Obama Obamania Obamédia
D'abord, pousser un « ouf ! » de soulagement. Non parce qu'on approuve l'essentiel de la politique du Parti Démocrate qui suit une ligne libérale (au sens où nous l'entendons ici) plus ou moins mâtinée de social. Son adversaire aurait mené une politique dangereuse pour le monde entier ainsi qu'il en était question et à la suite de la politique menée par le clan Bush dans les années 1980 avec Reagan d'abord puis avec Bush père et fils. Il n'est que de voir les conséquences de l'intervention en Irak dont nous payons tous le prix au quotidien.
Tout a été dit avant, pendant et juste après sur l'élection de M. Obama. Maintenant, il nous paraît intéressant de voir comment les élections ont été traitées par les médias audiovisuels. Je ne sais pas ce qui s'est passé à la télévision mais je constate que les grandes radios ont toutes réalisé des émissions en direct des États-Unis et généralement de New York. Pour quoi faire ?
Depuis des mois, on dissèque la moindre information en provenance des États-Unis, le moindre mot de travers donne lieu à des commentaires, repris, contredits. On nous prédisait, malgré les promesses non-tenues, la réélection facile de M. Obama. Et puis, nous avons eu ce premier débat télévisé raté par le Président et qui a vu remonter son adversaire. Au fur et à mesure qu'on se rapprochait de l'échéance, les analyses, les commentaires se sont multipliés. On a rappelé le mode de scrutin, toujours parfaitement incompréhensible pour un esprit latin. La gauche française a revendiqué sa parenté avec le Parti Démocrate. Pas sûr que la réciproque soit évidente car, contrairement à ce qu'on dit depuis plusieurs années ici, ce n'est pas un parti de gauche mais un parti centriste et plus démocrate-social que social-démocrate, ce qu'il n'est absolument pas. À partir du moment où tant de soi-disant spécialistes se trompent sur ce point, il est permis de douter du reste de leurs analyses.
Ces derniers jours, les radios multipliaient la promotion interne pour « la nuit américaine » en direct depuis New-York, « au cœur de l'événement ». Les unes disposaient d'un studio qui donnait sur Central Park, les autres sur Time Square. Ils ont évité d'avoir une fenêtre sur la statue de la Liberté. Pour le coup, ça aurait trop fait cliché. Ils auraient dû s'installer Wall-Street pour être plus près encore de la réalité. Curieux tout de même qu'elles ne se soient pas installé à Washington où se trouve le siège de la Présidence. Sinon, pourquoi ne pas avoir posé les micros à San Francisco ou à Kansas City, pour faire couleur locale ? C'est à croire que tous ces journalistes avaient envie de revoir les amis qu'ils se sont faits au cours de leurs voyages lorsqu'ils ciraient les bancs de Science-Po.
Les derniers temps, on a ressassé les promesses non-tenues de l'un, l'appartenance à « l’Église des saints des derniers jours » de l'autre. Pensez : un mormon à la Maison Blanche ! Impensable ici. Quelle horreur ! Un membre de secte. « Ils sont polygame », « Ils baptisent les morts » etc. Tous les clichés habituels sur ce qu'on ne connait pas et qu'on a du mal à comprendre. Curieux pour un pays qui revendique sa laïcité, garante du droit pour tous à pratiquer ou non un culte, que d'entendre autant d'intolérance envers une religion. C'est la laïcité à géométrie variable. On comprend que dans la plupart des pays du monde, la notion de laïcité soit simplement incompréhensible.
Et puis, il y eut un jour, il y eut un soir : mardi soir. Ça chauffe ! Pas un journal parlé, pas un flash d'information sans un coup de fil au correspondant permanent à New York, qu'on est prié de surnommer « la pomme ». Alors ? Avez-vous des informations de dernière minute ? Comment ont-ils voté ? Combien de délégués ? Et l'Iowa ? N'oubliez pas le Massachusetts et la Virginie ! De l'ouest ou du sud ? Quelle est la tendance ? Un pronostic ? Et si c'est Romney ?
Déjà, dans ces derniers jours, on a commencé à se familiariser avec les experts qui vont intervenir au cours de « la nuit américaine ». On imagine les différentes chaînes de radio françaises rivalisant d'astuces, de passe-droits, de trucs, de relations plus ou moins occultes, pour trouver les rares experts étatsuniens vivant à New York et parlant français. Qu'est-ce qui est le plus important, d'ailleurs, apporter une bonne analyse de l'élection ou parler français ? Bien sûr, nous avons eu droit, au Français, qui était souvent une Française, qui partage sa vie depuis des lustres avec un citoyen étatsunien et dont le conjoint vote, qui pour les Républicains, qui pour les Démocrates. On en rajoute une couche. Les plateaux se multiplient. L'heure fatidique approche. On rappelle « la nuit américaine » avec plein de chanteurs de seconde catégorie : les vedettes ne vont pas venir chanter pour une radio française dans une émission qui va passer en pleine nuit. Les animateurs, eux, savent tout sur ces artistes que personne ne connait par ici et sans doute pas beaucoup plus là-bas. Ils nous disent qu'ils ont adoré leur précédente œuvre et que la toute nouvelle ou celle qui est en préparation devrait être encore meilleure.
Rappelons que la « nuit américaine » est une technique cinématographique consistant à filmer en plein jour mais en faisant croire au spectateur que la scène se passe la nuit. « Faire croire » semblait bien le mot d'ordre des rédactions radiophoniques en la circonstance.
Après « la nuit américaine » pour les Français, « la nuit américaine » pour les journalistes présents là-bas puisqu'il est 1 heure du matin à New York. Maintenant, ils connaissent le résultat. Ils ne cachent pas leur joie. Entre deux publicités ou deux bulletins météo, ils organisent encore des débats. On retrouve les voix qui nous ont tenu compagnie au cours de ces derniers jours, des dernières heures. Et ça recommence. Ils nous épargnent le « je vous l'avais bien dit ». En revanche, ils redisent tout ce qu'ils nous ont dit et redit depuis des semaines. Si on ne le sait pas. Et comment il va gouverner avec la Chambre des Représentants hostile. Est-ce qu'il va tenir ses promesse ? Et si Romney avait été élu ? Et l'Europe ? Et la crise ? Et si … ? Un débat se termine. On retourne à Paris pour les informations. Le titre principal : Obama est réélu, on retrouve notre correspondant permanent. On n'a pas le temps de traiter tous les sujets annoncés qu'on repart à New York. Nouveau débat, nouveaux experts. Ils disent l'inverse des précédents. Finalement, nous sommes comme Bouvard et Pécuchet : avides de connaissances mais incapables de faire la synthèse.
Une remarque tout de même. Inter est fier de proclamer son partenariat avec l'Huffington Post. La semaine dernière, l’inénarrable Pascale Clark avait reçu Mme Anne Sinclair* pour présenter, et l'élection étatsunienne et la collaboration entre les deux rédactions. Toute cette semaine, (celle de l'élection), Inter répète son partenariat avec l'Huffington Post et reçoit Mme Arianna Huffington. Et Anne Sinclair qui animait une émission sur Inter avant de suivre son mari à New York pour son travail ? Eh bien, elle apporte son expertise à la rédaction d'Europe 1, sans doute en souvenir de ses débuts de journaliste quand elle était jeune stagiaire dans l'alors prestigieuse rédaction de la rue François-1er.
Pendant ce temps, les Newyorkais écopent, tachent de sauver ce qui peut l'être après le passage de l'ouragan Sandy. Quant aux Haïtiens, également touchés par l'ouragan, ils ont tout perdu, une fois de plus, et ne savent pas forcément qu'un mulâtre, comme nombre d'entre eux, a été réélu à la Maison Blanche. Les radios françaises n'en parlent pas.
*Anne Sinclair, amie d'Arianna Huffington, est directrice de la rédaction française de l'Huffington Post.