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la lanterne de diogène
15 octobre 2011

Suicide d'une enseignante

Une enseignante est morte. Elle a choisi l'heure de sa mort et a voulu lui donner un caractère spectaculaire en quittant la vie devant ceux qui la lui avait rendue infernale. Elle s'est immolée par le feu dans la cour de récréation de l'établissement où elle travaillait.

http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/beziers-elle-s-etait-immolee-par-le-feu-l-enseignante-est-morte-15-10-2011-1463857.php

 

Que s'est-il passé dans sa tête pendant les jours, les mois qui ont précédé ? Nul ne le sait mais on avance qu'elle « a rencontré des difficultés » avec ses élèves. C'est assez banal mais de plus en plus fréquent et les élèves sont de plus en plus nombreux à la fois dans un cours. Le chahut, l'incivilité, le refus de certaines matières et de certains professeurs sont amplifiés par le nombre. On peut penser qu'elle a fait part de ces difficultés auprès de ses collègues et notamment ceux qui rencontrent les mêmes difficultés avec les mêmes classes et les mêmes élèves. Seulement, la règle veut qu'on doive se débrouiller tout seul. Si, en privé, on peut se répandre sur ses difficultés, aussitôt qu'on se trouve dans la sphère officielle, c'est à dire le conseil de classe ou devant le chef d'établissement, on ne trouve aucun soutien. Les professeurs laissent parler celui ou celle qui ose exprimer ses problèmes avec une classe ou des élèves mais se gardent d'avouer qu'ils éprouvent les mêmes difficultés. Il en va de son avancement, de l'image qu'on doit donner en public.

 

Il arrive même, parfois, souvent, trop souvent, qu'on fasse bloc pour taire les difficultés professionnelles et les nier. En assemblée plénière, en réunion syndicale, on prend la position exactement inverse de celle exprimée en salle de professeurs ou lors de la pause déjeuner. Dès lors, un professeur qui se trouve en grande difficulté ne trouve aucun soutien dans les structures et les personnes et n'a plus aucun recours. Nombre de professeurs tiennent le coup à grand renfort de médicaments tout en affichant une tranquillité de façade. Tout au plus, des collègues attribueront à un caractère affirmé des méthodes d'enseignement absurdes sans penser qu'elles ne sont que le masque de difficultés de transmettre son savoir et de situations conflictuelles permanentes. Les plus intimes évoqueront un divorce ou une séparation difficile ou des enfants qui tournent mal. Il convient de se convaincre que les difficultés viennent de l'extérieur.

 

L'isolement conduit à l'angoisse. L'alternative se situe entre poursuivre son calvaire ou obtenir des arrêts de maladie de plus en plus fréquents et de plus en plus longs. Ces absences perturbent encore plus les élèves et ont le don d'agacer l'administration qui ne voit pas plus loin que la gestion de l'absence et la contrainte d'avoir à affronter la grogne des parents. D'ailleurs, dans ces cas-là, ce sont souvent les parents des élèves les plus récalcitrants qui protestent le plus.

 

Depuis des années, le professeur se trouve de plus en plus isolé. Isolé parce que, malgré la façade du « travail en équipe », il est confronté à des élèves qui ne voient plus la finalité de leurs études dans la mesure où ils ne peuvent plus choisir leur avenir. En clair : le chômage. Ils se réfugient dans des filières sécurisantes par défaut mais ne choisissent pas en fonction de leur goût. Cette absence de finalité leur donne l'impression que l'école n'est faite que pour les occuper avant d'être lâchés dans le monde des adultes qu'on ne peut plus qualifier de « vie active ». Ce n'est pas étonnant si, une enquête récente révèle que la conseillère d'orientation est la personne la plus détestée par les jeunes des quartiers en détresse sociale. Elle est davantage détestée que les flics eux-mêmes. C'est elle qui brise leurs rêves, qui les convainc qu'ils ne pourront pas faire ce dont ils ont envie parce qu'il n'y a pas assez de place dans l'établissement où ils veulent étudier, parce que c'est trop loin, parce qu'ils n'ont pas les résultats qui conviennent en mathématiques ou ailleurs, parce qu'elles ont consigne de favoriser une filière.

 

Dès lors, il devient difficile de les intéresser et de leur faire comprendre que les exercices, les enseignements, façonnent leur personnalité. Ils entendent autour d'eux un discours les incitant à refuser l'enseignement, à refuser l'éducation, à refuser le modèle transmis, à refuser l'institution,à refuser les valeurs républicaine, à refuser la morale. Les professeurs eux-mêmes relaient ce discours sans prendre la précaution de donner des éléments permettant à l'élève de se forger sa propre opinion. Ils sont tout étonnés de voir que leur appel à la révolte se retourne contre eux en premier puisqu'ils sont pour les enfants et les adolescents les représentants d'un système qui ne leur convient pas et d'un système dont leurs parents et leurs proches sont parfois exclus.

 

Ils se retrouvent isolés également face aux procédures intentées contre eux par les parents. Un livre vient de sortir pour donner des conseils aux parents afin de pouvoir annuler toute décision du professeur ou de l'autorité éducative, qu'il s'agisse d'une punition, d'une note, d'un travail à la maison. En conseil de discipline (et il en faut pour réunir un conseil de discipline), l'élève fautif est assisté d'un avocat qui maitrise la législation et ses lacunes tandis que le corps professoral ne peut que se cantonner dans son domaine, à savoir la vie éducative et ses règles civiques. D'un côté un juriste pour défendre un fautif, de l'autre des professeurs qui ne connaissent que leur métier d'enseignants et prétendent simplement l'exercer dans des conditions pas trop mauvaises. Personne pour dénoncer cette inégalité flagrante. Personne pour la refuser. Personne pour affirmer l'autorité des maitres.

 

Les professeurs qui se suicident ne sont pas si rares. Seulement, pour évoquer cette question taboue, il faut du spectaculaire comme cette immolation par le feu en place publique, c'est à dire en cour de récréation. Les professeurs se suicident généralement parce qu'ils « rencontrent des difficultés ». Après la mort de leur collègue, les autres disent « on le savait mais on ne pouvait pas l'aider », « c'était pas facile », « on ne pouvait pas lui parler ». Finalement, on oublie. La vie continue, n'est-ce pas ? On trouve un remplaçant et ça fait comme un congé maternité ou un départ à la retraite ; mais en cours d'année.

Des professeurs se suicident après une inspection. Là encore, les mêmes propos sont échangés. On sait que le corps des inspecteurs est intégré par nombre de professeurs incapables de tenir une classe mais qui sont assez malins pour obtenir une promotion. Ensuite, ils n'ont de cesse de tourmenter leurs anciens collègues qui réussissent mieux et qui leur renvoie l'image de leur échec. On le sait mais, publiquement, l'inspection est sacralisée, exigée parfois. Lorsqu'un professeur « rencontre des difficultés », non seulement il ne peut compter sur ses collègues mais, dès lors qu'il est inspecté, il se retrouve en position d'accusé par l'administration et les collègues qui ne l'ont pas soutenu se trouvent justifiés dans leur indifférence. Ça augmente son isolement et donc son angoisse.

 

Le suicide existe chez les professeurs et les tentatives de suicide encore plus. Il faut se figurer l'horreur que représente une tentative de suicide qui n'est autre qu'un cri d'appel qui n'est pas entendu. L'horreur pour le professeur qui doit reprendre son travail dans l'ignorance de ses élèves et le silence de ses collègues gênés voire méprisants. À cela – comme si ça ne suffisait pas – s'ajoutent les accidents. Après une journée pénible, des heures de conflits répétés, une remarque désobligeante de la part d'un élève, d'un parent ou, pire, peut-être, d'un collègue et l'on rentre tendu, en repensant aux épisodes de la journée, en les ressassant. Perte de contrôle du véhicule : un accident est vite arrivé dans ces conditions. Il faut, encore, ajouter la mort par épuisement après des années de découragement, d'hostilité. Rien de cela n'est pris en compte nulle part. On va toujours chercher des facteurs extérieurs : le couple, la vitesse, le verglas, la solitude. En ce moment, combien de professeurs se disent : ça pourrait être moi. Ça pourrait être moi !

Demain, lundi en fait, combien d'autres professeurs devront supporter des remarques déplacées d'élèves qui leur suggéreront de se suicider ? Bien sûr, ils ne mesureront pas la portée de leurs paroles et voudront juste exprimer, d'une façon qu'il leur paraitra drôle, le vœu d'un changement d'enseignant ou, plutôt, de ne plus avoir du tout d'enseignant. Précisément, cette incapacité à mesurer la portée de paroles, voire de gestes pose problème. L'école ne leur apporte plus les outils de mesure et leurs références non plus. Il existe une vague incitation au nivellement : tous pareils, rien ne vaut plus etc. Pour généreux qu'il paraisse, il n'apporte aucune réponse sociale ou relationnelle.

 

Des solutions, il y en a. Sans parler de changer la société – ce qui serait pourtant la base – il existe des moyens simples. D'abord, l'Éducation nationale est sans doute le seul corps de métier en France à ne pas disposer d'une médecine du travail. Le professeur ne trouve personne autorisé à dénoncer des conditions de travail problématiques ou à simplement recueillir les témoignages de dysfonctionnements évidents. Certes, ailleurs, les officines de médecine du travail n'ont pas intérêt à dénoncer afin de ne pas perdre le marché avec l'entreprise mais, justement, dans la fonction publique, il n'y a pas d'enjeu financier. Ensuite et surtout, la solidarité entre professeurs doit s'exercer dans des cas concrets et pas seulement pour défendre des grandes causes sur lesquelles tout le monde est d'accord. Un professeur qui « rencontre des difficultés » avec une classe n'est certainement pas le seul dans ce cas. Pour prendre un terme à la mode, il faut mutualiser ces difficultés et tâcher de les résoudre tous ensemble. En général, il faut peu de choses, surtout en début d'année pour régler les malentendus ou fixer les limites. Encore faut-il que tout le monde tienne le même langage. Face à un professeur qu'ils perçoivent comme isolé, les élèves redoubleront d'incivilité et se sentiront, sinon appuyés, au moins assurés d'impunité. Également, mais c'est devenu tellement récurrent qu'on n'en parle même plus, tout le monde sait que face à des classes qu'on sait difficiles, il faut des professeurs expérimentés, aguerris. Or, c'est tout le contraire. Dans les établissements difficiles, ne sont nommés que les débutants ou les « professeurs qui ont rencontré des difficultés ». Outre que c'est un mauvais départ, ça n'ajoute qu'aux problèmes des professeurs et des élèves. Les professeurs aguerris obtiennent d'être nommés dans des établissements de leur choix. C'est bien légitime d'ailleurs surtout s'ils ont débuté eux-mêmes dans des établissements difficiles. N'empêche, ne pourrait-on pas trouver une solution de ce côté ?

Enfin, la question de l'effectif des classes est primordiale. Plus il y a d'élèves, plus il y a de cas particuliers. Chaque élève est unique. Le professeur aura plus de facilité à s'occuper des « uniques » les plus particuliers si sa disponibilité ne se trouve pas trop divisée. Moins d'élèves, c'est plus de temps pour chaque « unique ». Ça paraît évident et pourtant, depuis des années, depuis qu'il faut « dégraisser le mammouth » notamment, on ne cesse d'augmenter les effectifs pour diminuer le coût de la main d'œuvre. L'argument, c'est qu'avec les moyens actuels, avec la pédagogie française qui est la meilleure du monde – bien entendu et tous les professeurs en sont convaincus –, avec des professeurs mieux formés, on peut diminuer le nombre de professeurs et augmenter celui des élèves pour faire face à la démographie. Le postulat consiste à affirmer que, puisque les professeurs sont recrutés à bac +3 et bientôt bac +5, ils sont mieux formés. Les anciens, mal formés donc, n'étaient pas aussi brillants mais avaient une meilleure connaissance du terrain – ce qu'on appelle en jargon pédagogique « la gestion de la classe » - et des effectifs moins lourds. Bien entendu, les ministres ont beau jeu de prouver leurs allégations en avançant les résultats du baccalauréat, toujours meilleurs à mesure que les difficultés augmentent. D'ailleurs, double langage oblige, les professeurs sont les premiers convaincus de leur bon travail, résultats du bac à l'appui, tout en déplorant au quotidien leurs difficultés, leur manque de moyens et leurs classes surchargées. Cherchez l'erreur. On arrivera bientôt à 100% de réussite. Il suffira qu'un ministre le décrète et qu'on change légèrement les règles du jeu pour y parvenir. Ça ne trompe que ceux qui ont intérêt à être trompés. Dans ces conditions, pourquoi satisfaire les revendications des enseignants et pourquoi écouter les professeurs qui « rencontrent des difficultés » ?

 

Ce sont autant de propositions simples à mettre en place mais qui se heurtent au double langage traditionnel dans le milieu enseignant consistant à se plaindre en permanence en privé (salle de profs, cantine) mais à prendre le contrepied dès qu'on se trouve en public. Le syndicat ne fait d'ailleurs qu'amplifier ce double langage en se situant résolument sur un terrain abstrait quand les professeurs doivent affronter des problèmes concrets. La remise en cause du système, l'introduction d'écoute des professeurs, de dialogue avec les élèves abolirait les prébendes dont bénéficient certains et forcerait à reconnaître l'échec ou, du moins, l'inadaptation du modèle pédagogique français au monde actuel. Ça, c'est in-envisageable et, finalement, ça ne dérange pas tant que ça qu'un professeur se suicide de temps en temps. On dit que c'est une histoire de cul. Bien sûr, on ne le dira pas comme ça. On dira : « traverse des difficultés dans sa vie personnelle », comme on écrit « rencontre des difficultés qu'il (ou elle dans ce cas) s'efforce de surmonter ».

 

Ce langage bourré d'euphémismes, très en vogue dans l'Éducation nationale, au point qu'un intellectuel comme François de Closet a pu dire qu'il ne comprenait pas ce que disaient les professeurs lors des réunions avec les parents, ce langage décalé traduit un décalage de plus en plus important entre l'école et la population. Traduit en mots simples : entre le professeur et l'élève. L'élève vit mal ce décalage et le fait savoir avec ses moyens primaires auxquels l'administration ne peut qu'opposer ses artifices. Dans un monde décalé, le professeur en difficulté se retrouve isolé. Face à des élèves qui ne possèdent pas ces codes, qui lui opposent d'autres codes que le professeur ne connait pas, il se trouve isolé, sans le soutien de ses semblables qui, malgré leur formation, la meilleure du monde, n'ont rien à répondre à la détresse d'un collègue. Le professeur en difficulté bascule alors dans la réalité la plus cruelle, imposée par les éléments extérieurs à son monde que sont les élèves et en tire la conclusion qu'il n'a pas sa place dans ce monde-là.

 

Un mois seulement après la rentrée des classes, cette enseignante qui a gagné la cour de récréation, autrement dit un espace qui n'est pas le sien, a hurlé sa douleur devant ceux qui, quelques minutes avant riaient d'elle et ceux qui n'ont pas entendu ses plaintes. Après, elle a vu la cour de récréation à travers les flammes sur ses vêtements sans pouvoir hurler davantage sous les brûlures. Les flammes éteintes et le corps enterré, on n'en parlera bientôt plus.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/02/19494700.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

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