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la lanterne de diogène
14 décembre 2011

Suicides en 2011

Une enquête de l'Institut de Veille Sanitaire publiée dans le Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) ce mardi 13 décembre porte sur le suicide. Elle fait état d'un nombre alarmant de morts, chiffré un peu au-dessus de 10 000 cas annuels, étant entendu que, forcément, ce nombre est minoré. Elle tente d'établir qu'une proportion importante de la population a tenté de se suicider. À celle-là, il faut ajouter les personnes qui y pensent sérieusement.

Je cite intégralement puisque les deux articles mentionnés reprennent ce paragraphe : Le facteur de risque le plus important dans la survenue des pensées suicidaires comme des tentatives de suicide est le fait d'avoir subi des violences (sexuelles ou non). Les autres facteurs associés sont le fait de vivre seul, le chômage, un faible niveau de revenu et la consommation de tabac, et, chez les femmes, une consommation d'alcool à risque chronique. C'est pour ça que la survenue d'idées suicidaires est maximale entre 45 et 54 ans (5 %), tranche d'âge qui enregistre le plus gros effectif de morts par suicide (2 246 en 2009).

Ailleurs, on note que les adolescentes sont davantage concernées alors que les femmes plus âgées sont moins nombreuses que les hommes à passer à l'acte. Sans doute faut-il y voir la responsabilité de mère envers ses enfants.

Pour que cette enquête soit prise au sérieux, il faut évoquer le coût pour la société. Les tentatives de suicide sont à l'origine d'environ 90 000 hospitalisations par an. On imagine le coût d'un simple lavage d'estomac jusqu'aux chirurgies réparatrices plus lourdes. À cela, il faut ajouter les psychothérapies. Seulement, tout ça reste tabou. Le suicide est condamné par les principales religions. Même dans un pays laïc, ça laisse des traces dans l'éducation. Ensuite, on condamne facilement celui qui n'a pas eu le courage d'affronter les difficultés. Bien sûr, la condamnation est une réponse automatique qui exonère de s'interroger sur les raisons profondes du suicide et évite de ressentir une part de responsabilité quand il s'agit d'un proche ou d'une connaissance. La condamnation du suicide donne le beau rôle à celui qui condamne et se croit plus fort alors qu'il n'est souvent qu'un conformiste qui s'accommode bien des inégalités et n'a pas trop de soucis matériels. Enfin, la condamnation évite de se demander si, au fond, le suicidé n'a pas eu raison. Dans ce cas, ça voudrait dire qu'on a tort et qu'on accepte l'intolérable et l'insupportable. En tout cas, on accepte la souffrance ordinaire et quotidienne.



L'enquête sur les suicides en France et sur les tentatives de suicides doit être rapprochée de la consommation de psychotropes et autres tranquillisants dans notre pays. Régulièrement, on publie des statistiques qui tentent à démontrer que les Français sont les champions du monde de la consommation de ces produits. Or, à aucun moment, on ne s'interroge sur les raisons. À aucun moment, on ne se demande si les conditions de vie, de travail, si les relations sociales, les relations sur le lieu de travail, ne sont pas directement à l'origine de ce malaise qu'on soigne à coups de médicaments dans la mesure où l'on ne peut se payer le luxe de s'arrêter quelques jours ou de changer de boulot ou de déménager. Pour ne prendre qu'un exemple : combien de femmes partent au travail, le matin, en pensant aux réflexions que vont faire leurs collègues masculins sur leur sexualité supposée et sur leur apparence physique ? Si certaines peuvent le supporter ou le prendre avec humour en répliquant sur le même registre, faut-il mépriser celles qui ne possèdent ces ressources ou la répartie nécessaire ? Le médicament, surtout le tranquillisant, se prend discrètement, presque clandestinement, toujours honteusement. Une personne installée dans la dépendance à ces médicaments depuis plusieurs années peut-elle supporter indéfiniment cette situation ? Cette situation, c'est un malaise dû à une vie difficile, des relations affectives insatisfaisantes, un boulot strictement alimentaire, des réflexions désagréables au quotidien. La réponse dans l'urgence, ce sont les tranquillisants et l'alcool qui est l'anxiolytique le plus facile à obtenir et qui, paradoxalement, est mieux toléré par la société. Personne ne reprochera à quelqu'un de boire un petit coup de temps en temps, même quand la fréquence augmente dangereusement.

Tabou encore lorsque le suicide ne dit pas son nom. Dans ce domaine comme ailleurs, on a recours à un euphémisme, à une formulation politiquement correcte. Dans ce cas, on utilise un simple sigle : TS. La situation est telle que la plupart des gens comprend mais n'ose pas décrypter. Il y a même une certaine « branchitude » à parler de TS.



Dans ce domaine aussi, les humoristes et autres chroniqueurs qui envahissent les médias, prennent leur part. Ils connaissent les noms des principaux psychotropes, les citent régulièrement et font rire leur public avec. Ils tournent en dérision les malheureux qui ont recours à ces artifices et qui rejoignent le nombre de leurs victimes habituelles, des gens qu'ils n'aiment pas parce qu'ils n'ont pas leur intelligence ni le bon goût de se comporter comme eux ou de penser comme eux. Au conflit devenu insupportable parce qu'il s'ajoute à d'autres soucis, à la honte qu'on éprouve en absorbant un cachet au-dessus d'un lavabo, pour que personne ne voit, à l'incompréhension de tous et de ses proches, il faut encore ajouter le mépris de la part de ceux qui prétendent qu'il faut rire de tout. Rire de tout, c'est évidemment rire de tous les autres mais pas de soi. Nous avons déjà observé combien les humoristes à la mode, pour féroces qu'ils paraissent, ne sont pas dangereux pour les puissants ni pour le système qui les tolère bien volontiers. En s'en prenant à des chanteuses à succès, à des sportifs, des hommes politiques, ils ne font que reprendre les conversations de bistrot ou, plus simplement, de machine à café. En revanche, lorsqu'ils s'en prennent aux plus faibles, ils obtiennent le même succès mais augmentent la souffrance des personnes qui ne sont déjà pas en mesure de faire face à leurs difficultés.

Il y a peu de chance que cette enquête fasse bouger quoi que ce soit ou ait le moindre impact. Le malaise à évoquer le sujet est tel qu'il dissuade la moindre discussion. En revanche, son corolaire, la consommation de psychotropes fait couler de l'encre et délie les langues. On se donne facilement des airs en se moquant de cette prise ignoble (au sens premier à savoir non-noble) de médicaments et en rouspétant contre les petits irresponsables qui grèvent le budget de la sécu et font que les médicaments qu'on prend soi même pour une noble raison sont moins remboursés. Néanmoins, dans le secret de la conscience, beaucoup gambergeront sur cette enquête.



Sur le suicide :

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/15/22349686.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/23/22443474.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/10/01/15277997.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/05/31/21270784.html



sur les humoristes :

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/03/28/13172760.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/24/18408754.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/31/22536355.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/03/23/17332283.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/14/18280554.html

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