Universalité ou mondialisation ?

L'Exposition universelle qui s'est tenue à Changaï cette année ferme ses portes après avoir accueilli plus de 70 millions de personnes dont 95% de Chinois. Le nombre est à la hauteur du pays. Je regrette beaucoup de n'y avoir pas été. Je sais par l'expérience de l'Expo 92 à Séville que ce genre de manifestation réunit le meilleur de l'humanité et ça fait du bien. Dans un pays comme la Chine qui bafoue ses minorités ethniques

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dans une relative indifférence -contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays plus proches de chez nous -et où la condition ouvrière est inversement proportionnelle à la richesse considérable directement imputable aux ouvriers dans le dernier grand pays qui se prétend communiste, il aurait été bon de voir un concentré de belles choses.

Ce qui retient mon attention, c'est que le pavillon de la France a reçu plus de 10 millions de visiteurs ce qui en fait le premier en termes de fréquentation. Apparemment, ce succès renforce la fierté française à un moment où le pays paraît bien terne. Pourtant, il faut aller au-delà des apparences.

Les Chinois ignorent complètement ce qui se passe ici comme nous ignorons leur quotidien. S'ils se sont déplacés en masse vers le pavillon de la France, ce n'est certainement pas parce qu'ils admirent notre Président (lui ou un autre d'ailleurs), pas parce que notre technologie est supérieure, pas parce nos arts s'imposent au monde. Ce n'est pas non plus parce que nos fromages et nos vins sont les meilleurs, encore que.

Dans l'imaginaire des Chinois et de nombreux peuples du monde, la France représente encore ce phare de progrès qui éclaire le monde. Contrairement aux États-Unis, autre nation à vocation universelle, la France ne donne pas l'image d'un progrès inhumain, mécanique qui broie l'homme comme les rouages du film « Les Temps modernes ». La France, pour beaucoup de peuples du monde, représente l'intelligence au service de la beauté. C'est le pays des Lumières qui a engendré la Révolution.

Tout le monde parle de la Révolution française alors qu'elle est intervenue un siècle après l'anglaise qui a tracé la voie. La révolution russe a perdu de son lustre après son dévoiement par les bolchéviks. La révolution chinoise a débouché sur un état policier et répressif au service du capitalisme le plus débridé. Malgré la Terreur, malgré les excès de Napoléon (conquêtes, rétablissement de l'esclavage), on garde de la Révolution française une image de progrès pour le monde entier. Plus récemment, les conquêtes sociales de la Libération ont prouvé à tout le monde qu'un peuple qui résiste au totalitarisme et instaure la protection sociale peut se maintenir parmi les grandes puissances sans être écrasée par le gigantisme de nations continentales. Un De Gaulle pouvait accorder l'indépendance des anciennes colonies et visiter les pays du Tiers-Monde où il était reçu en triomphe. Les peuples colonisés par la France ne gardent pas seulement la langue du colonisateur et son système administratif mais regardent avec tendresse l'ancienne mère-patrie. Encore aujourd'hui, la France s'efforce de défendre les intérêts des pays exploités sur la scène internationale.

C'est pour cela que la politique actuelle – commencée il y a une dizaine d'années en fait – porte un préjudice très grave à l'image de la France qui n'a plus que ça à faire valoir à l'étranger. Il serait complètement imbécile de suivre les déclinistes qui font semblant de se lamenter sur un pays qui ne ferait plus rien quand la réalité objective dément leurs prophéties sarcastiques. En revanche, force est de reconnaître que ce n'est surement pas la supériorité technologique française ni encore moins ses tarifs qui lui font remporter des marchés à l'international. Dans tous les domaines, la technologie française est concurrencée. Si l'on choisit des technologies françaises, c'est avant tout, une question de cœur. On pense au pays qui a combattu le nazisme, qui a fait la Révolution. On pense aux philosophes, aux poètes, aux chanteurs à texte, aux artistes. On pense – pour ceux qui ont eu la possibilité de voyager – aux bons moments passés à Paris, le long de la Seine, dans les bistrots (où les étrangers sont pourtant mal reçus). On se rappelle les bons repas. On pense aux amis que l'on s'est fait lors d'un séjour en France. On envie les Français qui peuvent se soigner facilement dans des hôpitaux propres, avec du personnel très compétent et disponible en permanence. On les enviait aussi de pouvoir profiter de leurs vieux jours en bien meilleure santé que les autres.

Précisément la politique libéraliste en œuvre depuis une dizaine d'années (et même plus) va à l'encontre de tous les préjugés favorables qui bénéficient à la France depuis toujours. En limitant les visas pour les étudiants étrangers, de peur qu'ils ne se fixent en France, on ne fait que les jeter dans les universités étatsuniennes ou chinoises qui les accueillent à bras ouverts, parfaitement conscients des retombées bénéfiques pour leurs pays. Les Ivoiriens qui auront appris la langue des affaires outre Atlantique n'auront que des facilités pour traiter avec les entreprises américaines qui essaient de s'implanter sur le continent noir.

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Quant à la politique sociale menée par ce gouvernement, on ne peut imaginer à quel point elle désespère les peuples du monde qui aspirent tous à rattraper la France sur le plan de la protection sociale, qui souhaitent, tout simplement, profiter de la vie et qui prennent la qualité de vie à la Française pour modèle. En revenant en arrière dans tous les domaines, en détournant le mot « réforme » de son sens habituel pour casser la protection sociale, pour démanteler les services publics plus ou moins gratuits et les rendre privés et payant, le gouvernement français actuel ne va pas seulement dans le sens inverse de l'Histoire. Il porte un coup au progrès universel. Accessoirement, il affaiblit la France qui ne pourra plus compter sur le prestige de son Histoire, la force de sa culture pour faire face à la concurrence désormais mondiale.

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Un coup d’œil sur Innotrans (salon international des transports ferroviaires qui se tient à Berlin tous les deux ans) nous donne une idée des grands contrats internationaux. La France, qui avait une sérieuse avance – notamment grâce à la Recherche et Développement financée par l'Etat – est désormais concurrencée par tout le monde. Les Roumains proposent des petites locos diesel polyvalentes, les Tchèques et même les Croates fabriquent des trains inter-cités comparables à ceux qui circulent en France, aux Pays-Bas, en Italie, ou en Suisse par exemple. Les Chinois, par le jeu des transferts de technologie sont maintenant aptes à fabriquer des TGV, des Zefiro, des Shinkansen. Pareil dans le domaine de l'aérospatiale. Le Brésil possède une industrie tout à fait concurrentielle. Bien sûr, il ne s'agit pas encore de technologie innovante mais de construction et plus seulement d'assemblage. On comprend aisément qu'elle est perfectible et que ce n'est qu'une première étape décisive. Dans une telle conjoncture, ce qui fera la différence, ce n'est pas l'avance technologique dont beaucoup n'ont que faire, ni même le coût. Ce qui fera la différence, c'est l'image véhiculée par une entreprise ou un pays. Une France qui baisserait ses tarifs au prix de l'exploitation et de l'appauvrissement de sa classe moyenne ne gagnerait que des accessits. Ça, un libéraliste qui voit son intérêt à court terme ne peut pas le comprendre. La dimension universelle n'est pour lui qu'un marché.

En s'alignant sur tous les pays qui suivent docilement celle qui est encore la superpuissance, la France a tout perdre. Non seulement la population perd en qualité de vie mais ce qui fait rêver les étrangers qui regardent vers la France s'efface peu à peu. En confondant l'union des peuples et le suivisme, en confondant universalité et mondialisation libéraliste, en substituant aux règles sociales et civilisatrices par des directives strictes visant à uniformiser les goûts et les comportements, la France tourne le dos au progrès que la science et la connaissance ont entrainés au cours des siècles.

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