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la lanterne de diogène
10 mai 2011

Mitterrand il y a trente ans

 

Donc, il y a trente ans, François Mitterrand était élu à la Présidence de la République. On fait beaucoup de raffut cette année autour de cet anniversaire, sans doute parce qu'on voudrait voir réitérer l'exploit l'an prochain.

 

Le contexte

 

Oui, c'était un exploit. Comme la mémoire est une des choses les moins bien partagées au monde, il faut se replonger un peu dans l'atmosphère de la fin des années 1970. Quand je vois comment sont présentés dans les universités, des faits que j'ai vécus, dont j'ai été témoin, je m'inquiète un peu de ce qui se dit en ce moment.

Après Mai 68, la société française sclérosée a beaucoup évolué en ce sens que les mentalités ont changé. Ça, c'est ce qu'on peut appeler un changement imperceptible seulement souligné par quelques gadgets comme la suppression des estrades dans les salles de classes afin de ne pas mettre les élèves en-dessous du professeur. Était-ce un souhait, même inconscient, des élèves ? On voit beaucoup d'initiatives de ce genre depuis.

 

Les années 1970 ont vu le début de la crise suite au choc pétrolier de 1973. Jean Fourastié a surnommé, plus tard, les années précédentes « Les Trente glorieuses » mais, à l'époque, on ne savait pas que c'était la fin. Tout le monde pensait que ce serait un mauvais moment à passer mais qu'en prenant les mesures adéquates on pourrait venir à bout du chômage qui commençait à décimer les ménages, et qu'on finirait bien par juguler l'inflation qui ruinait les États. On pensait qu'avec la volonté politique, on sortirait de cette crise. On retrouve cette illusion prégnante qu'avec la volonté, on peut tout. Ce qu'on n'avait pas pris en compte, c'est qu'à la faveur de cette crise, le grand capital a entamé une véritable reconquête afin de reprendre petit à petit tout ce qu'il a dû céder aux travailleurs et qui a permis, justement, de faire tourner l'économie pendant ces années « glorieuses ». Bien à l'abri grâce au capital accumulé, les possédants peuvent encore se permettre de ruiner les ménages. Ceux qui y avaient intérêt savaient, eux, que la crise allait durer, qu'il fallait la faire durer pour conserver leur position dominante.

 

En France, la bataille entre MM. Giscard et Mitterrand portait sur la façon de sortir de la crise. À l'époque, les deux problèmes majeurs étaient l'inflation à deux chiffres et le chômage qui commençait. Devant l'échec du premier, aux affaires depuis des années – comme ministre des Finances puis comme Président – les électeurs ont choisi le changement sur fond de scandales politiques à répétition. D'un côté, il y avait un camp qu'on n'appelait pas encore « la droite » tant ce terme était lié aux heures sombres de l'Histoire. On ne l'appelait pas non plus « libéraliste » ou « ultralibéral » comme aujourd'hui, car les théories fumeuses de Milton Friedman n'étaient pas encore répandues ici. C'est Barre, le Premier Ministre du Président Giscard qui allait les populariser. Barre prétendait que « les chômeurs n'ont qu'à créer leurs entreprises », que « le chômage baissera mécaniquement à partir de 1984 » du fait de la démographie, qu'il fallait pratiquer « la vérité des prix ». La vérité des prix, consistait à faire payer aux utilisateurs des services publics le prix exact de la prestation et non plus un prix bas compensé par l'impôt. Il ne fallait plus que la SNCF soit en déficit et que les gens qui ne prennent pas le train paient pour les voyageurs. C'est avec lui qu'on a commencé à monter les Français les uns contre les autres. Pas question que les impôts que je paie servent pour les autres. Pas question de combler les déficits. Le résultat, nous le voyons aujourd'hui : les services publics ne peuvent plus remplir leurs missions, les trains n'arrivent plus à l'heure mais la SNCF fait des bénéfices.

 

Le changement

 

En 1981, c'est cette politique-là qui a été sanctionnée. Il faut rappeler dans quel environnement s'est déroulée la campagne et pourquoi les électeurs ont à ce point voulu le changement. Le « changement » est devenu le mot à la mode en ce printemps 1981.

Tout le monde rappelle à l'envi la fête place de la Bastille le dimanche soir avant qu'un bon orage calme tout le monde. L'euphorie qui a grandi, dès les minutes suivant la proclamation des résultats était exceptionnelle et, pour tout dire unique. L'atmosphère dans les jours et les semaines, ajoutée aux beaux jours, donnait l'impression que tout allait changer, que le monde serait meilleur et que plus rien ne serait plus comme avant. On a appelé ça un peu bêtement « l'état de grâce ». Jamais plus on n'a connu cela. Les journalistes qui aiment bien les formules toute faites utilisent, désormais, l'expression après chaque présidentielle mais c'est sans commune mesure. Il est bien évident que si une majorité d'électeurs voit son candidat l'emporter, elle va exprimer sa joie. M. Chirac a été acclamé après quatorze ans de présidence de Mitterrand et une fin de règne calamiteuse. M. Sarkozy l'a été avec son style qui plaisait aux jeunes parce qu'il parle comme eux tandis que les autres plébiscitaient son air de vouloir tout casser. Cependant, ce n'est pas comparable avec ce qui s'est passé en 1981. Le « changement » de 1981 était comme une embellie dans la vie intime de tous, un peu d'air frais. On n'a connu pareille liesse suivie d'un tel enchantement qu'après la victoire de la France à la Coupe du monde de 1998.

 

Pourtant, Mitterrand n'a pas profité de ce courant exceptionnel qui le portait. Les meilleurs spécialistes ont reconnu, peu d'années après qu'il aurait pu tout se permettre alors. Mitterrand n'a pas réalisé tous les changements qu'il avait annoncés à ce moment-là et n'a pas pu le faire plus tard en raison de l'impopularité grandissante. La sanction est venue dès 1986 et certains disent même aux cantonales de 1983... Le peuple qui avait élu massivement la chambre en juin 1981 aurait tout accepté à partir du moment où ça allait dans le sens voulu par la majorité de gauche de l'époque. Seulement, c'est le contraire qui s'est passé. Fidèle à son slogan « la force tranquille », Mitterrand a voulu prendre son temps, montrer qu'il maitrisait tout et qu'il n'agirait pas dans la précipitation. Fatale erreur quand la force de la puissance financière multiplie les embuches et mobilise les médias. Les électeurs qui respiraient l'air frais du changement se montraient, eux, impatients de voir les choses changer au quotidien. On mesure leur déception quand, aux premiers crocs-en-jambes lancés par l'opposition politique et financière, le gouvernement a été contraint de marquer le pas. Après seulement un an, ce qu'on appelle parfois « le peuple de gauche » a été forcé d'accepter, au contraire, des mesures qu'il n'aurait pas tolérées de la droite et qui auraient mobilisé des centaines de milliers de personnes dans les rues. Le discours du gouvernement de gauche et du PS pouvait se résumer en ces termes : laissez-nous faire quand même, sinon c'est la droite qui va revenir ! La gauche au pouvoir a tenu quelques temps comme ça avant que l'électorat ne décide de rappeler carrément la droite.

 

Maintenant, on peut se demander pourquoi la gauche n'a pas fait ce qu'elle avait annoncé. D'abord, personne à gauche ni dans le peuple ne prévoyait que la droite et la finance ne reconnaissent pas la légitimité de la gauche. Dès le lendemain, le lundi 12 mai, la bourse de Paris baissait. Les patrons (pardon, les « entrepreneurs ») décidaient de ne plus investir et, surtout, de ne plus embaucher et de se fournir à l'étranger plutôt que de faire tourner la machine française. Après, on parlera de « patriotisme économique ». Il ne fallait surtout pas que « l'expérience socialiste » réussisse.

Car la presse parlait « d'expérience socialiste ». On n'y croyait pas. Les journalistes s'adressaient aux ministres comme s'ils étaient des militants en charge d'un dossier. À la télévision, on ne mettait plus « Monsieur » ou « Madame » devant le nom du ministre. On avait l'impression que si l'on marquait sa fonction c'était surtout pour dire aux gens qui c'est celui-là qu'on connait pas. On ne donnait pas du « monsieur ou madame le ministre » mais on l'appelait par ses prénom et nom comme pour tout un chacun, comme on s'adressait à eux quand ils étaient dans l'opposition. Pour les médias, la gauche au pouvoir était à peine légitime mais n'était pas crédible. Les ministres n'étaient que des spécialistes et, pour compétents qu'ils étaient, ne pouvaient pas prendre de décision au nom de la France. D'ailleurs, la plupart des ministres ne réalisaient pas non plus l'importance de leurs responsabilités. On a parlé d'inexpérience mais, la plupart des ministres débutent un jour ou l'autre. Ce n'est pas pour ça qu'ils font des gaffes. Dans le cas des socialistes, c'était surtout qu'ils n'y croyaient pas eux-mêmes et qu'ils se trouvaient grisés par l'atmosphère et par les ors des ministères ainsi que par l'élan irrationnel qui les portaient.

 

Ensuite, l'enthousiasme ne fait pas tout. Il aurait fallu que les électeurs qui avaient voté sincèrement pour le « changement », soutiennent davantage les mesures qui allaient dans ce sens. Surtout, il n'aurait pas fallu que des voix s'élèvent pour trouver qu'on n'allait pas assez loin. Dans ce cas, oui, il fallait être patient après avoir mis sur les rails les réformes souhaitées. Face au déchainement des forces liées au capital, il aurait fallu – toutes proportions gardées – que la population descende dans la rue comme l'ont fait les Argentins, à la même époque, pour soutenir le Président Alfonsin menacé par un coup d'État militaire.

 

Le troisième tour

 

Mitterrand n'a donc pas profité de « l'état de grâce ». Tout de suite, il s'est adressé à ceux qui n'avaient pas voté pour lui en les assurant qu'il ne les oublierait pas. C'était juste. Le problème, c'est que rapidement, il a davantage pensé à ceux-là qu'à ses électeurs et les a beaucoup déçus. Il a répété qu'il avait sept ans pour appliquer son programme. En temps ordinaire, ça aurait été peut-être possible. Seulement, il s'en passe des choses en sept ans. Dans son cas, il n'a pas fallu attendre sept ans pour que des difficultés inattendues se dressent. Sept heures plus tard, l'équipe de fidèles réunis autour du nouveau Président pour préparer la transition devait élaborer dans l'urgence un strict contrôle des changes pour limiter la fuite des capitaux qui commençait. Sept jours après, le troisième tour financier était lancé. Nous en avons parlé. De son côté, Barre ne faisait rien pour faciliter la transition entre son gouvernement et le nouveau. Sept mois plus tard, malgré l'inflation jugulée – et définitivement – on voyait que, par exemple, les commerçants ne jouaient pas le jeu. Pendant les années Giscard (ministre et Président), il était de coutume que les vitrines présentent les affiches du gouvernement pour une campagne de maintien des prix. Lorsque M. Delors a lancé une campagne similaire, il n'a pas été suivi. Mieux, les petits commerçants et les artisans se répandaient auprès de leurs clients en se plaignant que le gouvernement les saignait ou les asphyxiait.

 

Le 21 mai, alors que le nouveau Président marchait dans le Quartier Latin de Paris avant la cérémonie au Panthéon, le Premier Ministre, M. Pierre Mauroy, réunissait un cabinet de crise pour lutter contre la spéculation contre la monnaie qui battait son plein. La nomination des ministres allait révéler des maux profonds. D'abord, plus de quarante noms ont été égrainés. Jamais on n'avait vu un cabinet aussi large. Il fallait récompenser les militants loyaux et donner un os à ronger aux autres. M. Rocard s'est retrouvé dans un improbable ministère du Plan là où un simple haut-commissaire aurait suffi. Surtout, on a vu un « Ministère du Temps libre » pour remplacer le Ministère du Tourisme et des Loisirs. Il a été confié à un certain André Henry, à l'époque président de la puissante FEN qui regroupait les principaux syndicats d'enseignants ; ceux-là même qui avaient assuré la victoire de Mitterrand. La FEN décapitée ne s'en remettra jamais. Ensuite, ne pouvant affaiblir la CGT, la gauche s'en est prise à la CFDT beaucoup plus imprévisible. M. Michel Rolland, successeur probable de M. Edmond Maire à la tête de la centrale a fait son entrée au cabinet du Premier Ministre. Quelques années plus tard, le numéro 3, M. Jacques Chérèque a été chargé d'une mission en Lorraine sinistrée avec grade de préfet avant d'entrer au gouvernement. On sait ce qui est arrivé : madame Notat a pris les rênes de la centrale considérée jusqu'alors comme le laboratoire d'idées de la gauche avant qu'une partie n'aille fonder SUD. Les 35 heures étaient au départ une idée de la CFDT d'Edmond Maire. Le ministre de l'Éducation nationale, Alain Savary a entrepris de contrôler strictement les professeurs, qui formaient pourtant le socle de l'électorat de la gauche unie. Ces coups reçus sans rien dire n'en faisaient pas moins mal. Toutes ces petites déceptions s'accumulaient et le malaise grandissait.

 

Inversement, certains voulaient tout, tout de suite, trouvaient que le gouvernement n'en faisait pas assez et se montraient prêts à se mettre en grève parce que ça n'allait pas assez loin ni assez vite. Ce n'est pas facile de gouverner avec de tels partisans.

 

Le quatrième pouvoir

 

Est-ce à dire que tout a été négatif et tout de suite ? Certainement pas. Tout ce qui a été positif va nous être asséné au cours de ces jours anniversaires. Ensuite, la gauche au pouvoir a remonté les minima sociaux et affronté une opposition qui ne digérait pas sa défaite. Ainsi, Jacques Faizant, à la une du Figaro avait commis un dessin montrant Mitterrand, Mauroy et Delors jetant des liasses de billets de banque par une fenêtre ouverte. Au fond du coffre vidé, on pouvait lire une note : « en cas d'épuisement, prière de s'adresser à Giscard et Barre ». Voilà quelle était la mentalité de l'opposition de l'époque. À la une du Monde, Konk avait répondu, en quelque sorte, en montrant des possédant affolés à l'idée que le minimum vieillesse passe à 700 francs par mois.

 

En parlant de la presse, il faut rappeler les « changements ». Un certain nombre de titres, notamment en province, connus pour leur neutralité compatible avec la bourgeoisie locale a décidé de s'inscrire résolument dans l'opposition. À Paris, le Quotidien du même nom, qui avait salué la victoire de la gauche par une photo montrant un drapeau rouge sur la colonne de Juillet (place de la Bastille), et après s'être moqué pendant cinq années de l'incompétence de Barre qui n'avait d'égale que sa fatuité et son arrogance, passait dans l'opposition également. M. Philippe Tesson, du jour au lendemain, après avoir écrit de beaux articles dans Combat puis fondé le Quotidien de Paris (première et deuxième versions) passait à droite avec armes et bagages sans que ça lui pose le moindre problème. Ces journaux avaient tout simplement compris qu'il serait plus rentable pour eux de critiquer le gouvernement de gauche.

 

En revanche, contrairement à la légende, il n'y a pas eu de « chasse aux sorcières » dans les médias audiovisuels. Quelle était la situation du temps du Président Giscard ? On sait que le contrôle gouvernemental existait d'une façon assez directe. Les souhaits, qu'on veut croire sincères de M. Giscard, de voir un audiovisuel dégagé de la tutelle gouvernementale avaient été anéantis rapidement par la force des habitudes et le poids des intérêts particuliers. Marcel Julian, premier PDG d'Antenne 2, loin d'être un révolutionnaire, en avait fait les frais. Depuis, la tutelle s'était accrue. La foule de la Bastille avait demandé les têtes de MM. Elkabach et Duhamel (Alain), animateurs d'une émission politique favorable à la droite. Les PDG de l'époque ont mis fin à leur contrat avant de présenter leur démission. Ensuite seuls MM. Patrice Duhamel et Jacques Hébert ont été licenciés. Même en ajoutant les précédents par un curieux rapprochement, il n'y aurait rien de comparable avec les charrettes de 1974 et de 1968.

 

Néanmoins, la droite a vite compris l'avantage qu'elle pourrait tirer du mécontentement des Français concernant les programmes de la télévision. D'abord, notons que le terme de « droite », qui avait complètement disparu du vocabulaire de la Vième République, revient et revendiqué avec force. On affiche sans complexe son opposition à la gauche et on se proclame de droite. Ensuite, pour simplifier, les nouveaux PDG de la télévision avaient voulu faire passer à 20 h 30 (alors le début de la soirée télévisuelle) les émissions qui commençaient habituellement à 21 h 30. Il s'agissait de débats (on ne disait pas « talk-show »), d'émissions économiques, littéraires (« Apostrophes »), de documentaires, de reportages etc. On reléguait les divertissements, les jeux, les variétés à 21 h 30. La presse de droite a pris la tête de la contestation : « ils veulent nous faire retourner à l'école ». « ils » étant les socialistes puisqu'il était évident pour elle que nous nous dirigions vers un État collectiviste et totalitaire. On peut sourire mais ça a marché. L'opposition au gouvernement de la gauche unie est née et s'est nourrie de la diminution des programmes de divertissement à la télévision. Dès la rentrée 1983, les équipes ont changé et l'on a revu des variétés et des jeux à 20 h 30 tandis que les programmes culturels retournaient non plus à 21 h 30 mais à 22 h. Depuis, ils n'ont fait que reculer dans la soirée voire dans la nuit ; quand il y en a...

 

Pourtant, la droite n'a pas eu à se plaindre des nouvelles équipes dirigeantes. Ça ne l'a pas empêché, de retour en 1986, de dissoudre la Haute Autorité de l'Audiovisuel coupable d'être composée de neuf membres dont six nommés par la gauche. En effet, le Président, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat nommaient chacun trois membres. Pour la remplacer, la CNCL alignait treize membres dont deux de gauche (ceux nommés par le Président). Par le biais de l'alternance démocratique et des cooptations, la droite verrouillait la CNCL. C'est comme ça que la droite comprend l'objectivité de la presse.

 

Toujours dans l'audiovisuel, la droite, sentant que le sujet était porteur et lui apportait des voix, reprochait au gouvernement sa mainmise sur tout l'appareil de radio et de télé. En ligne de mire, se trouvaient, notamment la possibilité de chaines privées dont elles pouvaient penser à juste titre qu'elles leur seraient favorables. Pour la droite, il était évident que l'audiovisuel qu'on ne disait pas « public » mais d'État, était de gauche alors même que la plupart des salariés exerçaient déjà autrefois sous sa coupe. Conscient que le sujet était sensible, le gouvernement de la gauche unie a multiplié les entorses au dogme des nationalisations seules capables d'assurer la démocratie. On a donc vu Europe 1 cédé à son actionnaire minoritaire, le groupe Lagardère. Ensuite, Canal + a été créé. Peu avant les élections de 1986, on a vu apparaître deux chaines de télévision privées : La Cinq et TV6. Désarçonnée par ce coup qu'elle entendait frapper dès son retour au pouvoir en 1986, la droite a riposté, comme d'habitude, par la désinformation rendue possible grâce à son monopole médiatique. D'abord, le groupe Hersant (Le Figaro, L'Aurore, France-Soir, le Progrès, Le Dauphiné Libéré, Paris-Normandie, Midi-Libre, le Bien-Public, la Voix du Nord etc.) qui se déchainait depuis quelques années contre la télévision dite de gauche dénonçait chaque jour les rediffusions de l'après-midi pour meubler les programmes. Dans la précipitation, le gouvernement a mis à la disposition des nouvelles chaînes privées l'émetteur de la Tour Eiffel. Le Quotidien de Paris titrait : « Ils veulent nationaliser la Tour Eiffel ». Rien que ça.

 

Ensuite, on a ironisé sur La Cinq, chaine importée d'Italie et dirigée par Berlusconi. La droite accusait la gauche d'avoir fait appel à ses amis politiques pour contrôler même les chaînes privées. En effet, TV6 était aux mains du groupe Publicis, et La Cinq aux mains de Berlusconi, tous deux orientés à gauche comme chacun sait. Même M. Séguéla (auteur de la campagne victorieuse de Mitterrand), furieux d'avoir vu son projet écarté rappelait que la fille du PDG de Publicis était mariée avec un ministre. Ça volait bas mais ça a marché. On connait la suite : les deux chaines privées ont été fermée pour l'une et modifiée pour l'autre. On a contraint Berlusconi à s'allier avec Hersant. Résultat, la presse Hersant ne dénonçait plus les rediffusions sur La Cinq vu que cette chaine s'était précisément spécialisée dans les rediffusions. La droite n'a aucun complexe et n'éprouve aucune honte. Elle a bien raison puisque personne ne se souvient de rien.

 

 

Fin 1984, la jeunesse était dans la rue pour une des plus grosses manifestations de la Vième République. Il s'agissait alors de défendre NRJ qui tombait sous le coup de la loi pour utiliser un émetteur surpuissant. La presse de droite titrait sur le thème : « ils veulent assassiner la liberté ». On retrouvait toujours ce vieux thème de la gauche qui faisait tomber le pays dans le totalitarisme. Dès le retour en 1986, la fameuse CNCL abrogeait la loi sur les radios privées et en faisait voter une autre favorable aux groupes privés au détriment des associations. La veille du dépôt des candidatures, un dossier bouclé dans la précipitation était déposé auprès de la CNCL. Il s'agissait de Radio Courtoisie, une radio d'extrême droite soutenue par l'académicien Michel Droit. Comme par hasard, elle a été retenue quand la plupart des radios associatives ont été recalées sans que personne à droite ne hurle à l'assassinat de la liberté. Aujourd'hui, NRJ et Courtoisie se portent bien, merci pour elles.

 

En 1987, M. François Léotard, alors ministre de la Culture a privatisé la première chaîne de télévision au nom d'un « mieux disant culturel ». Il affirmait qu'avec la concurrence entre TF 1 et Antenne 2, les chaînes se battraient à coup de créations françaises. Était-il sincère ou pas ? Dans les deux cas, c'est risible et, surtout, c'est très grave. De même, on allait entendre un principe mis en avant à chaque fois qu'on veut privatiser un service public : on doit pénaliser ce qui reste de service public afin qu'il ne soit pas en position de force vis-à-vis de la concurrence. Plus tard, au cours du second septennat, TF 1 diffusait le « Bébête show » qui était devenu une satire dirigée exclusivement contre la mitterrandie afin de concurrencer « les Guignols de l'info ». Cela avait atteint un tel degré de vulgarité que des députés de l'opposition de droite s'étaient émus publiquement de cette atteinte au Président de la République. La gauche laissait faire comme on s'en doute.

 

Le chapitre consacré à la presse et à l'audiovisuel est particulièrement fourni. Cela s'explique par l'importance grandissante de ces médias pendant ces années-là. Ce n'est surement pas un hasard si l'on a commencé à parler de « quatrième pouvoir » au cours des années Mitterrand. Surtout, avec l'émergence des « radios libres », vite devenues « radios locales privées », avec la privatisation de la télévision, avec les maladresses du gouvernement en la matière, la gauche a fabriqué une opposition insidieuse qui lui a été fatale. Plus que les échecs économiques, plus que l'incapacité à imposer une politique sociale, la gauche a été vaincue par les médias qui ont ringardisé le vocabulaire de gauche, les idéaux, les valeurs républicaines. Le fameux « Bébête show » se moquait de Krasucky, alors secrétaire général de la CGT, et a ridiculisé définitivement le recours à la grève. Le mécontentement né dans les médias et les aspects évoqués a été majeur dans le désaveu de la gauche unie par la population. À tel point, et compte tenu de l'atmosphère qui a régné après le 10 mai 81, qu'on peut parler de désamour. Cette prédominance du fait médiatique permet de parler d'un véritable quatrième pouvoir.

 

La gauche, arrivée grâce à l'intelligence, a été battue par l'inculture diffusée largement par certains médias. Les tentatives de M. Jack Lang pour opposer un autre tape-à-l'œil, un autre clinquant à la futilité de la télé n'ont fait qu'alimenter des débats (comme celui sur les colonnes de Buren) qui faisaient davantage penser à celui de Vadius et de Trissotin

 

Que reste-t-il de nos espoirs ?

 

La semaine qui a suivi la victoire de Mitterrand, le dessinateur Reiser commençait une série de dessins sur le thème « On a gagné ». C'était le slogan entonné dès le dimanche soir à la Bastille et partout en France. Il mettait d'abord en garde contre ceux qui n'acceptaient pas la défaite et préparaient la revanche. Il rappelait ainsi que ceux qui détiennent le pouvoir financier se situent au-dessus de toute autre considération. Ses prophéties se sont réalisées.

 

Après l'échec relatif de la gauche, l'idée s'est répandue dans la population que tout a été essayé, que tout se vaut. Autre conviction : on ne peut pas ou on ne peut plus faire du social. Les uns pensent que la finance est trop forte et qu'on n'y peut rien. Régulièrement, des coups sont assénés pour rappeler la puissance financière au souvenir des populations qui l'auraient oubliée. Les autres, considèrent que le social coûte cher et que chacun doit se démerder.

 

Après le dernier avatar de la crise, on jurait que le capitalisme allait forcément changer. Déjà, on remettait en avant les solutions de Keynes pour faire vivre l'économie et répartir les richesses comme au cours des « Trente glorieuses ». Le sauvetage des banques par l'impôt semblait plaider en ce sens. On s'est vite empressé d'oublier (une fois de plus) et de recommencer de plus belle en réclamant toujours moins de réglementation. Les thèmes développés autour de la mondialisation, de l'ultralibéralisme, de la pensée unique visent à convaincre qu'il n'y a plus d'alternative, que le politique doit s'effacer devant la finance, que la population doit subir et se distraire avec les nouveaux médias. Trente ans plus tard, la volonté politique et la volonté tout court ne sont plus de mise face aux intérêts financiers.

affichemitterand1981

 

En préparant cet article, j'ai recherché une image de la campagne victorieuse de 1981 et qui reste dans les mémoires de tous ceux qui l'ont vécue. Nous nous souvenons tous de ces affiches doubles, sur fond bleu, qui présentaient les membres des équipes qui travaillaient avec le futur Président. Surtout, on se souvient de l'affiche de « la force tranquille ». Or, quand on voit les difficultés à la retrouver sur l'Internet aujourd'hui, on peut se demander si, trente ans plus tard, un candidat pourrait gagner, même avec la plus forte popularité (et l'impopularité de ses adversaires), à partir du moment où il afficherait son portrait sur fond de village français.

 

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/23/20704733.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/06/19255952.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/01/27/20234808.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/02/19494700.html

 

 

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