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la lanterne de diogène
21 octobre 2011

Suicide d'une enseignante 3

Par rapport à d’autres sujets d’actualité, le suicide de la professeure de Béziers suscite peu de réactions. Deux pages seulement d’actualités sur un moteur de recherche, comparées aux plus de seize pages pour le bébé de M. et Mme Sarkozy…

Les 40 cas de tuberculose dans la Seine-Saint-Denis ou les 400 personnes qui meurent chaque année dans la rue ne suscitent pas plus de réactions. Horrible !

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iORgC0ArnVlq-7iS1FgkvV52ooTg?docId=CNG.9e71144564262260b98e4aeb500d06bf.3c1

 

Néanmoins, dans ces deux pages, on apprend qu’une statistique fait état de 52 suicides en deux ans (autrement dit 1 tous les quinze jours) sur un total de 850 000 profs. Encore faudrait-il affiner et ne considérer que les enseignants qui se trouvent réellement devant des élèves.

http://www.ouest-france.fr/actu/societe_detail_-Suicide-d-enseignants-malaise-a-l-ecole-_3636-1707742_actu.Htm

 

Nous avons déjà indiqué qu’il faudrait également ajouter ceux qui ont trouvé la mort dans un accident de voiture (par exemple) en rentrant chez eux après une journée de conflits et de tension nerveuse intense. Il faut aussi comptabiliser les arrêts maladie.

 

Maintenant, pourquoi la lanterne de diogène s’intéresse-t-elle tant à ce fait divers ?

Le métier d’enseignant n’est pas un métier comme un autre. Il est exercé par des adultes qui ont la responsabilité des enfants des autres. Ils sont payés pour leur donner une éducation et participent pleinement à la construction de l’être qui deviendra un adulte. Il est donc de toute première instance d’être attentif aux conditions dans lesquelles un professeur exerce son métier d’enseignant.

 

Les moyens matériels ne sont pas les seuls. Il y a aussi la valorisation par le salaire qui vaut un minimum de reconnaissance de la part de la société. Cependant, la conscience professionnelle de l’enseignant ne se mesure pas à l’aune de sa feuille de paie. En d’autres termes, la société se doit de respecter cette profession et ne pas considérer les enseignants comme des auxiliaires chargés de garder les enfants pendant qu’on travaille, à qui l’on confie les tâches dont on veut bien se délester, sur lesquels on va se décharger de ses responsabilités et à qui l’on va adresser les reproches. Egalement, il faut tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle « ils ont trois mois de vacances ». D’abord, ce n’est plus vrai. Ensuite, les congés répartis tout au long de l’année ne sont pas illégitimes.

Le paradoxe de l’éducation de masse fait que de plus en plus de personnes ont pu pousser les études jusqu’au bac voire plus. Elles se sentent à égalité avec les professeurs au point de contester leur enseignement et leur comportement.

 

D’un autre côté, pour être respectés, les enseignants doivent être respectables. Ils doivent en imposer. Il est évident que celui qui fait le programme minimum, des fautes d’orthographe au tableau, qui fait des crêpes un peu plus qu’il ne faudrait pour relâcher la pression ou emmène ses élèves au cinéma en chamboulant tous les cours d’une demi-journée va s’attirer au mieux une sympathie éphémère mais certainement pas le respect. Le professeur qui donne l’impression de ne connaitre que sa matière et son passe-temps extérieur n’inspire pas plus le respect. Encore faut-il souligner que les programmes sont de plus en plus vidés de leur contenu, de ce qui fait du sens au profit de « savoir-faire », de technique,  Tout cela fait l’objet de comptes à rendre, d’évaluations qui pèsent comme des carcans sur les épaules des enseignants soucieux de transmettre leurs savoirs et leurs valeurs.

 

Le respect de l’enseignant commence par ne pas considérer que tout se vaut, que toutes les valeurs sont égales aux valeurs républicaines et que parents et élèves sont en droit de contester en permanence ce qui reste du contenu de l’enseignement. La revalorisation du métier d’enseignant passe inévitablement par là. D’un autre côté, il ne faut pas confondre respect et suffisance. Le verbiage caractéristique des pédagogues introduit une distance avec le reste de la société et contribue à entretenir l’impression que l’école est déconnectée de la réalité. Partant, les élèves se sentent autorisés à s’en détacher. En clair, il s’agit de voir si, chaque fois qu’un élève dit « ça sert à rien », il est fondé à le dire ou bien s’il y a simplement quelque chose qui lui a échappé dans la finalité de l’enseignement qu’il reçoit. Il est bien évident que lorsque le Président de la République lui-même donne l’exemple en méprisant la culture (cf. la Princesse de Clèves) ou en l’ignorant (cf. Roland Barthes), il encourage les comportements déviants que, par ailleurs, il entend réprimer.

 

On ne pourra pas s’exonérer d’une réflexion sérieuse, sans langue de bois, sans faux-fuyants sur l’enseignement et le métier d’enseigner. Pourtant, on peut être sûr qu’il n’y en aura pas ou qu’on aura droit à une consultation pipée. Pipée parce que les cadres de la consultation seront fermés et auront pour but de diriger le semblant de réflexion. Pipée également parce que le syndicat majoritaire donnera des consignes pour que les enseignants répondent d’une certaine manière. Notons au passage que ce syndicat se montre extrêmement prudent sur les causes du suicide de leur collègue mais demande un « débat » sur les conditions de travail. Les autres syndicats mettent clairement en cause l’isolement de leur collègue et ne s’alignent pas sur la position du gouvernement.

http://www.liberation.fr/depeches/01012365701-tentative-d-immolation-a-beziers-le-lycee-rouvre-les-cours-n-ont-pas-repris

 

La société regarde l’époque ancienne où les professeurs vêtus de blouses grises enseignaient dans des classes de garnements en blouses aux murs recouverts de cartes de France et de planches anatomiques. On éprouve une tendresse mêlée de nostalgie même si l’on n’a pas connu cette époque lointaine. Surtout si on ne l’a pas connue. De même, on pense avec des regrets à ces années qu’on n’appelait pas « les trente glorieuses » et où le chômage était quasi inexistant. En pleine expansion, on perdait son boulot le matin et l’on en commençait un autre ailleurs l’après-midi.

Seulement, si au lieu de nostalgie, de regrets on se demandait comment était-ce possible. On pourrait alors, en les adaptant, utiliser les recettes qui ont fonctionné avec succès. On les connait. Au lieu de cela, on est fanatisé par notre époque. On se regarde le nombril en le trouvant extraordinaire.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/26/16676050.html

 

On méprise les générations antérieures et leurs façons de vivre et de travailler tout en éprouvant cette nostalgie d’autant plus forte que l’époque parait lointaine et inaccessible. On n’accorde d’intérêt qu’à la nouveauté. Les progrès techniques qui facilitent la vie et le travail induisent la conviction que tout le reste est à l’avenant. L’école reflète, contrairement aux apparences, notre société auto satisfaite qui choisit la nouveauté à l’efficacité. L’apprentissage de la lecture en est emblématique. La méthode dite syllabique a montré son efficacité et permet de déchiffrer n’importe quel mot. Il a fallu innover, montrer qu’on faisait mieux que les vieux maitres, justifier qu’on soit détachés de ses classes (souvent parce qu’on ne les tient pas), inventer quelque chose. Le résultat, c’est la difficulté constatée chez les élèves de sixième à lire un texte ou comprendre un simple énoncé. Les statistiques qui ont montré que le nombre de jeunes illettrés avait diminué ne prenaient pas en compte les progrès de la scolarisation. Le nombre provenait de l’augmentation des effectifs d’enfants réellement scolarisés.

 

Les classes d’autrefois suscitent la nostalgie mais font office de repoussoir dans la mesure où elles sont appréhendées globalement. Les cartes de France et les planches d’anatomie sont mises sur le même plan que l’encrier, la blouse noire boutonnée dans le dos et le mauvais poêle qui chauffe péniblement et enfume la salle en hiver. On jette le bébé avec l’eau du bain chaque fois qu’on évoque ces images. Parce qu’à l’heure des stylos feutre, des traitements de texte, du chauffage central on a raison de rejeter l’encrier et les poêle, on s’autorise aussi à mépriser la pédagogie d’autrefois qui a donné des résultats. Les tenants de l’efficacité de l’enseignement se trouvent caricaturés par le souvenir de l’encrier et des taches et des coups de règles sur les doigts.

 

Enfin, les suicides d’élèves doivent aussi nous alerter. Une société qui voit sa structure consacrée à l’éducation de ses enfants gangrénée par l’incivilité, l’absence totale de référence collective, l’incapacité à donner ce qu’on appelle des repères, la précipitation avec la quelle elle délègue sa mission à des groupes de pression, généralement religieux, ne peut que s’affaiblir. Une société qui voit sa structure consacrée à l’éducation de ses enfants meurtrie par le suicide de ses membres, adultes éducateurs et enfant et adolescents éduqués n’a pas d’avenir. Elle ne propose qu’une survie plus ou moins heureuse selon une loterie qu’elle ne maitrise pas.

 

Si le sacrifice de cette enseignante biterroise pouvait servir à quelque chose. S’il pouvait délier les langues, donner du courage à ces professeurs qui souffrent en silence, qui ne rencontrent pas de soutien, ce serait lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Si les flammes vues par les élèves présents dans la cour de récréation pouvaient leur suggérer que, professeurs et élèves partagent, un temps, la même destinée et ont intérêt à s’unir, on en viendrait à ne pas les regretter. Les élèves sont choqués. On le serait à moins. Que leur trouble soit entendu. En chahutant leur professeure, on lui rendant la vie impossible, ils ont, maladroitement, envoyé un message, eux aussi. Est-il si difficile à entendre ?

 

Il n’y a pas longtemps, les lycéens sortaient de leurs lycées pour manifester dans les rues et réclamer des cours et des professeurs.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/05/08/9103366.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/25/19422743.html

 

Ils faisaient preuve d’une belle sagesse, inhabituelle pour ces âges, mais qui n’a pas été prise en compte. Que faut-il faire pour que les pouvoirs publics et autres décideurs, pour que les pédagogues professionnels comprennent ?

Faut-il d’autres suicides ? Hein ?

 

Plus que jamais Saturne dévore ses enfants et ça n’est plus seulement une métaphore.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/02/10/16861714.html

 

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