Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
2 novembre 2010

Détruire la connaissance

Ce matin, j'ai été plus que satisfait d'entendre quelqu'un qui, presque mot pour mot, a repris mes propos de ces derniers mois à propos de cette entreprise formidable menée depuis une trentaine d'années pour casser la connaissance et rendre impossible la critique et donc la réflexion.

 

Voici ce qu'a déclaré dans la matinale de France-Inter, Peter Sellars mardi 2 novembre 2010 (je cite de mémoire car pour une fois, l'entretien n'a pas été enregistré sur Dailymotion) : Dans les années Reagan, on a détruit le système éducatif car on disait toujours que quelqu'un d'éduqué ne voterait jamais pour les Républicains. Maintenant, les gens sont ignorants et c'est pour ça qu'ils critiquent Obama et qu'ils croient les mensonges qu'on dit sur lui pour ces élections.

 

Le 6 octobre j'écrivais :

« La gauche a gagné par les idées, la culture et –pourquoi ne pas le dire ? –l’intelligence. »

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/06/19255952.html

 

Cela faisait suite à l'article du 4 août sur le détournement des mots par les libéralistes afin d'entretenir la confusion dans les esprits, condition nécessaire à la manipulation mentale :

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/08/04/18809960.html

 

Le résultat, c'est qu'on croit plus facilement les idées reçues, les arguments spécieux, les fantasmes, les calomnies que les argumentations (15 mai 2010) :

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/05/15/17899979.html

 

J'avais attiré l'attention sur la destruction du système éducatif et la violence qui en résulte le 10 janvier 2010 :

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

Les preuves de cette régression, on peut les observer facilement ne serait-ce qu'en constatant le succès de la presse à sensation et à scandales depuis plus de vingt ans. C'est, d'ailleurs, le seul secteur de la presse en expansion puisque tous les autres régressent et que nombre de titres ont disparu. Autre preuve, l'audience confidentielle de la chaîne Arte et le succès des chaines commerciales qui vendent pour la publicité des parts de cerveau disponibles et montrent des fictions pas trop longues (50 minutes maxi), avec des histoires simples sans trop de personnages. On est loin des « Misérables ».

 

Il serait stupide de prétendre que la droite en est seule responsable. D'abord, la gauche a été aux manettes pendant plusieurs années au cours de la période incriminée. Seulement, le PS n'a pas plus intérêt à voir une jeunesse formée et susceptible de s’intéresser à des courants de pensées qui remettent en cause le système. La gauche de pouvoir se satisfait pleinement de l'alternance démocratique. Donc, rien de fondamental n'a été remis en cause et l'on a poursuivi la casse de la connaissance.

 

Ensuite, les professeurs ont leur part de responsabilité et la plupart sont de gauche. Ils auraient pu protester davantage contre les réformes visant à abaisser le niveau de réflexion. Nombre d'entre eux parvient à des responsabilités aux rectorats et au ministère, là où se décident les programmes. Il est vrai que ce sont surtout des prébendes pour récompenser des syndicalistes, les mettre à l'écart et également, pour caser des enseignants incapables de tenir une classe.

Néanmoins, au quotidien, les professeurs se lamentent en permanence en salle des profs et durant les pauses : « oh, avec les élèves qu'on a, on ne peut pas leur demander ça ! ». Conséquence, la barre est sans cesse abaissée. Conséquence, les élèves ne sont plus motivés dans la mesure où tout leur arrive tout cuit dans la bouche. Le Brevet des collèges est une catastrophe. En le donnant à tout le monde, il ancre dans l'esprit des élèves que sans aucun effort, on obtient un diplôme. Chacun connait un camarade qui n'a rien fichu pendant quatre ans et qui obtient le même Brevet qu'un(e) autre qui a bossé sérieusement. Devenu lycéen, il attend la pareille pour le bac et c'est de plus en plus ce qui se passe. La sanction arrive plus tard, à la fac ou dans la vie active, à un moment moins propice pour mobiliser ses compétences.

 

Revenons sur la suppression de la dissertation de culture générale à l'épreuve de français du bac. Il est bien évident que le lycéen qui, autrefois, s'entrainait pendant deux ans pour la réussir possédait une solide réflexion. Pour cela, il lisait, allait au cinéma, recherchait avec plaisir et sans trop d'efforts les arguments, les citations pour commenter les interrogations des grands intellectuels du moment ou des écrivains du passé.

Sans motivation, entrainé par la superficialité des médias de masses, ils se sont détournés de cet exercice qui demande une réflexion critique sur son époque et son environnement. La question de cours, pour scolaire qu'elle est, apparaît beaucoup plus commode. Avec le strict minimum d'effort, on a la moyenne. Même si l'on s'en approche, le jeu de l'harmonisation des notes au baccalauréat fera qu'on l'obtiendra quand même. Et pourquoi avoir plus ? On se satisfait très bien de la médiocrité (au sens propre, c'est à dire la moyenne) et l'on sait qu'on peut en sortir en arborant non pas une marque différente mais un objet plus récent ou plus cher de la marque à la mode.

 

Le résultat, nous le voyons tous les jours : une population mécontente, râleuse mais résignée : « on n'y peut rien », « qu'est que vous proposez ? », « c'est comme ça ».

Évidemment, ceux qui ont obtenu leur bac par la volonté politique d'avoir 80 % d'une classe d'âge titulaire du baccalauréat n'a pas lu les réflexions des intellectuels contemporains, ni leurs propositions : « c'est nul ! », « c'est trop chiant ! », « ça prend la tête ».

Peut-on en vouloir aux jeunes qui disposent de tous les moyens mais qu'on encourage dans la superficialité et les loisirs ? Le pire, c'est qu'après avoir cassé le lycée (et en amont le collège unique qui brise les personnalités), on s'en prend maintenant à l'université avec l'objectif de 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Ça promet.

Finalement, c'est l'adaptation moderne du mythe de la caverne de Socrate rapporté par Platon.

 

Dans ce contexte, on se demande si un Camus ou un Sartre pourrait émerger. Il suffit de voir le peu de succès d'un Bourdieu qu'on aime à citer quand on veut montrer qu'on a lu quelque chose. Lorsque les premiers cités étaient en vogue, on pouvait élire à la Présidence un homme citant Éluard dans une conférence de presse ou un autre posant dans une bibliothèque en tenant un volume des essais de Montaigne. Aujourd'hui, on plébiscite plutôt quelqu'un qui préfère boire de la bière ou à qui l'on voudrait ressembler si l'on avait les moyens de réunir ses amis dans un resto des Champs-Elysées et si l'on pouvait se payer une montre en or. L'enthousiasme dure ce que dure la mode.

 

Il ne faut pas s'étonner de ce qui nous arrive. Quand on plante un pommier, on ne peut pas vouloir manger des pêches.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 513
Newsletter
Publicité