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la lanterne de diogène
14 juillet 2012

PSA : début du 3ième tour financier

Peugeot

Depuis l'annonce du renvoi de 8000 salariés de PSA, on assiste à un de ces psychodrames qui sentent fort la resucée, la rediffusion, le plat réchauffé avec son fumet de graillon rance.

 

D'un côté, la Cgt annonce que « la guerre est déclarée ». La centrale ouvrière s’apprête à prendre la tête d'un mouvement comme pour « Le Parisien Libéré » à la fin des années 1970. Le gouvernement de gauche entend ne pas rester inactif et déjà le ministre chargé de l'industrie annonce monte au créneau. De l'autre, la direction de Peugeot, au moment de l'alternance politique qui a porté la gauche modérée au pouvoir, envoie un message clair. Il s'agit de déréguler, encore et toujours, afin de faire sauter le verrou du salaire minimum ainsi que de la réduction du temps de travail. L'expression qu'elle emploie le plus ces derniers temps est : « alléger le coût du travail ». Dans le langage libéraliste, le travail est un coût et l'on n'est pas loin de demander à ce qu'il soit pris en charge par la collectivité tandis que les profits continueraient d'aller vers les financiers. D'une certaine façon, c'est déjà ce qui se passe avec les emplois aidés. C'était ce qui se passait avec les heures supplémentaires défiscalisées. Bien sûr, dans le même temps, on n'oubliera pas de demander d'alléger aussi les impôts des fois que, d'un manière improbable, l’État envisage de récupérer une partie de l'aide fournie en amont. On remarque qu'il n'est pas question d'alléger les revenus des actionnaires. Après, on dira que la France vit au dessus de ses moyens, qu'elle est endettée. Endettée auprès de qui, d'ailleurs ?

 

On apprend le soir même, après avoir entendu le matin la nouvelle des 8 000 licenciements chez Citroën, une réduction des commandes dans le BTP. Rien à voir entre les deux en apparence alors que le bon sens devrait remarquer que les personnes licenciées par les plans dits « sociaux », par les RGPP (et assimilés dans les pays qui battent de l'aile et procèdent au licenciement de leurs fonctionnaires), que les personnes qui ne seront pas embauchées, toutes ces personnes ne vont ni changer de voiture, ni acquérir un logement plus grand. Les tenants de l'ultralibéralisme, les croyants de la « main invisible » et autres dogmatiques par intérêt ne font pas le lien entre leurs funestes décisions de mettre sur la paille les classes moyennes afin de leur faire passer le goût de vouloir vivre mieux, et la baisse des commandes.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/06/23688489.html

 

Ces deux nouvelles montrent clairement que le troisième tour financier a commencé. Ce n'est qu'un début puisqu'on sait que d'autres grandes entreprises s’appètent à débaucher du personnel. Dans le même temps, le titre PSA s'envole à la bourse.

http://www.liberation.fr/depeches/2012/07/12/bourse-le-titre-peugeot-s-envole-apres-l-annonce-de-8000-suppressions-d-emplois_832852

 

Le message est clair. Outre l'exigence de dérégulation afin de réduire en quasi esclavage les salariés, on montre sa préférence pour une situation de précarité généralisée qui containt les masses à une simple recherche de survie. Au passage, on remarque, pour ceux qui en doutaient encore, que les progrès de la mécanisation liée à l'informatisation permettent de produire presque autant avec beaucoup moins d'intervention humaine et que la productivité des salariés française est bien une des meilleures du monde (sinon la meilleure). Ça s'explique notamment par le haut niveau de formation et le sentiment de sécurité éprouvé quand on bénéficie de la protection sociale.

 

profits

Les commentateurs, eux, ne s'intéressent qu'à la concurrence de Peugeot et de Citroën face aux autres constructeurs, soi-disant en meilleure santé. On disserte sur les modèles. On agite le spectre des délocalisations, rejoignant la position du patronat. Il est vrai que tout ce beau monde vit et évolue comme si de rien n'était. Ils ont tous plus ou moins toujours connu l'emploi et les revenus. Ils reçoivent quasiment depuis toujours de bonnes rémunérations. Les problèmes économiques (ne parlons pas des problèmes sociaux – on n'en est plus là) sont pour eux de simples sujets d'études. Il ne leur vient pas à l'idée que ces problèmes recouvrent une réalité tragique.

 

D'abord, il est bien évident que les politiques consistant à licencier à tout-va finissent par avoir des conséquences. Ça rappelle un peu l'histoire de ce paysan qui décide de diminuer la ration de nourriture de son âne pour faire des économies. Constatant que la bête fournit toujours la même somme de travail, il persévère et poursuit ce qu'on appellerait ailleurs les « économies d'échelle ». L'âne fournit à peu près toujours la même besogne jusqu'au jour où, à force de voir sa nourriture diminuer, il finit par se coucher et ne plus se relever. C'est ce qui commence à se passer en Europe. Les entreprises veulent réaliser des économies et agissent sur le coût de travail. « Coût de travail » puisque, désormais, on ne considère plus le travail comme un facteur de production mais comme un coût qu'en bonne logique il convient de diminuer. On oublie que, en échange d'un salaire, le travailleur produit un objet ou un service qui sera vendu par le patron. Seulement, les foyers qui comptent un ou plusieurs membres au chômage ne vont certes pas remplacer leurs voitures. Or, on apprend que ce sont surtout les ventes de voitures neuves qui marquent le pas aujourd'hui. On fait durer les voitures qu'on possède, on diffère leur remplacement, on achète un véhicule d'occasion, un modèle à bas coût, ou l'on décide carrément de se passer de voiture. D'ailleurs, la plupart des villes sont engorgées et les rues sont saturées malgré la construction de contournements autoroutiers.

 

On apprend aussi que les fabricants français (notamment mais pas que) stagnent parce qu'ils se sont spécialisés dans les modèles de milieu de gamme, justement ceux que peuvent se payer les classes moyennes. Ils symbolisent, plus que tout autre produit ou bien, l'accès des classes moyennes à un confort satisfaisant. Cette progression est la caractéristique majeure des années de croissance dites « trente glorieuses », années du tout-automobile.

À partir du moment où les classes moyennes sont harcelées, menacées de précarité ou déjà tombés dedans, elles vont faire durer leurs véhicules. D'une manière générale, elles vont différer tout achat important ou y renoncer. Il s'agit là d'une conséquence directe des politiques de réduction des coûts mises en place par les gouvernements, sous la pression des forces conservatrices et libéralistes et leur bras armé qu'est devenue l'UE. En France, ce sera la RGPP qui intervient après des années de faible embauche dans la fonction publique et de non-remplacement des retraités. Puisque même les fonctionnaires ne sont plus assurés de la sécurité de leur emploi, que dans certains pays ils sont licenciés, ils rejoignent la cohorte des précaires et chômeurs qui ne peuvent plus changer de voiture et ne peuvent plus payer leurs loyers, gaz et électricité et eau du robinet. Autrefois, les contingents de fonctionnaires formaient, en quelque sorte, une réserve de consommateurs qui maintenaient la production et les ventes quoi qu'il arrive. Leurs revenus, même modestes, étaient garantis avec, en plus, une légère progression. Ils n'hésitaient pas à prendre un crédit et ça rapportait à pas mal de monde au passage. Aujourd'hui, ils ne sont même plus assurés de la sécurité d'emploi ou, du moins, de rester à leur poste ou dans leur région. Ils vont hésiter à changer de bagnole pour tirer la caravane ou pour épater les collègues. Ils vont encore plus hésiter quand il s'agira de se loger puisque plus rien n'est définitif.

 

Même en restant sur le terrain choisi par les commentateurs pour ne pas remettre en cause des choix de société, on peut tirer des enseignements de la question de la concurrence. Ils disent que les modèles haut de gamme ou « premium »se vendent bien. C'est là aussi la conséquence des politiques libéralistes imposées en Europe. Les hauts revenus sont toujours plus hauts. L'écart se creuse. Les inégalités augmentent. Ils peuvent se permettre d'acheter des modèles chers, à forte plus-value, qui enrichissent les fabricants et font tourner les industries. C'est typique de la situation que nous observons depuis des années. Une minorité fait tourner l'économie en se procurant des produits haut de gamme. Dès lors, pourquoi s'intéresser aux classes moyennes menacées de pauvreté puisque les autres suffisent et que le PIB continue de croître ? Donc, plutôt que de mener une réflexion d'ensemble, on s'attend à ce que PSA décide de fabriquer davantage de voitures haut de gamme, à forte valeur ajoutée, comme on dit. C'est un calcul opéré par les constructeurs allemands notamment. Ça ne sauvera pas les 8 000 emplois perdus. On nous dira que ça maintiendra les autres – mais pour combien de temps encore ? – surtout, ça assurera la pérennité de PSA et le rendement de ses actions. Le reste n'a aucune importance.

 

Autre enseignement de la crise de PSA : la frilosité des investissements du groupe en matière de Recherche & Développement. Pour satisfaire la cupidité insatiable des actionnaires, PSA et la plupart des grands groupes industriels ont décidé de rogner, non seulement sur la masse salariale – ce qui est dans la logique libéraliste – mais aussi sur les bureaux d'études et autres R&D. Même les journalistes, habituellement en extase devant les nouveautés et la bonne tenue de l'automobile française, déplorent le manque d'innovation et le fait que nombre de modèles français ne tiennent plus la comparaison avec leurs principaux concurrents, notamment en Asie. Maintenant, sans vergogne, PSA demande à l'État, plutôt que des subventions traditionnelles qui passeraient mal auprès du public, des aides pour la recherche et l'innovation. Autrement dit, ce qui coûte et qui ne rapporte pas tout de suite serait à la charge des contribuables. C'est ce qu'avaient fait, autrefois, les grands constructeurs ferroviaires. Ils avaient attendu que la France développe le TGV avant d'investir, à leur tour dans un nouveau type de train et d'exiger que la France cesse d'aider la recherche maintenant qu'ils ont rattrapé leur retard. C'est ce qu'ils appellent « la concurrence libre et non-faussée ».

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/09/27/22167503.html

 

De leur côté, les Japonais n'avaient pas attendu pour faire leur Shinkansen. Il faut dire que les Asiatiques sont pragmatiques et que la notion de sacrifice n'est pas un vain mot. S'il faut investir sans que ça rapporte dans un premier temps, ils n'hésitent pas. Singulièrement, en France, on fait le contraire. Si ça ne rapporte pas tout de suite, on n'investit pas ou mal. PSA est soi-disant la firme qui a déposé le plus de brevets l'an passé. Pour quel résultat si le public plébiscite les innovations des concurrents ?

On navigue dans le court terme. Nos élus ne s'engagent que pour assurer leur réélection. Les actionnaires prennent le plus tant qu'il y en a et, pour la suite, on verra bien s'il en reste. En attendant, on en aura bien profité. En fait, on ne navigue même plus, on stagne. Conséquence directe : les licenciements continuent ; un million de personnes privées d'emplois supplémentaires au cours des cinq dernières années.

 

Pour que la mesure soit à son comble, le pétrole se raréfie et coûte plus cher à exploiter. À la faveur de cette nouvelle crise du pétrole,

http://www.franceinter.fr/emission-parenthese-sous-le-choc-entre-chaos-et-betise

 

les pétroliers en profitent pour augmenter leurs tarifs à la pompe, engrangeant ainsi des bénéfices supplémentaires. On les comprend, il faut en profiter tant qu'il est encore temps. En France, la privatisation des autoroutes s'est traduite par une hausse immédiate des tarifs aux péages. En ville, il est difficile de trouver des places de stationnement gratuites, et c'est normal. D'ailleurs, même en payant, il est devenu difficile de trouver à se garer. Le résultat de tout ça aboutit à une dissuasion d'utiliser la voiture voire à s'en passer malgré les retards des trains. Le co-voiturage qui se met péniblement en place dans notre pays n'est pas suscité par un élan de vertu afin de préserver les ressources énergétiques et l'environnement mais parce que se déplacer en voiture particulière coûte de plus en plus et se trouve rendu difficile par l'augmentation du trafic, surtout en agglomérations.

 

Les commentateurs ont bien ajusté leur œillères pour ne s'intéresser qu'à l'aspect commercial et technologique des problèmes de PSA. Généralement, ils se répandaient pour louer la bonne santé de l'industrie automobile française, une des dernières dans un processus de désindustrialisation. Tout a été fait pour inciter les Français à acheter des voitures. On se réjouit, chaque année, de la progression des ventes sans jamais se demander s'il ne s'agit pas d'une fuite en avant. Personne pour se demander jusqu'où l'on peut aller à ce rythme. Les syndicats, rejoints pour une fois par le grand public, appellent à acheter des voitures pour maintenir les emplois. Pourtant, il aurait dû être évident pour tout le monde que l'industrie automobile allait mal et ne subsistait que grâce aux diverses primes à la casse. Si la première fois, ça a eu un effet bénéfique en retirant de la circulation des épaves ambulantes, les autres fois, on aurait dû comprendre que la ficelle était grosse et que le procédé était éculé. Pour masquer l'inefficacité de leur politique, les gouvernements de droite ont eu recours à cet artifice à plusieurs reprises quitte à tromper sur la valeur d'un véhicule neuf. Aujourd'hui encore, on se focalise sur des faits isolés comme le licenciement massif, on circonscrit le problème à une simple question de stratégie industrielle quand c'est tout le modèle économique et social qui est en cause. On ne résoudra pas le problème qui se pose à nos économies vieillissantes, et qui est aggravé par l'ultralibéralisme imposé par l'UE, en mettant à contribution les entreprises dans lesquelles l’État a quelque participation. Ce n'est pas en demandant à la Sncf, EADS, Safran et autres de reprendre chacune une partie des 8 000 licenciés de Citroën, qu'on résoudra le problème. Pourtant, comme ça évitera peut-être un lourd conflit social, on s'en contentera probablement.

 

Quand on ajoute à tout cela la pression démographique (que faire des presque 700 mille nouveaux bacheliers de cette année et des autres qui ont échoué?), on se demande si la vague de licenciements chez PSA n'est pas le premier avatar d'un vaste mouvement qui va emporter la vieille Europe, engoncée dans ses dogmes et ses certitudes d'un autre siècle pendant que les pays émergents tournent le dos à ces vieux principes, misent sur la protection sociale et s’appètent à dépasser les puissance européennes une par une. Le gouvernement a beau jeu de vociférer comme Jacques Calvet autrefois pour se raccrocher à de vieilles lunes pendant que les autres, les concurrents innovent, sacrifient provisoirement les salaires mais s'affranchissent peu à peu des contraintes destinées à amorcer la pompe. Les quelques 800 millions de travailleurs chinois acceptent plus ou moins (plutôt moins que plus d'ailleurs) leur sort de quasi esclaves dans la mesure où ils espèrent une amélioration de leurs conditions de vie et, si ce n'est pour eux, pour leurs enfants. En produisant pour le monde entier – ce que faisait l'Europe jusqu'à il n'y a pas si longtemps – ils s'attendent à bénéficier, à leur tour, de protection sociale et notamment en matière de santé. Ces dernières années, 30 millions de Brésiliens ont échappé à la misère et rejoint les classes moyennes. L'Europe fait le contraire. Les financiers ont décrété que c'est en régressant qu'on réussira. De fait, les actionnaires sont satisfaits mais ailleurs, là où ça progresse, ils le sont aussi et, en plus, ils peuvent raisonnablement penser que ça va durer.

LIP 1974

 

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