Gamins paumés

Le bruit et la fureur après les tueries en Occitanie ne sont pas encore apaisées que, déjà, un autre meurtre nous interpelle. Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Déjà, après que le tueur en série de Toulouse a été abattu, on a entendu des voix pour relativiser et dire qu'il n'en avait tué que 7.

Que 7 ! Sept, en effet, ce n'est pas beaucoup : même pas les doigts des deux mains. Sept, ce n'est pas beaucoup comparé aux morts par accidents de la route, accidents du travail, cancer et autres maladies incurables, par suicides. Sept, ce n'est pas grand chose comparé aux exécutions par la pègre sous toutes les latitudes et ce n'est pas grand chose comparé aux morts pendant les guerres et opérations de police ici ou là. Pourtant, nous avons été émus en apprenant qu'un bipède a pu saisir une fillette par les cheveux et lui tirer dessus à bout portant à deux reprises. Une bête ne l'aurait pas fait.

Maintenant, c'est un autre meurtre, à bout portant également, qui nous fait réagir. Quatre gamins ont tué un cinquième de peur qu'il ne les balance ;

http://www.20minutes.fr/societe/907131-seine-maritime-quatre-adolescents-tuent-camarade-tirant-deux-balles-nuque

quatre « gamins paumés » : décidément, la formule a du succès ces derniers jours !

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/28/23873269.html

Cette fois, ce qui interpelle, n'est pas tant le meurtre, l'origine des meurtriers que la disproportion entre le motif de la punition et la punition elle-même, à savoir : la peine capitale pour un soupçon de dénonciation virtuelle. Sans même avoir attendu que leur camarade les dénonce pour un casse probablement minable, les « gamins paumés » ont employé les grands moyens pour réduire leur copain au silence : seule la mort pouvait leur apporter la garantie absolue.

Ce nouveau fait divers sanglant n'étonnera pas les habituels visiteurs

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

Nous avions alors avancé que c'est l'absence totale d'échelle de valeur qui engendre non pas tant la violence que la disproportion de la violence. Que des jeunes, qui ne sont pas si paumés que ça, puissent exécuter le meurtre d'un de leurs proches, qui pour une gomme, qui pour une peut-être dénonciation, a de quoi inquiéter. Bien sûr, on peut penser qu'il y avait autre chose. Et quand bien même ? Le rôle de l'éducation consiste justement à être capable d'établir une hiérarchie. Or, pour ne faire de peine à personne, pour ne froisser aucune susceptibilité, on a pris l'habitude de considérer que tout se vaut, que toute démarche en vaut une autre, que la moindre intention vaut une réalisation remarquable, que la moindre croute d'un barbouilleur du dimanche vaut « La ronde de nuit » de Rembrandt. Le passage à la télévision abolit les hiérarchies. L'image est la même pour un rare savant invité, un artiste de valeur, que pour un apprenti chanteur, un candidat d'un jeu avilissant. L'abject badaud voyeur dont le seul mérite aura été de se trouver témoin (et encore) d'un fait divers acquiert la même notoriété qu'une vedette ou une personnalité connue pour son travail même futile.

La facilité avec laquelle on peut désormais se procurer des armes de guerre est une abomination que seule dépasse la facilité avec laquelle on décide de s'en procurer. La kalachnikov, surnommée autrefois « l'arme contre l'impérialisme » se banalise et remplace l'arme de poing pour régler les conflits privés. Seulement, comme les Libanais le pressentaient lorsque, après leur guerre civile, leurs armes ont été rachetées par des factions yougoslaves, ces armes servent surtout pour les guerres civiles et les guérillas. Est-ce à dire que c'est la situation à venir ou qu'on y est déjà ? N'est-il pas temps de prendre la mesure du malaise et d'en analyser les causes ?

Alors qu'on vient de célébrer les 30 ans de l'abolition de la peine de mort, il se trouve, dans la sphère privée, des individus décérébrés qui tuent un des leurs pour un prétexte futile, une broutille, ou pour faire parler d'eux à la télévision. Le pire (mais à ce niveau d'abjection, il est difficile de classifier), c'est qu'il existe quantité d'esprits faibles fascinés par ces meurtres, fascinés par ces meurtriers qui leur ressemblent tant. Ils sont prêts à franchir le pas. Or, dans la vie quotidienne, rien ne les distingue. Nous les côtoyons. Nous assistons au triomphe de Sade, souvent porté aux nues en feignant d'ignorer qu'il prônait, entre autre, la torture, la séquestration, le meurtre de personnes (souvent des femmes) enlevées au hasard, afin de satisfaire un plaisir morbide qu'aucune règle ne pouvait blâmer.

La loi du Talion fixait une règle et l'esprit d'une règle très précisément. Contrairement à la caricature qui en est fait chaque fois qu'elle est invoquée, il ne s'agit pas d'un appel à rendre coup pour coup mais pas plus que le dommage causé. La loi du Talion stipule, au contraire, une modération dans les peines. Pour un œil, une dent, il ne faut pas en demander deux mais seulement une. La culture, la civilisation appellent à la modération mais l'établissement de la loi du Talion représentait un progrès par rapport à la vengeance qui avait cours à l'époque. Cette idée reçue qui s'ajoute aux autres participe à la confusion. L'absence d'échelle de valeur marque un retour à la situation d'avant la loi du Talion. Ici, pour un acte de dénonciation qui n'a pas encore été effectué, ils ont tué.

Ne doutons pas qu'il y aura d'autres meurtres de ce genre, en série ou isolés, tant qu'on continuera à appauvrir les connaissances, à ne considérer que ce qui rapporte ou apporte une satisfaction immédiate et quantifiable. On prive ainsi les jeunes en situation d'apprendre, des outils pour comprendre, analyser et se forger une opinion par eux-même. C'est bien le but recherché, évidemment, mais pour atteindre ce but, pour disposer d'une masse moutonnière et docile, attirée par le clinquant et l'artificiel, combien de victimes collatérales, combien de tués encore ?

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/02/19494700.html

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