Parce qu'elle l'aime, connard !

Tout d'abord, je retire tout de suite « connard » car je ne pense pas que François Morel en soit un.

Ce qui est en cause ici, c'est le titre de son billet intitulé « Pourquoi souriez-vous, Anne Sinclair ? ».

La semaine dernière, dans un billet qui est, habituellement, fin et drôle, François Morel a profité de sa bonne réputation méritée pour se laisser aller à une attaque dénuée d'humour contre Anne Sinclair. Son crime ? Arborer un sourire quand son DSK de mari fait parler de lui pour des faits scabreux.

Nous avons dit ici combien l'emballement médiatique a corrompu le jugement des commentateurs et de l'opinion publique dans une moindre mesure. Nous avons ironisé sur ces journalistes qui dénoncent le non-événement tout en en rajoutant une couche. Maintenant, on sent bien qu'on n'ajoutera plus rien qui pourrait changer la perception qu'on a du personnage. Alors, on s'en prend à son épouse.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/07/08/21568573.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/09/07/21966103.html

Désormais, Anne Sinclair est devenue la risée des commentateurs. Il convient de s'offusquer que l'épouse trompée demeure aux côtés de son mari dans les épreuves et qu'elle choisisse le camp de l'époux plutôt que celui de son sexe qu'il aurait bafoué.

Une semaine plus tard, François Morel revient sur le billet en s'étonnant d'avoir reçu autant de réactions négatives de la part des auditeurs et des auditrices. C'est que, pour lui aussi, le monde est d'une simplicité manichéenne. Il y a d'un côté les bons et de l'autre les mauvais. DSK appartient, par définition, aux derniers et ses frasques le confirment. Donc, à la manière de G.W. Bush, il pense que ceux qui ne sont pas contre DSK sont pour lui. À ce titre, il devient légitime de les vilipender.

Environ vingt minutes plus tôt, Bruno Duvic consacrait une partie de sa revue de presse au sujet d'Anne Sinclair.

http://www.franceinter.fr/emission-revue-de-presse-sexe-clopes-et-piratage

Il ressort des témoignages cités et des sondages que les Françaises comprennent l'attitude d'Anne Sinclair même si elles croient qu'elles auraient fait autrement en pareilles circonstances. Simplement, elles avancent qu'elles font passer leurs convictions après l'amour de leur époux. Peu de femmes se vantent d'avoir un époux parfait. Il suffit de faire la queue chez un commerçant pour entendre la liste des griefs adressées par les ménagères envers leurs maris. Pourtant, malgré les divergences, les différences de goûts, elles demeurent. Il y a quelque chose de plus fort. Aujourd'hui, les femmes sont indépendantes financièrement. Elles n'attendent pas après la paie de l'homme pour nourrir leurs enfants et s'acheter des robes. Elles restent parce qu'il y a quelque chose de plus fort.

Dans le cas d'Anne Sinclair, l'affaire DSK nous a révélé l'étendue de sa fortune personnelle. Elle a pu, ainsi, verser une caution impressionnante pour que son suspect de mari ne dorme plus dans un cachot sordide. Elle n'a donc pas besoin de sa protection financière. De plus, belle et intelligente comme elle l'est, avec une telle situation, elle ne manquerait pas de prétendants sitôt connue sa rupture avec DSK. Elle n'a pas de souci à se faire de ce côté-là non plus. Elle reste parce qu'il y a quelque chose de plus fort.

Qui sait sur quoi est fondé leur couple ? Qui, dans cette ignorance, peut juger de la qualité de leur relation ? En ces temps où l'on admet ce qu'on appelle bêtement des « infidélités », où l'on reconnaît le droit pour chacun d'avoir des rapports sexuels avec qui il ou elle veut et quand on veut, il paraît stupéfiant qu'on réclame un comportement conjugal qu'en d'autres circonstances on qualifierait de « petit-bourgeois » ou relevant d'une morale sectaire et éculée dite « judéo-chrétienne ». Il faudrait savoir. Est-ce à dire que ce n'est pas le comportement qui est en cause mais l'appartenance à une catégorie sociale ? Est-ce à dire qu'on doive suivre les recommandations de Lénine pour qui les tribunaux ne devaient pas perdre du temps à rechercher des preuves mais que l'appartenance à la classe dominante désignait les prévenus comme coupables ?

Il faut que nous soyons tombés bien bas pour penser que dans ce monde tout n'est qu'affrontements et que seuls les affrontements donnent un sens à nos vies. De même, la confusion fréquente entre amour et sexualité altère nos réflexions. Le monde est imparfait, pourri même dans bien des aspects. Pourtant, est-ce que l'affrontement permanent entre les groupes apporte une solution ? Est-ce que le refus de l'affrontement signe une lâcheté quelconque ?

Également, rien ne nous dit qu'une fois les choses apaisées, elle ne prendra pas une autre décision mais qu'elle ne veut pas lâcher son époux dans les épreuves.

Tout le monde sait que les enfants battus continuent à aimer leurs parents indignes. Les femmes bafouées continuent d'aimer leurs conjoints, les filles violées gardent – rarement – des sentiments pour leurs agresseurs. Le boulanger de Pagnol renouvelle ses sentiments pour sa femme alors qu'il vient de comprendre qu'elle l'a trompé depuis le début. C'est que, dans un ensemble ténébreux, il arrive qu'on découvre une part de cristal et qu'alors, plus rien d'autre ne compte. Le plus souvent, le plus dur est de convaincre l'autre qu'il possède cette part de cristal et qu'il vaut mieux que ce qu'on croit et que ce qu'il a fini par croire lui-même. Je crois que ça s'appelle l'amour.

L'amour n'est pas un sujet de réflexion philosophique. Ce n'est pas plus un thème de débat ou le ressort des principales comédies et tragédies du répertoire. L'amour n'est pas que lié au sexe. L'amour existe ailleurs que dans les livres et c'est heureux pour les peuples qui n'écrivent pas ou pas beaucoup. C'est heureux aussi pour tous ceux que les livres rebutent. Faut-il, maintenant, qu'on enlève à l'essentiel de l'humanité ce qui donne un sens à la vie ? Faut-il encore que l'amour soit confisqué par quelques penseurs ou par quelques commentateurs et autres humoristes ? Finalement, malgré ses millions, Anne Sinclair ressemble à ces femmes qui attendent, l'estomac noué, toute la nuit que leur ivrogne de mari rentre, que leur mari joueur rentre et qui sont soulagées lorsqu'il paraît dans le cadre de la porte. Malgré la souffrance endurée, malgré la répugnance qu'inspire la dégradation de leur mari indigne, elles retrouvent le sourire. Les hommes qu'elles aiment, sont pourris de défauts. Malgré tout, elles les aiment encore plus car elles prétendent compenser les lacunes chez l'autre. Elles aiment pour deux et sourient dans les épreuves. Ce n'est pas facile à comprendre. Ce n'est pas rationnel. Les coupeurs de cheveux en quatre, les donneurs de leçons, ne peuvent pas comprendre. Dans un sens, c'est heureux. Que resterait-il au commun de l'humanité si l'on pouvait expliquer l'amour ? Il s'en trouverait qui le quantifieraient et le commercialiserait. D'autres lèveraient un impôt.

Alors, quand tu verras une femme ou un homme qui sourit, pense qu'elle ou il est heureux à ce moment-là. Pense qu'elle ou il est heureux parce qu'il vit l'amour ou l'une de ses toute petites déclinaisons. S'il y en a que ça défrise, plaignons-les. Ne les plaignons pas, d'ailleurs. Souhaitons qu'ils connaissent l'amour sous une forme ou une autre, non pas parce qu'on a de la sympathie pour eux mais parce qu'alors, ils ficheront la paix aux autres.

Comments

[ana ld]

Monsieur,
ce message n'est pas un commentaire, bien que j'apprécie beaucoup vos articles et notamment celui-ci.
Je voulais juste vous signaler que le lien féminisme n'a plus de page.
Continuez ! Merci.

[Alain]

Excellent article prenant "l'affaire DSK" sous un angle intéressant . Juste une remarque: l'amour peut donner lieu à de belles réflexions philosophiques, de Platon à Badiou (voir pour ce dernier son "Eloge de l'amour")...