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la lanterne de diogène
16 janvier 2011

Le monde arabe bouge

Bien sûr, ces jours-ci, les regards sont braqués vers la Tunisie lorsqu'on évoque les changements dans le monde arabe. On fait référence aux révolutions françaises, dans la mesure où c'est la population qui, spontanément, est descendue dans la rue. Ben Ali est comparé à Charles X. On rappelle ce règne autoritaire, dictatorial même de vingt-trois ans. On honore, à l'occasion, les mânes du « grand Bourguiba » en oubliant que lorsque son successeur l'a évincé pour raison médicales, on saluait ce changement salutaire et l'on rappelait le régime autocratique et la mausolée en construction au moment de la transition peu démocratique. Tout le monde se réjouissait de ce changement et les commentaires dépréciatifs envers celui qu'on appelle depuis quelques jours « le grand Bourguiba » s'estompaient devant l'avenir radieux qui s'ouvrait en Tunisie. Ben Ali qui avait déposé Bourguiba, connait une fin aussi peu glorieuse. La gérontocratie est sans avenir.


Dans le même temps, nous parvenait une autre information beaucoup plus significative et autrement plus nouvelle que des émeutes dans un pays non démocratique et en voie de développement. Cette nouvelle passera volontiers pour anecdotique. Elle provoquera la colère de beaucoup d'intellectuels notamment en France. Le pilote Nasser Al-Attiyah remporte le rallye Dakar qui s'achève en Argentine. Pour la toute première fois, un Arabe gagne une compétition automobile. Jusqu'à présent, ils regardaient passer les rallye-raids dans leurs pays où les routes en mauvais état et les contrées incultes qui rendent la vie si difficile attirent les sportifs du Nord en quête de sensations fortes.


Cela signifie que les Arabes, désormais, affirment leur envie de vivre comme les autres, d'avoir accès au superflu, aux loisirs. On peut penser que cette revendication n'est pas récente. Jusqu'à présent, elle était frustrée et les populations arabes, facilement résignées, acceptaient plus ou moins d'appartenir à des générations sacrifiées. Elles acceptaient, bon gré, mal gré, d'être dirigées par des familles ou des partis politiques sans qu'on leur demande jamais leur avis. À l'heure où le moindre taudis est relié au monde par une antenne parabolique, ça ne passe plus. Il ne suffit plus de leur dire qu'ils appartiennent à un peuple martyr, à une élite injustement écartée. Les populations arabes ont envie de vivre même simplement mais avec un minimum et avec droit au chapitre.


Ce qui est encore plus nouveau, ce n'est pas tant cette aspiration dont on peut penser qu'elle était simplement en sommeil voire en léthargie forcée. Le véritable changement vient du fait que, au plus haut niveau, on aspire à un mode de vie qui paraît plus agréable et on entend en faire profiter tout le monde. Jusqu'à présent, lorsque les dirigeants voulaient se détendre, ils prenaient leur avion personnel et allaient dans un pays où ils pourraient se laisser aller et dépenser leur fortune. Maintenant, après avoir étudié à l'étranger, avoir été imprégné d'autres cultures, ils reviennent avec des préoccupations concrètes et quelque peu altruistes. Les Émirats Arabes Unis tracent une voie qui fait rire ici où l'on se satisfait davantage du cliché de l'Arabe prosterné et soumis à un roitelet se prélassant dans un palais, un diamant à chaque doigt. C'est comme ça qu'on aime voir les Arabes par ici. Quand ils construisent des tours, quand ils développent un programme d'énergies renouvelables, ils provoquent la moquerie. Quand, en plus, ils prétendent faire du ski dans le désert ou organiser la Coupe du Monde dans des stades climatisés, ils deviennent méprisables. Ceux qui se moquent, ici, ne se rendent même pas compte qu'ils veulent seulement vivre comme nous, qu'ils mettent leur fortune au service de projets à long terme qui anticipent sur la fin du pétrole et de sa manne.


Ce n'est pas la première fois, que des peuples appartenant à un ensemble homogène prétendent vivre beaucoup mieux après des décennies à trimer, lorsque, enfin, la richesse globale augmente et que ça se remarque dans la vie de tous les jours. L'Asie a été précurseur.  Les petits dragons, comme on les surnommait, ont vu leur niveau de vie augmenter en même temps qu'ils quittaient leur activité habituelle dans le textile pour se consacrer aux nouvelles technologies. Il s'agit de pays comme la Thaïlande, Taïwan, la Malaisie, Singapour et avant la Corée. Seulement, ça ne plaisait pas à la finance internationale qui se satisfaisait davantage d'une masse nombreuse, corvéable à merci et bon marché, capable de produire pour un bol de riz et un grabat des appareils électroniques sophistiqués revendus dans les pays riches, à peine moins cher que les autres, dégageant ainsi de confortables profits pour les actionnaires. Un crise immobilière qui, curieusement, a affecté des pays aussi éloignés et différents les uns des autres a mis fin à l'élan de ces peuples. Du moins, a-t-il été entravé pour un temps car l'aspiration est irrémédiable mais le message était clair. On ne veut pas que le Tiers-monde laborieux secoue son joug.


Pour les Arabes, ce sera sans doute plus difficile. Certes, on a commencé à tourmenter les Émirats qui se sont lancés dans des programmes pharaoniques histoire de leur rappeler qu'on aime les voir dans les mosquées pour bien contrôler le peuple mais qu'on n'a pas envie qu'ils se passent des financiers et échappent aux spéculateurs. L'indépendance financière que leur assure pour le moment la rente pétrolière agace, surtout si elle est investie au lieu d'alimenter la spéculation. Pour le moment, ils peuvent encore faire pression avec le pétrole. C'est peut-être sur cette matière fossile que repose l'espoir de ces populations. On a tout intérêt à voir un monde partager des valeurs positives même très imparfaites comme la démocratie plutôt qu'un monde entretenant les antagonisme, les haines et pariant sur l'exploitation des richesses naturelles et des populations résignées. Le monde arabe, qui s'est écarté du progrès depuis la chute du califat de Cordoue, entend ne plus subir et reprendre une place à la mesure de sa population. Il faut entendre ce message et l'accompagner. Le temps n'est plus aux affrontements.

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