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la lanterne de diogène
24 avril 2012

Les médias contre la démocratie 4

Nous poursuivons notre réflexion sur les médias contre la démocratie avec deux cas concrets que nous avons pu observer tout au long de cette campagne pour la présidentielle et particulièrement ces deux dernières semaines.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/16/23777510.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/04/06/23946622.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/04/09/23968595.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/04/18/24042279.html

 

 

D'abord, la fameuse égalité du temps de parole. Nous avons entendu à longueur de journée, les journalistes manifester leur mauvaise humeur contre ce simple rappel à l'objectivité en politique consistant à accorder les mêmes chances aux uns et aux autres de présenter leurs programmes et leurs arguments quand ils en ont. Justement, cet exercice permettrait de constater facilement ceux qui parlent dans le vide, qui ânonnent des formules toute faites et ceux qui font l'effort de mener une réflexion originale et argumentée.

 

Seulement, ça les obligerait à écouter tout le monde et, eux-mêmes, à produire des analyses originales plutôt que leurs commentaires attendus et, pour ainsi dire, décalqués. Or, ils sont formatés depuis leur passage à Science-Po (surtout à Paris) et dans l'école de la rue de Rivoli. Ils ne vont surement pas remettre en cause les grilles de lectures qu'ils ont péniblement assimilées.

 

En réclamant que « les petits candidats » ne disposent pas des mêmes conditions que les autres, qu'ils connaissent mieux et avec lesquelles ils entretiennent parfois des relations extra-professionnelles, ils attaquent directement les élus locaux. Ce sont eux qui, ont jugé les premiers de la pertinence ou non d'une candidature. Ils sont les élus du premier degré de la démocratie qu'on appelle aussi la « démocratie de proximité ». Eux qui ont été élus par les citoyens de base disposent du pouvoir de permettre à un candidat de se présenter à la magistrature suprême. Pouvoir exorbitant mais pouvoir qui fait partie du mandat accordé par les électeurs, pouvoir qui est connu des électeurs (puisque rappelé tous les cinq ans), pouvoir qui n'est pas contesté par les électeurs mais par les seuls journalistes et quelques politiciens de carrière soucieux de ne pas voir de concurrence.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/02/11/23493367.html

 

Dans ce concert parfaitement réglé, il faut souligner la voix discordante d'un Thomas Legrand qui, le lundi matin, au micro d'une Pascale Clark éberluée, a déclaré avoir apprécié de pouvoir connaitre d'autres opinions présentées à la faveur de l'égalité de temps de parole. Mais, dès le soir du premier tour, sur la plupart des plateaux, les commentateurs réclamaient encore le changement de ces règles contraignantes pour eux comme s'il n'y avait pas d'autres sujets à approfondir au vu des résultats.

 

En d'autres termes, il s'agit de réduire le pouvoir des élus locaux et de le transférer aux médias qui ne sont pas choisis mais subis. Malgré la concurrence, les journalistes sortent tous des mêmes formations ou du moins leurs directeurs liés par amitiés politiques ou à des groupes industriels ou financiers.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/12/29/23024247.html

 

La contestation de l'égalité de temps de paroles entre les candidats remet également en cause la principe cardinal de la Constitution, à savoir l'élection du Président de la République au suffrage universel. En effet, la lettre et l'esprit de la constitution énoncent qu'il s'agit de la fameuse rencontre d'un Homme avec le peuple. Cette relation particulière avait, à l'origine, pour but de donner une légitimité au Président afin de passer outre les blocages de la vie parlementaire. Cette constitution a été approuvée en son temps. Elle a fait preuve de son efficacité mais aussi de ses limites en favorisant peu à peu les grands partis politiques, puis la bipolarisation (à partir de 1974) et, finalement, le bipartisme. Cette faiblesse a conduit, ces dernières décennies à une inflation de candidats à la présidentielle afin de faire entendre des voix différentes. Néanmoins, la loi existe et doit être respectée sinon, comment faire respecter les autres lois en cas de délits ou même de simples contraventions quand, au plus haut niveau, on se permet de contester voire de passer outre ? En permettant aux « petits candidats » méprisés par les médias d'exposer leurs idées et leurs programmes, la loi donne une chance d'informer et de voter en connaissance.

 

 

L'autre problème qui s'est posé ces jours-ci, c'est la diffusion des résultats des sondages de sorties de bureau de vote avant la clôture du scrutin national. Là encore, l'argument avancé pour la contrer, c'est l'obsolescence de la loi. Peut-être, mais en attendant de la changer, elle s'applique jusqu'à preuve du contraire. Sinon, n'importe quel contrevenant pour n'importe quelle infraction pourrait la justifier en avançant qu'il devance une hypothétique révision dans un sens qui lui conviendrait mieux. La question n'est pas tant que les électeur tardifs de quelques grandes villes (surtout Paris en fait) pourraient changer d'avis au dernier moment en connaissant l'avance ou le retard d'un candidat. D'autant qu'il y aurait un moyen simple d'y remédier en prenant en compte l'impatience des médias qui, parait-il répond au besoin du public. Il a bon dos le public. Il aurait suffi que le Président de la République signe l'avant-veille un décret avec application immédiate pour avancer l'heure de clôture du scrutin à 19 h au lieu de 20 h dans les villes concernées ou de mettre tout le monde à 19 h. Or, M. Sarkozy – dont nous avons dit il y a cinq ans qu'il était le candidat des médias –

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/05/31/5138984.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/01/13/7552216.html

 

a fait savoir publiquement qu'il approuvait le non-respect de la loi sur la publication des estimations de vote sur l'Internet. On peut penser qu'il l'a dit en tant que candidat. N'empêche, il est bien Président de la République en fonction et ne peut se dédoubler lorsqu'il s'agit du respect des lois de la République. Voir que le Président de la République approuve l'irrespect alors qu'il est censé garantir l'application de la loi nous paraît extrêmement grave. On l'a connu plus soucieux de mettre au pas l'Internet en imposant la fameuse loi Hadopi. Nous apprenons même que, à la demande de la Commission de contrôle de la campagne, il a réitéré son refus de modifier les horaires. On comprend difficilement cette incohérence sinon en remarquant la collusion entre les médias et le monde politique de gouvernement. Désormais, ce sont les médias qui font pression pour changer la réglementation et le code électoral et même la Constitution. Dans une démocratie digne de ce nom, ce devrait être l'opinion publique relayée par les médias (d'où le terme de media) qui demande au législateur de tels changements. Dans la pratique actuelle, ce sont les médias qui font pression sur l'opinion publique qu'il faut aller dans le sens de leurs intérêts et des intérêts des actionnaires de leurs employeurs.

 

Ce qui nous fonde à avancer cette affirmation, c'est que ce n'est, évidemment, pas la première fois qu'il y a une élection présidentielle en France ni même la première fois à l'heure de l'Internet. On peut également se demander l'intérêt qu'il y a à connaître avant 20 h le résultat du scrutin. Seulement, les médias sont conscients de leur pouvoir récent et en veulent toujours plus. Un groupe comme Radio-France a dénoncé son chroniqueur Stéphane Guillon pour avoir instrumentalisé la fin de son contrat de travail pour le faire passer pour un licenciement.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/14/18280554.html

 

Pourtant, aujourd'hui, Radio-France utilise la même ficelle et instrumentalise à longueur de journée sur ses différentes chaînes la contrainte de l'égalité de temps de parole entre candidats. Le but est de convaincre l'opinion publique du bien fondé de leur démarche et de faire croire que les médias défendent la démocratie au profit de leur public alors que c'est le contraire et que l'irrespect des lois élémentaires de la démocratie la fragilise et la menace. Les chances de réussite sont plus grandes dans la mesure où les autres groupes de médias en font de même.

 

Or, les journalistes disposent de la maitrise de la parole. Ils distribuent la paroles à qui ils veulent et sur le mode qu'ils veulent. Ils peuvent, à leur guise, tenter de convaincre leur public qu'ils ont raison lorsqu'ils les incitent à contester leur propre choix. Ils le font de manière directe en protestant contre les règles d'égalité. Ils le font de manière indirecte en maniant l'humour pour ridiculiser les candidats qui les gênent. Ainsi, chaque vendredi, Pascale Clark sur Inter a proposé une « séance rattrapage » pour que soient comptabilisés sur leurs temps de paroles les lapsus des candidats qui n'ont pas droit de cité, ainsi que des mots ou des phrases coupées comme par exemple un mot commençant par « con- ». C'est du niveau de cour de récréation mais tel est le niveau d'inculture des médias. Il s'agit en réalité d'un exercice de chansonniers éculé mais qui prend place dans une tranche d'information et, à ce titre, sera pris en compte par l'autorité de régulation. Il y a peu de risque qu'un de ces candidats puisse dénoncer la manipulation, même si elle est avérée.

 

« Au commencement était le verbe (...) et le verbe s'est fait chair » (prologue de l'évangile selon Jean). Traduit en termes politiques, la parole précède les actes. Ceux qui disposent de la parole, qui maitrisent sa diffusion, possèdent désormais le pouvoir d'inspirer les actes de la vie politique, de choisir les représentants du peuple et de contourner, au nom de la démocratie – ce qui est un comble – les lois qui ne leur conviennent pas quand elles leur paraissent contraignantes. Ces contraintes les empêchent de s'écouter parler ou de diffuser des intermèdes publicitaires. Le but de chaque média est de capter le plus d'audience, les uns pour faire valoir la qualité de leurs programmes, les autres pour obtenir les moyens de travailler. Dans cette compétition, la forme importe plus que le fond et la démocratie n'a pas sa place puisqu'elle fonctionne avec une autre logique que l'intérêt commercial.

 

Nous assistons à un véritable renversement des valeurs qui ont fondé notre civilisation dont le socle repose, entre autre, sur la séparation des trois pouvoirs. L'émergence de ce qu'on a appelé un « quatrième pouvoir » force à revoir cette conception de la démocratie que ses inspirateurs n'avaient pas prévue. Ce quatrième pouvoir médiatique a besoin de place mais présente la caractéristique non seulement de diminuer la part des trois autres mais d'occuper toute la place et de se substituer à eux. Le plus fort, c'est que la maitrise parfaite de l'outil médiatique afin d'orienter l'opinion publique permet de rendre crédible l'idée que c'est le public qui approuve le dessaisissement du pouvoir que la démocratie lui accorde. Il est facile de convaincre les jeunes (mais pas seulement eux) que la politique, c'est ringard et que les compétitions entre jeunes chanteurs a plus d'importance.

Les pressions des intérêts financiers, de leurs courroies de transmission que sont les institutions supranationales (comme la BCE, le FMI, la Commission Européenne), les agences de notations qui font croire à l'objectivité de ces pressions,

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/08/13/21784904.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/19/22403951.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/05/07/17815935.html

 

réduisent de plus en plus à l'impuissance les gouvernements choisis par les peuples souverains. Ces mêmes peuples cèdent ce qui leur reste, à savoir le suffrage universel, au pouvoir médiatique en le laissant décider de ceux qui ont le droit de les représenter.

 

Le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen de 2005 a été une répétition générale in situ. L'appareil médiatique dans son ensemble a appuyé le projet de TCE en dehors des espaces réservés au politique pour en débattre. Les médias ont également usé de différents moyens (analyses, satires) pour dénigrer les voix qui tentaient de contester le projet. Tout cela, encore une fois, en dehors des interventions politiques proprement dites. On a donc assisté à un déséquilibre favorable au TCE. Une fois le vote acquis, les médias ont mis en œuvre le discrédit sur le scrutin, les conditions qui ont permis le résultat inverse de celui qu'ils avaient favorisé. Ils ont appelé à revoir le principe du vote puisqu'il ne correspondait pas aux intérêts qu'ils défendent. Les journalistes en ont minimisé l'importance tout en renforçant leurs relations avec une partie de la classe politique, celle qu'ils ont côtoyée sur les bancs de Science-Po et qui, comme par hasard, était favorable au TCE.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/12/29/23024247.html

 

Pour finir, le Président de la République française a imposé à ses partenaires un autre traité très semblable mais qui passe outre la pratique de la démocratie. C'est devenu une habitude. Le pouvoir médiatique s'est vite ressaisi tandis que la démocratie perd sa force.

Cette fois, les médias ont retenu la leçon et n'ont pas provoqué d’hiatus entre leur choix et les préférences du public.

 

Les médias entendent conserver leur monopole de la parole et seront de plus en plus attentifs à la distribution de cette parole. Nous allons assister à un formatage de la parole, un peu comme dans le domaine alimentaire. C'est déjà le cas depuis plusieurs années et l'on a pu parler de « pensée unique ». Pourtant, malgré les verrous évidents, malgré le relais plus subtil des humoristes, des voix dissonantes parviennent à se faire entendre tant que l'arsenal législatif le permet. À partir du moment où les médias contestent ouvertement et de manière insistante la loi, la régulation, à partir du moment où le premier magistrat (le Président de la République) se déclare ouvertement favorable à l'irrespect de la loi, il est bien évident que ce seront les voix les plus fortes quantitativement qui domineront les autres. Il ne faut pas imaginer que l'absence de règles profitera à tout un chacun. Simplement, ce sont d'autres règles qui ne disent pas leur nom qui s'y substitueront. On sait depuis Henri Lacordaire que « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Dans son « Contrat social », Rousseau partait du constat que les inégalités existent et que c'est pour cela qu'il faut assurer les mêmes droits à chacun, quelle que soit sa condition. La loi est civilisatrice. On peut s'étonner que ceux qui en appellent à une compétition entre les civilisations ignorent leur fondement. Aucune civilisation n'a prospéré sans règles. Aucune civilisation n'a duré en abandonnant le pouvoir à une classe.

 

Céder au pouvoir médiatique le pouvoir élémentaire du citoyen, consistant à choisir ses candidats aux élections puis ses élus n'est pas un progrès mais une régression fût-elle recouverte de paillettes et précédée de jingles tonitruants.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/03/14/4306034.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/02/10/20350978.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/05/18/9222919.html

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