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la lanterne de diogène
5 janvier 2013

Pour quoi faire ?

L'année a mal commencé pour une vieille dame qui a passé la nuit de la Saint-Sylvestre dans un supermarché fermé. On apprend un peu par hasard (un entrefilet dans la presse régionale, une phrase dans le flash d'info de la journée à la radio) que la brave femme se trouvait dans les toilettes au moment où le magasin a fermé. Bien sûr, elle a eu l'idée de marcher, de chercher l'issue, de la forcer pour déclencher l'alarme. Les alarmes se sont bien déclenchées toute la nuit mais personne n'a bougé.

http://www.lavoixdunord.fr/region/roubaix-oubliee-a-la-fermeture-une-cliente-passe-la-ia24b0n933392

 

Jusque là, rien que du très banal. En y regardant de plus près, cela pose des tas de questions, des tas de questions qui, comme elles se posent tous les jours, ne suscitent plus la moindre réaction. On s'habitue. C'est ce que nous avons appelé, il y a peu, l'indifférence au quotidien.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/12/15/25922213.html

 

Chacun de nous a pu mesurer la totale indifférence lorsqu'une alarme se déclenche quelque part. Si nous sommes dans un espace commercial, on croira à un essai ou, au pire, à une blague. Quand on est adulte, on a à cœur de montrer qu'on ne s'y laisse pas prendre. À moi, on ne me l'a fait pas ! C'est pas une alarme qui va m'ébranler, ha ! ha ! Dans un bureau, on marquera tout de suite son agacement en entendant le son strident, obsédant, assourdissant. En aucun cas, on ne pensera à un sinistre. Le responsable, le directeur, sortira, passablement énervé, agacé, pour prévenir la personne en charge de l'intendance afin que l'alarme cesse in petto. À la limite, on a envie de dire : qu'ils se débrouillent ! Seulement, lorsque ça se passe dans un établissement scolaire, on devrait s'inquiéter un peu. Nenni ! Là non plus le déclenchement de l'alarme ne suscitera pas la moindre inquiétude de la part du chef. Son seul souci sera de maintenir l'ordre tandis que quelques élèves ont profité de l'événement pour commencer un chahut ou un début de panique. D'ailleurs, après la journée, les élèves commenteront l'incident sur le ton de la plaisanterie. Les filles en rajouteront sur la frayeur provoquée par l'alarme tandis que les garçons la joueront sur le thème de l'obstacle combattu et de la survie. On en se refait pas.

 

Si l'on regarde la cas de l'établissement scolaire, l'alarme est un exercice parfaitement codifié et strictement encadré. En dehors de ça, la question ne se pose même pas. Et comme les adultes sont tous d'anciens élèves, ils ont été à bonne école et reproduisent fidèlement ce comportement une fois qu'ils ont intégré une entreprise ou un bureau.

 

Pour un Français, l'alarme et tous les dispositifs de sécurité sont des obligations. Les essais de sirène le premier mercredi du mois semblent destinés à nous rappeler qu'il n'y a jamais rien à craindre et que les alarmes ne sont là que pour amuser la galerie. L'État, l'Europe, imposent des normes, des systèmes, des mesures. Ils faut s'y plier comme à tout le reste. Ça ne vient à l'idée de personne que ces dispositifs puissent servir à quelque chose. En discutant un peu – si toutefois le sujet parvient à intéresser ne serait-ce que quelques minutes – on entendra des diatribes contre l'administration, l'État, l'Europe qui nous emmerdent, qui nous compliquent la vie, qui nous imposent des choses qui coûtent cher. Car – soyons en sûrs – « tout ça, c'est une histoire de fric ». La sécurité, c'est parce que ça rapporte à quelqu'un. C'est tout juste si l'on ne nous dit pas que c'est pour que ça rapporte aux fabricants d'alarme, aux revendeurs et à l'État qui prélève des taxes au passage. Le danger, c'est pour les autres, c'est pour les enfants, c'est pour les esprits simples. Quand on est adulte et, par définition intelligent, on n'y croit pas et l'on sait bien que le danger, c'est pour les autres.

 

Pas convaincu ? Prenons un domaine qui est fondamental dans notre société : l'automobile. Les normes et les mesures de sécurité s'ajoutent et se surajoutent. Ça commence par la limitation de vitesse et ça continue par le contrôle technique en passant par le triangle. Tout le code de la route est ressenti par l'automobiliste comme un arsenal de pièges destinés à coincer le malheureux conducteur afin de prélever un impôt insidieux. La ceinture de sécurité ? Un moyen d'extorquer de l'argent facilement, surtout depuis qu'elle est obligatoire à l'arrière. D'ailleurs, tout le monde sait bien que la ceinture de sécurité est dangereuse. C'est bien la preuve absolue et irréfutable. Que les pilotes professionnels en portent deux doit probablement répondre à un souci esthétique, pour frimer un peu plus. Le gilet fluo ? Encore un moyen de soutirer du pognon. On le met bien en évidence. D'aucun en recouvrent leurs sièges afin que les pandores les voient bien et ferment leur clapet. « Baisés les flics, ils m'auront pas ! ». Quant à les enfiler pour sortir sur la route... On n'y pense même pas. C'est fait pour ? Ah bon ? On croyait que c'était pour engraisser les marchands de gilets fluos. Idem pour le contrôle technique : encore un moyen pour faire du fric. Ça ne vient à l'idée de personne que ça évite la circulation de véhicules en mauvais état et dangereux comme ceux qui ont provoqué des accidents graves autrefois. Idem pour les ronds-points. C'est un thème favori pour nos humoristes. On se moque de ces ronds-points, surtout s'ils sont décorés ou paysagés. Personne ne fait le lien entre la diminution significative du nombre d'accidents mortels ces dernières années et la multiplication des ronds-points qui évitent les chocs violents. Non, tout ça, c'est pour le fric. Au passage, on relève cette paranoïa consistant à déceler des complots entre les autorités et quelques sociétés privées. Plus l'autorité est lointaine, comme l'Europe, plus le complot est évident. Si le parapluie n'avait pas été inventé depuis longtemps, on accuserait la météo (donc l'État honni) de favoriser les marchands de pépins.

Les systèmes d'alarmes, les dispositifs de sécurité, la ceinture du même, les ronds-points, les gilets fluos, pour quoi faire ? Ben, pour le fric, bien sûr ! Comme ça, les commerçants se frottent les mains, l'Etat prélève des taxes et recouvre des amendes. Voilà le fond de l'affaire.

 

Il est vrai que ceux qui sont chargés de vérifier l'application des mesures de sécurité, surtout quand ils ont un pouvoir de coercition, font tout pour entretenir la confusion. Ils se montrent surtout soucieux de voir s'ils ne manque pas quelque chose et ont sorti, par anticipation, leur formulaire de procès-verbal.

Les fonctionnaires sont emblématiques de ce comportement. On dirait que, pour eux, leur tâche consiste uniquement à limiter les droits de leurs administrés et à les punir à la moindre incartade. La finalité leur échappe complètement, tout comme elle échappe aux administrés. Un exemple parmi d'autres et en dehors du champ de la sécurité pour montrer l'étendue de l'incompréhension : le tri sélectif.

 

Il s'agit d'un nouveau dispositif et, en ce sens, est intéressant. Pour quoi faire ? En fait, en France, le tri est purement administratif. Trier les déchets, c'est uniquement pour emmerder le monde, augmenter les impôts, créer des emplois publics (donc un gaspillage supplémentaire) afin que quelques fainéants soient payés à rien foutre. C’est une autre façon de gérer les ordures mais la préoccupation environnementale, la préservation de la nature et des matières premières n’entrent pas dans les préoccupations.

 

D'ailleurs, les employés ne feront rien pour dissiper les malentendus, au contraire. Leur principale tâche semble être de vérifier qu'on paie bien ses impôts sur le secteur et qu'on a bien son carnet à jour (gare si on l'a oublié). Ensuite, ils feront tout pour vous dissuader d'apporter tel ou tel autre déchet : « ah, ça ? vous auriez dû le mettre dans… », « ça, il faut pas l'amener ici ». L’ambassadrice du tri, elle, était passée pour nous inciter à aller à la déchetterie et à trier. Elle arrivait avec ses sacs de couleur, ses poubelles avec des couvercles différents, ses dépliants richement illustrés. Elle avait appris un laïus pour en mettre plein la vue, pour montrer qu'on changeait d'époque. Finalement, en cas de doute, on met tout dans la poubelle courante. Tout se passe comme si chacun était payé pour refuser les déchets et inciter à les mettre ailleurs. Tout se passe sur le mode négatif : pas de ça ici ! Aucune incitation à sélectionner en vue de transformer mais, au contraire, à ne pas mettre ce qu’on a ou à le mettre ailleurs.

Quand on est soucieux de l'environnement et adepte du recyclage, on est abasourdi devant un tel manque de conscience professionnelle et environnementale. Pour quoi faire ? C'est la réglementation, un point c'est tout. Ça sert à quelque chose ? Ah bon ?

 

Alors, la bonne femme qui a passé le réveillon au milieu des victuailles invendues, des stocks et des marchandises qui, dès le lendemain étaient obsolètes, ne suscite que les sourires et un semblant de compassion. Aucune des questions sur la sécurité n'a été évoquée. On a attribué l'indifférence à la situation particulière de la veille du Jour de l'An. En d'autres termes, ce soir-là, le monde peut bien s'écrouler, personne ne passera seulement éteindre les alarmes puisque, nous l'avons vu, les alarmes ne sont là que parce que c'est obligatoire et surtout pas parce qu'il y a, peut-être, un danger.

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