Noël sanglant pour les chrétiens d'Orient
Les chrétiens d'Orient subissent une brimade permanente depuis quasiment l'origine, accusés qu'ils sont de faciliter l'expansion d'une religion occidentale quand ils sont les derniers témoins de l'origine orientale du christianisme avant que cette religion ne connaisse le succès qu'on sait dans la sphère occidentale. Ils sont accusés par leurs conquérants d'autant plus que leur domination qui remonte aux 7ième et 8ième siècle n'a jamais été contestée. Ainsi va l'Histoire.
Présentement, les nouveaux massacres de ce début de siècle semblent répéter ceux qui ont ensanglanté le début du siècle dernier et servi de modèle à Hitler quand il a constaté que, malgré l'influence des chrétiens au niveau mondial, personne ne s'élevait contre comme l'a montré le plus important d'entre eux, le génocide arménien. En France, les livres d'Histoire d'après la guerre de 14 n'y font aucune mention. La situation géopolitique et les mentalités d'après la seconde guerre mondiale étaient différents sur bien des points. Concernant la situation au Moyen-Orient et dans bien d'autres parties du monde, un large consensus s'est dégagé pour ne pas interférer dans les affaires des pays nouvellement indépendants. On s'indignait timidement du fascisme qui sévissait sur tout le sous-continent américain (à l'exception notoire du Costa-Rica et du Vénézuéla), on redoutait le totalitarisme soviétique qui s'étendait jusqu'au milieu de l'Europe. On s'indignait quelque peu des actions des services secrets étatsuniens pour renverser des régimes démocratiques mais progressistes (comme au Guatémala et en Iran) ou pour maintenir des régimes qui leur étaient favorables (comme en Indonésie).
En revanche, il était de bon ton de laisser faire partout ailleurs. Un pays africain pouvait taxer facilement ses minorités ethniques ou ses opposants pour des nostalgiques de la colonie afin de légitimer qu'on les opprime. On trouvait tout à fait normal que dans nombre de pays d'Afrique et d'Asie, quand élections il y avait, les électeurs n'aient pas d'autre choix que le seul bulletin à leur disposition puisque c'était celui d'une formation forcément progressiste vu qu'elle avait succédé à une administration coloniale. Par la suite, la vague de contagion démocratique des années 1980 et 1990 a vu l'apparition d'autres listes et d'autres candidats mais chacun savait bien qu'ils n'avaient aucune chance. Soit ils apparaissaient pour servir de caution démocratique, soit ils n'avaient pas accès aux moyens de propagande du parti en place. Cette situation demeure puisque, récemment, les élection en Égypte ont été plus que douteuses sans que personne ne s'en émeuve plus que ça. Dans ce pays, on s'apprête à voir le propre fils du Président de la république succéder à son père à la magistrature suprême comme on l'a vu en Syrie. Encore une fois, la tradition s'est établie dans les années 1960 de ne pas critiquer les pays dits « non-alignés » qu'ils soient démocratiques comme l'Inde ou non, comme la plupart des autres. Pas question de critiquer le Nigéria qui réprimait les indépendantistes biafrais. Pas question de critiquer l'Inde qui appuyait la création du Bengladesh aux dépens d'un autre pays souverain. Après, on pouvait bien envoyer des médecins sur place ou organiser des concerts pour aider les victimes de ces guerres.
Dans ces conditions et, comme nos livres d'Histoire ne les mentionnent pas, les chrétiens d'Orient passent en pertes et profits. La mentalité dominante les assimile soit à des Européens qui ont fait souche mais qui ne sont quand même pas chez eux, soit à des convertis qui ont préféré lécher les bottes des colons plutôt que de résister comme c'était leur devoir. Un simple repère sur une Histoire chronologique devrait pourtant suffire pour rappeler l'antériorité du christianisme au Moyen-Orient sans pour autant passer sous silence le judaïsme, le manichéisme, le zoroastrisme et encore beaucoup d'autres tant cette région a été le creuset d'un nombre considérable de religions. Cela fait d'ailleurs son malheur puisque les antagonismes n'ont pas cessé et que, généralement, la nouvelle religion s'est implantée, d'abord en essayant d'anéantir celles d'avant.
Les chrétiens d'Orient, après avoir été persécutés par l'occupant romain ont dû se replier devant l'expansion de l'islam au 7ième siècle puis subir la loi ottomane qui les reconnaissait moyennant le paiement d'un impôt supplémentaire.
Une fois en place, l'Empire Ottoman n'a pas été invivable pour les chrétiens pas plus que pour les juifs dans la mesure où ils restaient discrets. L'accord signé entre François 1er et Soliman le Magnifique fait de la France la protectrice des chrétiens d'Orient. C'est pour cela que c'est l'administration impériale française qui a établi le Statu Quo sur les lieux saints de Jérusalem et pour ça que la France a participé à la guerre de Crimée. Ce firman est encore valable aujourd'hui.
Comme si les chrétiens d'Orient n'avaient pas assez de problèmes avec les autorités des pays où ils vivent, il faut encore qu'ils soient divisés. Dans tout le Moyen-Orient, on compte une vingtaine d'Églises qui, malgré de nombreux points communs cultivent farouchement leur particularités. Ces divisions qui paraissent bien ridicules et qu'on moque sous le terme de « querelles byzantines », reflètent l'Histoire mouvementée des discussions théologiques et des batailles internes dans l'Empire Byzantin, l'Empire Ottoman jusqu'à son délitement. Bien sûr, la situation serait plus simple s'il n'y avait que des catholiques et des orthodoxes plus quelques protestants arrivés plus tard. À côté de ces grands groupes qui sont loin d'être majoritaires là-bas, on trouve une myriade d'Églises qui, en plus, se sont encore divisées au fil du temps quand certaines se sont rapprochées de Rome. Difficile pour nous de comprendre cela quand nous avons vécu sous la coupe d'une Église (devenue catholique) omniprésente et omnipotente et finalement décadente. Cette Église hégémonique, compromise avec les pouvoirs et l'argent a été remise en cause par la Réforme. Pendant ce temps, en Orient, on perpétuait des rites et des traditions héritées de l'Église d'Antioche voire du Cénacle. Le rythme de l'Orient est à des années lumière de celui que nous impose la technologie. Bien sûr, ce serait plus facile si les États du Moyen-Orient pouvaient négocier avec le Saint-Siège des accords pour les minorités chrétiennes. Seulement, la plupart d'entre elles ne reconnaissent pas l'autorité du pape et s'en défient tout au contraire. C'est qu'elles existaient bien avant l'instauration de la papauté à Rome et la fondation des Églises occidentales. Privés d'appuis au niveau international, les chrétiens d'Orient sont régulièrement la cible de fanatiques d'autres religions et doivent subir des lois discriminatoires ou des brimades au quotidien dans une indifférence coupable qui encourage la récidive. Le délabrement du quartier copte du Caire et l'état de la voirie en montrent un exemple particulièrement saisissant. L'accès à l'emploi entretient aussi le communautarisme en contraignant les jeunes à ne trouver de travail qu'au sein de leur groupe ; et au Moyen-Orient, le groupe se définit d'abord par sa religion.
Après la première guerre mondiale et la chute des empires, on espérait une redistribution des cartes pour tenir compte de l'aspiration des peuples à disposer d'eux-mêmes ; notion qui commençait à se répandre dans les chancelleries. Le traité de Sèvres et des conférences internationales avaient ouvert la voie à la suite du Président Wilson. Kémal Atatürk a négocié habilement et le traité de Lausanne de 1923 a été bénéfique à la Turquie qui s'est étendue sur les territoires qui auraient dû revenir à l'Arménie et au Kurdistan si l'on avait satisfait leur désir d'indépendance ainsi que c'était prévu ; sans parler de la Thrace au dépens de la Grèce et de la Cilicie aux dépens de la Syrie. On mesure aujourd'hui les conséquences terribles du non respect des promesses. À l'époque, on avait joué la carte d'une Turquie laïque et tournée vers l'Europe contre la menace soviétique. Toujours cette idée de 'tout sauf les Rouges'. Par réalisme, on n'a pas accédé aux demandes des Assyriens car l'Angleterre préférait un mandat sur l'Irak qui lui assurait l'approvisionnement en pétrole suite aux missions du fameux major Lawrence.
Les Assyriens, désignent un ensemble d'Arabes (voire de peuples précédent l'invasion du 8ième siècle) de confessions chrétiennes et de langue araméenne (parlée par Jésus) regroupés sur un territoire homogène au nord de la Mésopotamie. Pas plus que les Arméniens et les Kurdes, ils n'ont obtenu la moindre satisfaction. L'Angleterre qui dominait la Société des Nations et les États-Unis qui ont émergé à la faveur du premier conflit mondial sont deux Nations de tradition réformée qui voient assez mal ces chrétiens sortis de la nuit des temps et dont les rites rappellent les premiers catholiques qu'ils ont rejetés. Quant à la France qui venait d'adopter le principe de laïcité deux siècles après la philosophie des Lumière, elle se souciait peu de ces peuples lointains qui, précisément, formaient le berceau du christianisme honni. Surtout, après la guerre de 14-18, le danger était l'Urss et la stratégie consistant à s'appuyer sur des monarchies arabes dociles et sur une Turquie moderne passait avant les revendications des Arméniens, des Kurdes, des Juifs et des Assyriens. On voit que cet aveuglement a des conséquences encore aujourd'hui.
Après le renversement de certaines monarchies arabes, les pays occidentaux voyaient d'un mauvais œil les régimes progressistes et laïques qui les avaient remplacés et qui se tournaient vers l'Union Soviétique. Jusqu'à une date très récente, on n'a pas hésité à favoriser les intégristes musulmans afin d'affaiblir dans ces pays la gauche laïque ou à les encercler de monarchies ultra-conservatrices. C'est ce qu'a fait Sadate en Égypte pour diminuer l'influence de la gauche nasserienne. On a vu comment il en a été remercié. Tant que la Syrie est protégée par l'Arabie Saoudite, on ne cherche pas trop à embarrasser le régime baasiste (idéologie pan-arabe fondée par le socialiste chrétien Michel Aflak). Pour l'Irak, nous voyons tous les jours les conséquences d'intérêts à très court terme. Si l'on craint une intervention de l'Iran pour défendre les chiites irakiens, si l'on craint un embrasement en cas de menaces sur les Kurdes, en revanche on n'a rien à craindre quand on massacre les chrétiens. En son temps, Nasser avait inauguré la nouvelle cathédrale Saint-Marc du Caire avec le pape des coptes comme il le faisait pour les nouvelles mosquées bien que lui-même ait été laïque. Cet édifice qui porte le nom de Marc, un compagnon de Jésus, souligne la présence chrétienne en Égypte depuis plus de deux mille ans.
Il y a peu de chances pour que les chrétiens d'Orient soient soutenus d'une façon ou d'une autre. D'ailleurs, un quelconque soutien extérieur serait aussitôt qualifié d'ingérence dans les affaires des États qui laissent massacrer les minorités chrétiennes et autres. Le jeu est subtile puisque ça apparaitrait aussitôt comme un soutien de l'Occident aux chrétiens d'Orient qui seraient aussitôt désignés comme des agents de l'étranger et leur élimination serait justifiée. En Europe, bien peu se mobilisent pour eux. Souvent, il s'agit de groupes d'intégristes ou d'extrême-droite avec lesquels les chrétiens d'Orient n'ont aucune affinité et qui plus est les discréditent vis à vis de l'opinion publique. Des journaux chrétiens comme Pèlerin ou La Vie évoquent un peu le sort de leurs presque coreligionnaires. Marianne attire régulièrement l'attention de ses lecteurs mais rien du côté du Monde Diplomatique, par exemple. De toute façon, nous manquons des bases historiques les plus élémentaires pour tout ce qui touche aux autres continents. Quelque soit notre orientation, dans nos esprits chrétien = catholique ; catholique = Rome et l'Occident ; Occident = colonisation ; donc il ne devrait pas y avoir de chrétiens ailleurs qu'en Europe et en Amérique du nord (et encore). Finalement, ils ne sont pas chez eux là-bas. Guy Bedos, au moment de la guerre contre l'Irak de 1990, dans un sketch des plus pertinents, s'était moqué de l'archevêque de Bagdad en ces termes : « y a pas que des bougnoules là-bas ». Eh bien si, les chrétiens d'Orient en sont aussi.
Dans un quelconque autre environnement, le comportement des chrétiens d'Orient serait salué avec admiration et sympathie. On mettrait en avant ces petites communautés qui ont su résister aux pouvoirs, à la répression, à la papauté, aux changements de sociétés, qui ont conservé des rites plurimillénaires, qui lisent dans des livres écrits peu après la mort de Jésus dans la langue qu'il parlait. Dans le contexte tumultueux du Moyen-Orient, on accepte que les pouvoirs assimilent ces minorités à des traitres responsables de tous les maux dont souffrent leurs populations du fait de l'incapacité de leurs gouvernants. Partout ailleurs, on dénoncerait ce repli identitaire, cette purification religieuse organisés par des gouvernements qui n'ont ni opposition démocratique ni presse indépendante.
Dans les mois qui viennent, tout au plus verra-t-on des pays comme l'Australie ou la Suède faciliter davantage l'accueil d'exilés chrétiens provenant du Moyen-Orient et, dans une moindre mesure la France et les États-Unis – sourcilleux pour tout ce qui touche à l'immigration comme le montrent les réfugiés d'Haïti qui poireautent – qui regarderont leurs dossiers à deux fois avant de se prononcer et dans combien de temps ? Pendant ce temps, meurent les chrétiens d'Orient.
À noter que le Conseil Français du Culte Musulman a décidé d'envoyer une délégation pour assister à la messe de minuit dans l'église copte de Chatenay-Malabry menacée par des terroristes mais le curé a refusé sa présence
II faut saluer ce geste dont on peut espérer qu'il soit multiplié et pas seulement entre religions monothéistes. De son côté, Yasser Arafat assistait à la messe de minuit dans l'église catholique romaine de Bethléem pour souligner l'importance des chrétiens dans les instances dirigeantes de l'OLP. Pourtant,l'Église catholique ne fait pas partie des Églises d'Orient proprement dites, bien au contraire.
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