Impressions soleil levant

Ça n'a pas fait grand bruit. Et pourtant, cet appel lancé dans un magazine branché par des intellectuels musulmans mérite qu'on y donne un fort retentissement. Il y a comme un rayon de soleil qui pointe du côté de l'Orient.

http://www.respectmag.com/2011/01/12/signez-lappel-lislam-bafoue-par-les-terroristes-4758

Leur propos consiste à se révolter contre tous ceux qui tuent au nom de leur religion, l'islam. Les mots sont forts : instrumentalisation, usurpation. On le savait plus ou moins mais on feignait, pour diverses raisons, de l'admettre préférant faire l'amalgame entre l'islam et le terrorisme. Il faut dire aussi que nombre de musulmans se laissent impressionner par le verbiage de personnalités instruites, qui font des citations du Coran (invérifiables), qui imposent leur interprétation, qui énoncent qu'on ne peut pas discuter ce qui vient de Dieu. En appeler à Dieu finit par achever de convaincre les plus placides.

Là, les mots de cet appel des intellectuels, qui ont lu et connaissent aussi bien le Coran et les Hadiths que les autres, relèvent résolument du domaine du banditisme : « rapt », « démasquer les faussaires ». Ils renvoient la violence, le meurtre à sa nature véritable en lui retirant les apparences religieuses dans lesquels ils trompent l'opinion.

Il faut que les musulmans en aient assez pour oser se lever contre ceux qui manient les armes et tuent les autres qui ne partagent pas leur foi ou qui veulent seulement discuter.  Du courage, il en faut mais il semble la seule réponse à l'exaspération de l'immense majorité des musulmans qui aspirent à pouvoir pratiquer (ou non) leur religion et continuer à bien s'entendre avec leurs voisins comme tout un chacun. Pourtant, cet appel a eu moins d'écho qu'une déclaration sortie de son contexte et qui appellerait à plus d'intégrisme dans la pratique de l'islam. Faut-il que nous soyons bien malades pour nous délecter du conflit et dédaigner les appels à la paix !

Dans le même temps, des émeutes ont lieu au Maghreb. D'après les informations que nous recevons, ni en Tunisie ni même en Algérie, l'opposition n'a manifesté derrière des revendications religieuses. Il paraît même qu'un haut dirigeant de la mouvance intégriste et violente en Algérie a été conspué par la foule alors qu'il était apparu en public pour tenter de canaliser la révolte à son avantage. La jeunesse qui forme la grande majorité de ces pays est musulmane. Elle pratique la religion mais n'admet visiblement plus qu'on lui dise d'en faire toujours plus, de porter des vêtements distinctifs, d'obliger les autres à en faire autant, de vivre dans la restriction afin de masquer l'incompétence et l'échec des dirigeants. Cette jeunesse n'admet visiblement plus que les figures de l'intégrisme s'immiscent dans leur vie privée pour leur faire des leçons quand ils manquent de l'essentiel pour vivre tranquillement : avoir de l'eau courante, des aliments variés et abondants pour les uns, le droit de s'exprimer pour les autres, du travail correspondant à leurs compétences pour tous.

C'est une réponse à ceux d'entre eux – avec lesquels ils se sentent de moins en moins de ressemblance – qui essaient de créer des situations de pénurie afin que la population se révolte un peu et se tournent beaucoup vers la religion. Ils deviendraient alors les chefs et les privilégiés.

Cette tendance observée ces derniers temps n'est pas si nouvelle que cela mais, obnubilés par les informations sensationnelles, elle avait été mise à l'écart et la grande masse des musulmans avait fini par croire qu'il y avait, effectivement, un élan vers plus d'intégrisme et que c'était la voie à suivre. Pourtant, les manifestations qui ont suivi l'élection présidentielle en Iran avaiten indiqué clairement que les musulmans et notamment les jeunes en ont plus qu'assez d'être incités à des pratiques restrictives voire au meurtre par des chefs autoproclamés et arrogants. Pour le moment, la force l'a emporté mais il n'y a aucun exemple qui montre qu'à terme, une aspiration ultra majoritaire ne finit par s'imposer. Les dictatures d'Amérique latine et d'Europe de l'est sont tombées les unes après les autres. Comme par hasard, l'instauration de la démocratie s'est aussi traduite par une amélioration du niveau de vie, en partie contrariée par l'ultralibéralisme qui laisse pour compte bien des gens. Mais, l'obscurantisme religieux et le fanatisme ne combattent pas l'ultralibéralisme qui s'en accommode fort bien.

Dans l'immédiat, on aurait tort de ne pas s'associer à cette aspiration de la jeunesse musulmane, instruite et éprise de paix comme tout le monde. Le pire serait de les qualifier de « musulmans modérés ». Ils se trouveraient aussitôt en porte-à-faux vis-à-vis de ceux qui leur pourrissent la vie et les font passer pour des terroristes par définition. Qu'on se souvienne du procès des poseurs des bombes dans les magasins parisiens dans les années 1980. Face aux survivants parmi leurs victimes et incapables de répondre, ils récusaient leur qualité de musulmans ce qui augmentait la douleur des victimes dont la foi était niée par leurs bourreaux. Nul doute qu'il le feront avec les signataires de cet appel intitulé : L'islam bafoué par les terroristes. Ce sont des musulmans aussi bons musulmans que ceux qui éructent des mots haineux et appellent à la violence. Ce sont des musulmans, un point c'est tout.

À l'heure des échanges et des voyages intercontinentaux, à l'heure de l'Internet qui nous donne accès aux cultures du monde entier, aux arts de tous les continents, aux écrits de toutes les langues, il y a mieux à faire que de nous focaliser sur nos différences et de rechercher on ne sait quel choc de civilisations. La connaissance de l'autre nous montre surtout que, au-delà de nos différences, il y a beaucoup plus qui nous ressemble et qui nous rassemble.