L'Abbé Pierre se retourne dans sa tombe

21 janvier 2013

L'Abbé Pierre se retourne dans sa tombe

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Après le mépris, l'indifférence. L'Abbé Pierre n'a pas disparu des mémoires. Son ombre s'estompe avec le temps comme il en est pour tous. C'est un peu facile mais je dirais qu'il vit, qu'il habite dans chacune de ces personnes qui vivent, dorment et, parfois meurent dans la rue. Chaque regard détourné, chaque fois que la vue d'un malheureux, affalé sur le trottoir nous laisse indifférent, c'est l'Abbé Pierre qui est insulté et outragé. Pour reprendre une expression populaire : il se retourne dans sa tombe. L'Abbé Pierre était notre mauvaise conscience, celui qui nous disait qu'il « ne faut pas attendre d'être parfait pour entreprendre quelque chose ». Nous pouvons tous faire quelque chose mais la peur nous donne la force de refuser d'aider. Il est vrai que le système nous y encourage. Il nous rend mauvais et indifférents. Il nous détourne de l'essentiel. Je le dis souvent ici, nous vivons le temps de l'esbroufe et du tape-à-l'œil. Nous achetons les produits, les vêtements dont on parle. En France, beaucoup de produits ne sont connus que par le nom de leur marque. Ce n'est pas anodin. Ça montre que l'essentiel nous échappe.

Nous avons vécu deux campagnes électorales l'an passé. Qui a avancé comme priorité le logement ? Qui a seulement évoqué les problèmes de santé publique ? Les sans-abris nous interpellent tous les jours. Leur vue devrait nous faire réagir ou, au moins, nous rappeler ce qui est important et ce qui le sera une fois réglés les problèmes vitaux. Les débats politiques qui agitent la sphère médiatique depuis quelques mois prouvent qu'il ne s'agit que de diversions pour nous détourner de ce qui nous regarde vraiment. Le plus fort, c'est que ça marche. Pour notre confort personnel, nous aimons penser que la misère que nous côtoyons est normale. Nous avons une pensée pour les Restaurants du Cœur. Parfois même, nous donnons un paquet de riz ou même un chèque. Nous applaudissons les chanteurs qui récoltent de l'argent. Tous les ans, c'est pareil. Et puis, nous dénonçons ce « business » autour des Restos du Cœur, car, n'est-ce pas, nous réfléchissons et ça nous exonère de donner. « Je préfère donner une pièce ou un titre-repas à un mendiant ». Oui, très bien, sauf que tu ne le fais pas non plus. Et puis, tu vas aider un malheureux pour un jour. Et les autres ? Et les autres jours ? Nous nous accommodons plus ou moins de cette situation. La preuve, nous ne la dénonçons pas. Quand nous dénonçons, c'est pour mettre en cause ceux qui se font du fric au passage. C'est vrai que ce n'est pas bien non plus mais c'est l'arbre qui cache la forêt ; une forêt d'arbre sans feuilles. Qui interpelle ses élus sur les problèmes du logement et de la santé ? Pourtant, une grande partie du travail des élus consiste à trouver des logements pour les électeurs qui leur demandent. Comme ils le font tous, ils pourraient s'entendre et lancer un véritable programme. Eh bien non, ils préfèrent accorder des faveurs au compte-goutte. Qui exige que nos réunions de militants se consacrent à ces problèmes au lieu de pérorer sur la stratégie à adopter pour les prochaines élections et sur le lieu du prochain « tractage » ? Entre personnes qui partagent les mêmes valeurs, nous devrions pouvoir y arriver, non ?

Au mois d'août dernier, c'était le centenaire de l'Abbé Pierre. Pas de pot, nous étions en vacances en train de nous plaindre des quatre jours de canicule de l'été. Dans deux ans, cela fera 30 ans que les Restaurants du Cœur existent. 30 ans qu'une des dernières œuvres charitables assure, avec les plus anciennes, le service après-vente du meilleur système économique du monde. On ne se servira même pas du sixième anniversaire de la mort du Résistant pour prendre conscience collectivement de l'atrocité de ce système qui fait souffrir tant de personnes.

abbé pierre ne rien faire