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la lanterne de diogène
2 janvier 2011

Train d'enfer

Certes, il ne s'agit pas d'une histoire comme celle narrée dans le film de Roger Hanin. Il s'agissait plus banalement d'un train au départ de Strasbourg à destination de Port-Bou ou de Nice. Jusque là, rien que de très banal. Seulement, les dieux se sont ligués contre ce train et les voyageurs ont mis vingt-six heures pour arriver à bon port.


À côté des intempéries et des bagarres entre voyageurs éméchés, on doit souligner les pannes mécaniques. Or, ce genre d'incident est très fréquent et depuis longtemps. Dès les début des années 1980, on a commencé à voir des locomotives retourner au dépôt peu avant le départ voire s'arrêter en cours de route et rejoindre un autre en urgence. Chaque fois ce sont des retards. L'explication tient à ce que les les visites techniques sont de plus en plus espacées afin de diminuer les coûts.

Diminuer les coûts est devenu le maitre mot pour tout et particulièrement dans les services publics. C'est Raymond Barre qui a imposé cette gestion au nom de la « vérité des prix » et parce qu'il était intolérable que l'État renfloue les déficits des services publics. C'était très habile en effet. On proclame devant tout le monde que les déficits des services publics obèrent le budget de l'État et obligent à augmenter les impôts. On affirme aussi que ceux qui ne prennent pas le train – par exemple – n'ont pas à payer pour les autres. Encourager l'égoïsme fonctionne toujours. On divise la population, on désigne des coupables dépensiers, on fait miroiter que l'argent qui sert à combler les déficits pourrait être mieux utilisé. Sous entendu, si l'on n'épongeait pas les services publics, vous en auriez plus pour vous faire plaisir.


Comme l'a souligné maitre Fanny Deetjen cette action de masse a des chances d'aboutir mais c'est exceptionnel et dû à la médiatisation. Pour un train en retard dont on parle parce qu'il y avait des juristes parmi les victimes, combien de trains sont retardés chaque jour dans le silence total ?

Une anecdote personnelle. Il y a trois ans presque jour pour jour, le train Briançon-Paris s'est arrêté dans une gare à une cinquantaine de kilomètres du départ. En pleine nuit, sous la neige, la SNCF a attendu l'arrivée d'un train de Marseille, a prélevé la locomotive et le train est reparti. Quant aux voyageurs du sud se rendant à Briançon, on les a prié d'attendre le train suivant près de trois heures plus tard. La SNCF n'a pas jugé utile d'affréter un car pour assurer la relation. De mon côté, arrivé à Paris, une équipe en uniforme nous attendait, sourire au lèvres, en gare d'Austerlitz avec des enveloppes. Dedans, un bon pour un autre voyage mais sous conditions. Concrètement, je n'ai pas pu l'utiliser.


On comprend que les voyageurs de ce train d'enfer ne veuillent pas s'en contenter.

Les incidents mécaniques ou techniques surviennent tous les jours. On vient de voir comment un incident sur un train de grande ligne, appelé « Lunéa » désormais, peut avoir une incidence sur les TER surnommés à juste titre « trains en retard ». Ce sont des conséquences en cascade. Tout cela est dû pour l'essentiel à ces économies parce qu'on nous assène depuis près de quarante ans qu'il est inadmissible et immoral que l'État dépense notre argent. Bien évidemment, on omet de rappeler que l'État dépense notre argent en échange d'un service. Faut-il rappeler ce qui s'est passé en Grande Bretagne, pays qui a le plus œuvré dans le sens du désengagement de l'État dans les chemins de fer, en privatisant le moindre hectomètre de voie, le moindre mètre carré de quai ?


Là-bas, les nouveaux propriétaires des réseaux n’ont pas investi tout en commençant par augmenter leurs tarifs. Les incidents mécaniques et les accidents mortels se  sont multipliés depuis car les voies ne sont pas entretenues et le matériel roulant non plus. A chaque fois, l'État honni a dû palier le manque d’investissement et, au total, les chemins de fer britanniques coûtent davantage au contribuable depuis qu’ils sont privatisés. Mais, par idéologie, il ne saurait être question de revenir sur ce choix et reconnaître l’erreur.

Dans le même temps, la France, avec encore un fort secteur public se lançait dans les études et les essais du TGV. Aucun opérateur privé n'aurait effectué de tels investissements avec un constructeur privé. Après avoir laissé la France essuyer les plâtres, les autres opérateurs européens, privés ou non, lui ont emboîté le pas et la dépassent comme vient de le faire l'Espagne.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/12/19/19914283.html


Pourtant, malgré cet exemple britannique édifiant, la France emprunte lentement la même voie. La SNCF qui faisait l'admiration du monde entier fait rouler des trains en mauvais état. On parcellise toutes les activités. Le résultat de cette décadence des services publics, nous le voyons tous les jours et la privatisation pourrait intervenir à n’importe quel moment puisque toutes les conditions sont désormais remplies. Ils appellent ça la « gestion par activités ».

Concrètement, la SNCF ne s’occupe plus que de commercialiser ses trains. Le réseau appartient à RFF tandis qu’elle a vendu la plupart de ses gares. Ainsi, elle ne paie plus les impôts fonciers inhérents. Le trafic de proximité a été refilé aux régions. Le trafic relevant autrefois des express ou des rapides, devenus « corail » ou « lunéa » tend à disparaître tandis que les TGV s’immiscent partout. Or, les TGV avec leurs tarifs à la tête du client –étendus à toutes les relations depuis –sont extrêmement rentables. D'ailleurs, maitre Fanny Deetjen a pointé du doigt le coût exorbitant des voyages en train aujourd'hui. Bien sûr, la SNCF répond qu'on trouve des allers-retours en première classe pour l'autre bout de la France pour une vingtaine d'euros, « offre soumise à conditions ». Bien sûr, il est bien rare qu'on remplisse ces conditions. Si l'on doit partir la semaine prochaine, il faudra se bagarrer avec tous les tarifs proposés et qui varient selon qu'on réserve par l'Internet ou qu'on se rende dans sa gare ou la boutique SNCF ou l'agence de voyage. Si l'on doit partir tout de suite, n'en parlons pas, ça coûte le prix du taxi.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/06/18154482.html

Sotteville

Une photo du dépôt de Sotteville-lès-Rouen permet de comprendre facilement ce qu'est la « gestion par activité » et ses conséquences concrètes. On y voit déjà en préfiguration ce que sera le paysage ferroviaire bientôt, quand le service public l’aura abandonné.



Il s’agit de locomotives en état de marche dites « Garé Bon Etat » mais que la gestion par activité interdit d’affecter à des trains autres que ceux prévus par leur « activité ». Explication. Il y a quelques années, la direction a imposé de répartir le parc de locomotives en fonction d’un travail spécifique : voyageurs, marchandises, travaux, Ile-de-France, manœuvres etc. Dans la même logique, la Sncf a acheté de nouvelles locos pour développer son service marchandise dit « fret » mais sans équipement pour chauffer les rames. Inutile, puisque ces locos ne tireront que des wagons. Concrètement, s’il manque une locomotive (panne, train supplémentaire etc.) pour un train de voyageurs en gare avec ses passagers (appelés désormais « clients »), au lieu d’aller chercher une motrice au dépôt le plus proche comme ça se faisait il y a peu, il faut envoyer une demande à la direction d’une autre activité et attendre la réponse. Donc, on ne pourra pas faire face à l’urgence. Ensuite, ce sera forcément une locomotive de fret. S’il s’agit d’une nouvelle, on ne pourra pas la prendre puisqu’on ne pourra pas faire fonctionner le chauffage (ou la climatisation) des voitures. Il faudra donc soit trouver une motrice plus ancienne, soit attendre que passe un autre train de voyageurs et prélever sa locomotive (donc immobiliser ce train avec ses clients), soit attendre le train suivant (s'il y en a un) et faire voyager les clients sinistrés aux places qui restent s'il y en a, soit encore affréter un autocar.

En attendant, comme les locomotives « fret » n’ont plus de train à tracter, elles sont remisées dans des dépôts comme Sotteville tandis qu’on peut en avoir besoin pour d’autres usages. Comprend qui peut. En fait, cette situation n’est pas aussi absurde qu’elle y parait. Chacune des cinq activités, avec ses couleurs de locomotives différentes, peut fort bien, du jour au lendemain être cédée à un opérateur privé qui se trouvera à la tête d’une partie du parc historique de la direction de la traction de la Sncf. Qu’il y ait une crise quelconque, voulue ou non et l’on s’en emparera pour privatiser une ou plusieurs « activités » de la traction.



Les locomotives en GBE qui ne roulent plus depuis des mois s’abiment et coûteront cher à remettre en route. En cas de privatisation, nul doute que ce sera au contribuable à payer la remise en état avant la vente au privé. S’agit-il de Sotteville ou de Sottenville ? Il est permis de se poser la question devant tant de non sens et de gabegie. Bien sûr, on ne manquera pas alors de souligner l'impéritie du service public obligé de palier les carences des autres.

On peut aussi se demander si tout n'est pas fait pour dégoûter les gens de la SNCF, entreprise d'État afin de préparer la privatisation. On a vu cet été qu'il suffit aux entreprises privées de proposer des bouteilles d'eau aux clients pour qu'ils soient contents comme un enfant qui reçoit un bonbon pas cher.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/09/27/19176157.html



Il faut être juste. Cela fait une quarantaine d'années que les syndicats et les associations d'usagers pointent du doigt ces dysfonctionnements. Cela fait des années qu'elles mettent en garde contre des incidents de ce genre. Cela fait autant d'années que la presse ne s'en occupe pas, préférant parler de la SNCF quand il y a une grève ou pour dénoncer le régime de retraites des cheminots en se gardant de rappeler que ce régime a été instauré en priorité pour les roulants et les mineurs mais devait s'étendre à tout le monde, c'est à dire à nous tous. Tant qu'on aura une presse soucieuse de flatter le contribuable, d'encourager l'égoïsme au dépens de la solidarité, on aura des incidents comme pour le train de Strasbourg. C'est tout à fait exceptionnel qu'on évoque la colère des clients du train autrement que pour s'en prendre aux cheminots. Pour une fois, on aborde les vraies raisons mais deux jours après, on n'en parle déjà plus. Que n'aurait-on dit si le retard avait été dû à une grève surprise, par exemple pour protester contre l'agression d'un contrôleur ! La presse évoquera l'amende que devra payer la SNCF à l'issue de la procédure parce que ça fera bien de s'en prendre encore une fois à l'État.

Déjà, les forums Internet qui sont consacrés à l'incident montrent une fois de plus qu'il s'agit là du déversoir de la connerie humaine. Tout le monde s'en prend aux cheminots qui n'y sont pour rien et qui doivent calmer les mécontents tout en étant d'accord avec eux. Voilà le visage de la presse française d'aujourd'hui renforcé par ce que l'Internet fait de pire.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/05/15/17899979.html


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