Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
22 avril 2011

La Fille du puisatier

 

D'abord, éliminons ce qui ne va pas. Le train qui emporte les soldats provençaux dans le nord de la France pour la Grande guerre est purement anachronique. Ce type de locomotive est apparu après la deuxième guerre mondiale et a été acheté aux États-Unis. Il porte l'emblème de la SNCF créée en 1937. seulement, en France, le train est tellement associé à la société nationale qu'on n'imagine même pas qu'il ait pu en être autrement ni qu'il en sera autrement d'ici peu. Pour la presque totalité des voyageurs français, train = SNCF alors que c'est de moins en moins vrai et que, ne serait-ce que les omnibus appartiennent aux Régions. Daniel Auteuil s'est trouvé confronté au problème des reconstitutions historiques. Évidemment, on ne peut pas reconstruire un train d'époque pour moins de deux minutes de film. Pareil pour les autres véhicules utilisés. Alors, on ramasse tout ce qui est vieux. D'ailleurs, pour la plupart des gens, tout ce qui date d'avant sa naissance est vieux et le passé est un vaste ensemble où Clovis côtoie Jules César, Saint-Louis et Jeanne d'Arc se connaissaient. Louis XVI a succédé à Henri IV un peu comme Chirac a succédé à Mitterrand. Napoléon et De Gaulle se sont ratés de peu puisqu'ils vivaient tous deux au moyen-âge. C'est à peine exagéré.

 

Maintenant, « La Fille du puisatier » me permet de rappeler que je tiens Marcel Pagnol pour l'un des tout meilleurs écrivains de langue française du siècle dernier. Il n'est certainement pas la caricature que véhiculent à l'envi ceux qui se targuent de faire partie de l'élite ou qui se croient tout court.

 

la_fille_du_puisatier_Astrid_Berges_FrisbeyPagnol raconte des histoires de gens modestes voire de pauvres gens. Pagnol aime ses personnages. Il ne les juge pas. Il les condamne encore moins. Ses personnages, ce sont des gens que nous pourrions rencontrer s'ils vivaient à notre époque. Ils exercent les métiers auxquels on a affaire dans la vie de tous les jours : boulanger, instituteur, maire, cafetier, fonctionnaire venu de l'autre bout de la France comme c'est la tradition, épicier, chef d'une petite entreprise. Beaucoup de ces métiers ont disparu, remplacés par d'autres. Ses personnages sont jeunes et moins jeunes. Les jeunes ont les mêmes problèmes que les jeunes d'aujourd'hui, les mêmes envies, les mêmes passions. Ils font des rêves. L'un a besoin de place. Il veut traverser les océans. L'autre a besoin d'air et n'hésite pas à piloter un des premiers avions. Les filles rêvent d'un bon mari tout en restant lucides. Pourtant, à chaque fois, elles se laissent emporter. On ne rit pas tant que ça en voyant un film de Pagnol ou d'après une œuvre de Pagnol. Au début, on sourit de l'accent, des expressions, du chant des cigales, du pastis. Et puis, très vite, on se recentre sur l'essentiel. Un idylle nait, improbable. C'est le ressort de bien des films. Sauf que dans les histoires de Pagnol, rien n'est simple sauf les personnages. Ils sont emportés dans des contradictions, des intérêts contraires. Ils ne savent pas s'ils ont raison quand ils laissent parler leurs cœurs. Il y a toujours un imprévu. Cette fois, c'est la guerre qui appelle le jeune-homme et sépare les amoureux. Un enfant va naitre de cette éphémère rencontre mais il n'aura pas de père.

 

Crois-moi, ça vaut bien toutes les tragédies du répertoire classique. Alors, bien sûr, pour les élites, les grandes passions ne peuvent exister que chez les princes et de préférence en des époques et des latitudes lointaines. Ça met une distance. En plus, ça permet de briller en rappelant que les personnages ont existé et l'on peut situer le contexte de l'époque. Chez Pagnol, il n'y a pas de prince ni de princesse. En revanche, les familles qui se déchirent, les familles qui se détestent sont présentes comme dans la vie de tous les jours.

 

la_fille_du_puisatierQui pourra dire que le conflit que doit affronter Patricia, la fille du puisatier, ne vaut pas les situations cornéliennes ? Ce mépris des élites pour le petit peuple de Pagnol, pour les gens de la province, on le retrouve dans la vie de tous les jours. Tout se décide à Paris. Tout ce qui se passe ailleurs n'intéresse pas les élites. Surtout, les élites ne comprennent pas le peuple. Elles ne cherchent pas à le comprendre. Dans le meilleur des cas, elles lui suggère de faire comme elles, de suivre son exemple. On entend parfois des personnes en appeler à « tirer le peuple vers le haut ». Ça paraît bien de prime abord mais ça révèle surtout la méconnaissance totale du peuple qui a des préoccupations très concrètes. Et puis, quel mépris que de penser qu'il failler tirer le peuple vers le haut. Ça veut dire très concrètement qu'on pense qu'il est bien bas. C'est abject !

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/06/16403989.html

 

Les passions qui habitent les œuvres de Pagnol relèvent des grands drames shakespeariens, raciniens ou cornéliens. Chez Pagnol, pas de roi, de chef de guerre, pas de conseiller du prince, pas de confidente, pas de valet, rien que des personnes bien ordinaires qui vont vivre des situations portées au paroxysme mais que nous reconnaissons pour les avoir vécues de près ou de loin. Chez les auteurs classiques cités, le contexte historique, le choix de la noblesse introduit une distance très théâtrale mais aussi qui rend la situation abstraite. D'ailleurs, on ne les connait plus que comme sujet d'étude à l'école. Les grands classiques ne sont presque plus joués parce qu'on croit que le public ne viendra pas. C'est vrai que quand on voit le prix des places... Les élites ne s'intéressent qu'à l'abstraction. Les citoyens, les salariés sont des variables d'ajustement. Le chômage est un sujet d'étude tout comme la santé. Après, on s'étonne que le peuple ne va plus voter.

 

Pour le peuple, l'amour, la santé, le chômage, ce ne sont pas des sujets abstraits qu'on va aborder en introduisant un élément ou un personnage. C'est la vie quotidienne bien concrète. Inversement, le vote qui paraît abstrait au peuple quand il voit que les candidats et les élus ne savent rien de sa vie de tous les jours.

Il est évident que les gens qui parlent de « pagnolade » pour qualifier les relations qu'entretiennent les gens du peuple ne peuvent pas s'intéresser à eux.

 

Alors, quand on voit « La Fille du puisatier », on ressort avec un peu du soleil de la Provence, parce que la Provence, c'est le soleil toute l'année et partout et surtout dans le cœur des gens. Il en est question dans le film. Ensuite, ça fait du bien de voir des personnes presque pauvres mais honnêtes. La pauvreté, ce n'est pas le permis d'emmerder le monde même si l'on a de bonnes raisons. Marcel Pagnol était fasciné par l'honnêteté. Il en fait l'éloge quand il évoque son père instituteur ou Topaze qui finira par se révolter. Surtout, il sublime les pauvres gens qui, dans le malheur qui les accable, restent honnêtes. Ça s'appelle, je crois, la dignité.

la_dignit_

En écrivant ces lignes, je revois la silhouette de mon ami Serge qui a tant souffert dans sa vie et qui n'a jamais oublié le commandement de sa grand-mère au moment où elle le mettait sur le bateau en partance pour Marseille, justement : « n'oublie jamais de rester honnête ». Serge était encore plus pauvre que les artisans, les ouvriers et les paysans de la Provence de Pagnol. Il aurait eu 71 ans le 13 avril dernier.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/12/31/7399232.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/04/13/17559081.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/05/13/1972106.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/07/17/2307359.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/05/11/9132805.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/05/11/9132805.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/06/29/9748428.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/11/05/11250528.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/05/13/13718195.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/20/16595472.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/04/13/10465127.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/12/30/16325481.html

 

 

Marcel Pagnol, c'est l'écrivain qui porte la parole du petit peuple. C'est sans doute pour ça qu'on le méprise et que ses œuvres sont traitées comme on traite le populo. Ses dialogues sont truffés de bons mots, de belles formules imagées comme il faut pour que tout le monde comprenne et ressente le poids sentiments. Et qu'est-ce qu'ils sont beaux, les sentiments des gens simples !

 

la_fille_du_puisatier_18744_997463600Les photos proviennent de http://www.cinemovies.fr/fiche_photos.php?IDfilm=18744

 

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 703
Newsletter
Publicité