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la lanterne de diogène
31 octobre 2011

Robert Lamoureux témoin d'une époque

lamoureuxOn se répand sur la mort de Robert Lamoureux. On dit qu'il a été le premier à monter sur une scène pour raconter des histoires drôles durant tout un spectacle. On dit.. On dit...

On rappelle ses films sur la 7ième compagnie. On oublie que cela fait bien quarante ans qu'on ne l'entend plus et que son humour a vieilli.

 

L'humour est probablement ce qui vieillit le plus mal. Selon les époques, on ne rit pas de la même chose. Les vies ne sont pas les mêmes, les raisons de rire et les besoins de rire non plus. L'humour d'un Robert Lamoureux consistait à rire de ses petits travers et de situations dans lesquelles on se reconnaît. On riait de voir les malhonnêtes abuser de naïfs et sa peinture d'une petite famille avec ses conflits mais avec son unité paraît complètement incompréhensible à l'heure des familles recomposées.

 

Grosso modo, ça a duré jusqu'au milieu des années 1970 qui coïncide avec le début de la crise économique que nous subissons et qui remet en cause tout ce qui faisait notre vie sans trop nous poser de questions. Il n'est jusqu'à l'économie qui ne répond plus. La production n'amène plus la richesse. La richesse n'est pas répartie. Sur le plan social, l'obscurantisme religieux progresse partout et surtout parmi ceux qui se sentent exclus de la crise. L'éducation prend soin de ne rien faire pour seulement permettre d'avoir accès à une autre culture que celle qui est façonnée par la société. Comme le faisait remarquer Sartre dans un débat célèbre de l'Odéon en mai 1968, la société est assez forte pour récupérer jusqu'à la contestation qu'elle suscite. J'ai dénoncé ici, à plusieurs reprises, le soin apporté par les programmes scolaires pour vider l'enseignement de contenu pour privilégier des « savoir-faire » afin de formater des individus capables d'effectuer un nombre de tâches et non pas de pouvoir décider de la tâche qui lui incombe.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/02/19494700.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/23/19406576.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/08/31/2654107.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/23/20704733.html

 

 

En l'absence d'une contestation réelle et d'outils de contestation, le vide est occupé par l'intégrisme religieux et par des humoristes qui sont autant de bouffons du roi.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/24/18408754.html

 

Le roi étant la société libéraliste et ses flics sont la « pensée unique », beaucoup plus efficace que des forces répressives qui poursuivent et qui frappent. Les CRS interviennent peu de nos jours et recadrent surtout des éléments incontrôlés et peu organisés. En l'absence de remise en cause de la société, les humoristes actuels s'en prennent à ceux qui dénotent, selon eux. Les plus audacieux délaissent les vedettes pour taper sur le personnel politique sans se rendre compte (ou peut-être sciemment, après tout ?) qu'en affaiblissant à ce point le politique, ils renforcent le pouvoir des financiers auprès de l'opinion publique. Ils s'en prennent volontiers aux rares personnalités qui contestent la société ou remettent plus probablement en cause une partie de l'ordre qu'on voudrait établi une bonne fois pour toutes. Également, les humoristes ont renoncé à se moquer de nos travers. Notre société fait preuve d'un narcissisme exacerbé et, au nom de la tolérance, admet tous les comportements asociaux. Pas question de s'en prendre aux fumeurs ou aux alcooliques. Elle admire ses réalisations techniques, des progrès qui facilitent réellement la vie quotidienne et en profite pour nous faire accepter tout le reste. Qu'on s'en prenne à un défaut et, aussitôt, les humoristes dénonceront l'imprécateur. Circulez, y a rien à voir !

 

Les humoristes d'aujourd'hui n'auront pas de mots assez forts et mobiliseront le vocabulaire de la contestation pour s'en prendre à celui qui oserait dénoncer le travers de quelqu'un connoté comme exploité. On ne peut plus s'en prendre à un ivrogne, par exemple, car, s'il a le temps de boire, c'est qu'il est au chômage. On ne s'en prendra pas plus à un chauffard car, en enfreignant le code de la route, il apparaît comme luttant contre les lois répressives du gouvernement de droite. Laquelle droite qui sert les forces financières et libéralistes en général s'en tire à très bon compte avec ce type de contestation qui ne remet nullement en cause la société et affaiblit un peu plus le pouvoir souverain des États.

 

Après la disparition de son journal, Charlie Hebdo, Cavanna déplorait : « Nous étions le journal anti-beaufs et nous avions fini par être le journal des beaufs ».

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/12/02/11604927.html

 

Sauf que les beaufs en question voulaient faire bien, s'encanailler en lisant l'humour grinçant et sans concession de hebdomadaire satirique. Ils reproduisaient, en le brandissant, une société conformiste avec son humour institutionnel. Robert Lamoureux n'avait plus de succès depuis longtemps. Il était qualifié de franchouillard. À l'heure de la mondialisation libéraliste – en devenir ou à son apogée comme en ce moment – quoi de plus ringard et de plus risible que d'afficher des caractéristiques nationales ? Raymond Devos n'aurait pas plus de succès de nos jours. Quelqu'un qui joue avec les mots a besoin d'un minimum de vocabulaire et a besoin de comprendre l'évolution du langage. Quand l'Éducation de masse prend soin d'éviter de faire réfléchir et même d'enseigner les bases du langage, il ne reste que les émotions primaires : j'aime ou j'aime pas. Le monde se simplifie à l'extrême entre le bien et le mal. Donc, tous les commentaires, toutes les performances d'humoristes se résument à taper sur ceux qu'ils n'aiment pas. En général, ce sont les politiques. Ce n'est pas trop difficile. Ceux qui ont le pouvoir ou qui aspirent à le prendre s'exposent et, partant, deviennent des cibles commodes. Ceux qui exercent le pouvoir sont facilement et, souvent à juste titre, accusés d'être responsables de ses frustrations sociales. Au premier rang de celles-ci, se trouvent, bien entendu, l'impossibilité de se payer quelque chose d'indispensable ou d'agréable. Donc, alors que la crise connait un pic qu'on sentait poindre depuis quelques années, l'humour se focalise essentiellement sur les attaques contre le personnel politique à défaut de s'en prendre aux véritables responsables. D'ailleurs, ces mêmes humoristes, ces mêmes bouffons du roi, s'en prennent à égalité aux rares personnalités politiques qui contestent la société libéraliste. C'est qu'on veut bien jeter quelques bébés mais surtout pas l'eau du bain.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/01/24/20205096.html

 

 

Est-il étonnant qu'un Laurent Ruquier s'en soit pris à un José Bové, lui reprochant de défendre les fromages de chèvre, la bonne bouffe et donc une certaine vision typiquement française de l'alimentation tandis que lui, appartient à une génération qui se satisfait de pouvoir manger ce qu'il veut et à n'importe quelle heure ; et qu'importe que la mondialisation s'insinue jusque dans nos assiettes (quand il y a encore des assiettes) et conduise de fait à une uniformisation des comportements et, à terme à une restriction de ces mêmes comportements ? L'important, dans notre société nombriliste, est de pouvoir satisfaire ses pulsions au moment où elles s'expriment. Cela, les humoristes actuels ne le dénoncent pas, bien au contraire, ils l'accompagnent malgré les apparences et leurs éventuelles dénégations.

 

Dans une société qui a mis sous le boisseau sa culture, ses repères sociaux et moraux, l'idée même de l'instruction (ne parlons pas d'éducation) au profit de la formation, dans une société où l'émotion prime sur les idées, les humoristes autoproclamés comme tels sont devenus les maîtres à penser. On guette les sorties des humoristes qui commentent l'actualité le matin, sur les radios. On espère le gros mot et l'on jouit d'avance en pensant à celui qui en sera la victime. Le mot à la mode est « décapant » pour qualifier le spectacle qui tapera le plus fort même s'il ne s'agit, le plus souvent, que d'enfoncer des portes ouvertes. Au contraire, on se sent renforcé quand le propos de comptoir se trouve légitimé par un humoriste. Là où les générations déclinantes citaient volontiers Sartre ou Marcuse, on cite plus facilement Desproges ou le dernier pitre télévisuel à la mode.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/17/22382953.html

 

Un Noam Chomsky a pu venir à Paris, l'an dernier, dans l'indifférence générale. Même le bruit relatif fait autour du trentenaire de la mort de Georges Brassens n'a donné lieu qu'à un étalage de banalités. Lui qui, l'air de rien, en appelait à refuser l'ordre établi et à tisser des relations plus humaines autour de soi, se voit réduit désormais à une chanson : « Le temps ne fait rien à l'affaire ». Belle unanimité puisque les cons, ce sont toujours les autres ; donc chacun peut comprendre des paroles simplistes et répétitives et penser qu'elles visaient autrui. Unanimité, unicité, nivellement sont les maître mots de notre société où la beauté est absente (il suffit de voir l'art contemporain), où la superficialité des rapports humains et des aspirations (recherche des marques et autre « bling-bling ») se généralise, où l'inculture est devenue un signe de reconnaissance. Ce champs sémantique de l'insipidité recouvre un absolu qui veut gommer les différences d'opinion, de goût et prévenir tout débat. Paradoxalement, la confrontation, et son corolaire l'échange, ont cédé la place au conflit (fût-il de pure forme) et à la rétention.

 

À la charge des générations déclinantes, il faut leur reconnaître une responsabilité certaine dans la situation actuelle dans la mesure où, elles étaient bien imprégnées de culture et de pensée contestataire de qualité et qu'elles ont détruit l'édifice qui en avait, certes, besoin, mais sans reconstruire selon les propositions de leurs référents ou selon une schéma nourri de différentes sources. Le résultat, c'est cette pensée unique appliquée à tous les domaines mais qui présente l'avantage de délégitimer toute contestation, c'est un nivellement consistant à prendre comme acquis que tout se vaut et donc que l'ignorance égale la connaissance.

 

On objectera que la destruction de l'édifice commun peut être une bonne chose en soi dans la mesure où une construction serait porteuse d'inégalités et de frustrations et que la jachère dépourvue de maîtres à penser donne à l'humain une plus grande dimension en favorisant son pouvoir de décision. L'idée est séduisante si elle conduit à une « Utopia » mais comme l'assène Rabelais, cela présuppose une solide connaissance dans tous les domaines. Il est curieux de constater que les moyens exceptionnels et multimédiatiques mis à la disposition du plus grand nombre ne touchent toujours qu'une minorité. Sinon, c'est la loi du plus fort qui s'impose. Elle s'impose d'autant plus facilement que les instruments sociaux sont affaiblis et que les émotions gouvernent les comportements. Or, tant que des humoristes se focalisent sur des personnalités, certes critiquables, sans atteindre le fond du problème, ils n'effleurent pas les fondements inégalitaires de la société actuelle. En s'épargnant de faire sourire des petits travers de chacun, ils accentuent l'égoïsme ambiant quand le regard critique sur sa propre personne distingue l'humain évolué de la masse qui adhère à l'opinion à la mode. L'humoriste qui se prend au sérieux cesse d'être un humoriste pour devenir un moralisateur.

 

On relira :Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et toujours l'incontournable 1984 de George Orwell. Les deux ouvrages montrent comment une société de masse est manipulée et rendue inerte en réduisant ses possibilités d'accès à l'instruction, en interdisant toute contradiction, en simplifiant le vocabulaire et le réduisant, en lui proposant de vils amusements via la télévision omniprésente. L'idée de Bradbury, c'est que les livres se contredisent tous et entrainent la désunion entre les personnes. Il faut donc les brûler. Orwell va jusqu'à inventer l'écran interactif qui peut aussi surveiller le téléspectateur partout où il se trouve. Le monde devient d'une simplicité consternante mais sans conflits internes et sans référence au passé. Finalement, c'est bien comme ça qu'on nous a vendu le Traité de Lisbonne.

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