alors que nous avons fait pousser l’arbre. Elle est pas belle la vie ?


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