Tombouctou : la rature

Ainsi, avant de quitter la ville qui irradie l'Afrique de l'ouest depuis des siècles, les intégristes ont détruit les manuscrits. Ne pouvant s'imposer davantage par la force des armes, ils ont choisi de détruire le seul trésor que possède, collectivement, la population Noire. Ce trésor ne leur rendait pas la vie plus facile mais ils leur offrait un motif de fierté partagée de génération en génération. Je crois que ça s'appelle la dignité.

http://www.livreshebdo.fr/actualites/etranger/actualites/des-manuscrits-de-tombouctou-brules-par-des-islamistes/10000.aspx

http://www.liberation.fr/monde/2013/01/28/les-armees-francaise-et-malienne-controlent-les-abords-de-tombouctou_877255

Ce n'est pas la première fois que les intégristes islamistes détruisent la culture du peuple qu'ils asservissent. Tout le monde se souvient des statues colossales de la vallée de Bâmiyân en Afghanistan. En plus, c'était le témoignage d'une religion antérieure à la révélation. Le calife Omar, pourtant bien inspiré par ailleurs, a achevé de détruire la bibliothèque d'Alexandrie déjà saccagée dans le passé. Au Mali même, la première chose qu'ont faite les soudards fanatisés par leur interprétation de la religion, a consisté à détruire les mausolées que la population avait dressés pour rendre hommage à ceux d'entre eux qu'ils respectaient de leur vivant pour leur sagesse et leur savoir. Oui, le savoir en impose et suscite l'admiration et le respect. Bien sûr, eux, ne font rien qui impose l'admiration. Alors, ils provoquent la terreur, seul moyen qu'ils ont pour qu'on les remarque. La population pauvre et simple de l'Afrique de l'ouest connait les choses essentielles de la vie. Quand on évolue dans un environnement difficile, quand l'alimentation n'est pas certaine pour le lendemain, on connait le prix et la valeur des choses. On sait ce qui est essentiel et ce qui est accessoire. À part manger et boire qui coûtent un effort, il y a des petites choses. La connaissance, l'expérience acquise par les ancêtres, en font partie. La beauté vient compléter car l'humain ne se contentera jamais de seulement consommer et se reproduire. C'est ce qui l'a toujours différencié des autres primates pourtant si proches. Partout, les peuples ont développé une expression artistique. Partout, ils ont eu à cœur de légué à la postérité un témoignage embelli de leur vie passée. Les hommes primitifs ont cherché le moyen de laisser cette trace. Ils ont dessiné sur les rochers. D'autres n'ont fait qu'écrire mais alors, qu'est-ce qu'ils ont écrit !

Parce que l'islam a plu à ces peuples sédentaires qui ont investi la boucle du Djoliba, le grand fleuve Niger, leurs ancêtres les plus éclairés ont souhaité le rendre accessible à tous. Ils ont voulu compléter le message venu du lointain Orient en y ajoutant leur sensibilité africaine. L'écriture pérennise ce travail intellectuel. Je dirais que ça sert à ça, l'écriture. Ces écrits, sur des supports fragiles, ont été conservés tant bien que mal dans les bibliothèque de ce phare de l'Afrique qu'est Tombouctou. Bien sûr, bibliothèque ne doit pas être compris au sens où nous l'entendons ici tant les moyens manquent pour conserver ces valeurs. C'est bien davantage la conscience de posséder un trésor sur cette terre hostile que les techniques de conservation qui ont préservé ces textes. Il a suffi d'un geste, d'une parole d'un fanatique haineux pour que le trésor de ces peuples d'Afrique disparaisse à tout jamais. Des heures, des jours, des années, des siècles de travail, de réflexion, de générosité anéantis en quelques instants par la folie. Par ce geste, ils ont prouvé au monde entier ce qu'ils sont vraiment et en quel mépris ils tiennent ceux qui théoriquement confessent la même religion.

Ces individus n'appartiennent à l'espèce humaine que pour mieux la tromper et la tourmenter. Les intégristes islamistes se repaissent de la souffrance des autres. Ils se complaisent dans la laideur. Leur monde est peuplé de gens qu'ils imposent de revêtir de vêtements sombres et inconfortables afin qu'ils se rappellent en permanence qu'ils doivent leur être soumis. Ils leur imposent des aliments spécifiques. Ils les maintiennent dans l'ignorance. Ils leur interdisent l'accès à toute forme de beauté (musique, arts, décoration etc.) et d'information. C'est le seul moyen qu'ils ont de montrer aux autres qu'ils existent tant l'insignifiance de leur existence est criante. Empêcher les autres d'être heureux, c'est garantir de leur être supérieurs en toute circonstance. On sait depuis longtemps que lorsqu'on brûle les livres, il n'y a plus de limite à l'horreur qui a déjà commencé par ailleurs.

Brûler les livres participe de cet obscurantisme qui tente parfois des religieux et qui s'ajoute à toute cette panoplie de vêtements sombres, de régime alimentaire austère (qui cache souvent l'incapacité à produire des aliments pour tous), de ténèbres.

Bien sûr, mon indignation se réveille à l'occasion de la destruction de quelques bouts de papiers griffonnés tandis que, précédemment, je n'avais rien dit des mutilations infligées à quelques malheureux qu'il fallait montrer en exemple. Je n'avais rien dit de ces filles mariées de force afin de tromper Dieu lui-même par un simulacre de cérémonie et lui masquer que ces filles serviraient à assouvir les besoins sexuels de la soldatesque. Non, je n'avais rien dit. J'accepte le reproche.

Je rejoins ceux qui se sont indignés de la destruction des statues de Bâmiyân mais qui avaient peu bougé lorsque les talibans coupaient les mains des fillettes et imposaient aux femmes de porter une cage portative sur elles. L'humain est complexe et certains choix ne rendent pas fier. Seulement, je sais ce que moi, modestement, et tant d'autres personnes, individuellement ou collectivement devons à l'écriture. La lecture, l'écriture nous ont permis l'émancipation individuelle ou collective. L'écriture, la lecture nous ont arraché à une condition parfois triste, parfois douloureuse, parfois simplement ordinaire ou banale car l'humain s'est élevé non pas à cause d'une légère différence génétique mais parce qu'il a intégré la recherche de la beauté. Quand on a goûté à cette richesse-là, on ne peut plus s'en passer et l'on est définitivement affranchi car, même dans la privation, la mémoire demeure. Et les Africains savent mieux qu'aucun autre peuple du monde entretenir la mémoire collective. Avec un peu de boue séchée, les Maliens ont érigé ces mausolées. Sur quelques pages, ils ont rassemblé le fruit de leurs découvertes et de leurs réflexions. C'est ainsi que le nom de Tombouctou est connu dans le monde entier quand on ignore quantité d'autres villes autrement plus importantes.

Les terroristes islamistes et autres intégristes du même acabit rejoignent la cohorte, heureusement peu fournie, de tous les grands fléaux humains de l'Histoire. Néron jouissait de voir Rome sous les flammes et récitait des poèmes accompagné de sa lyre. Attila détruisait tout sur son passage. On sait comment le nom des Vandales nous est parvenu. Les talibans ont déjà été évoqués. Léo Ferré disait de Franco : « T'es pas Lorca, t'es sa rature ». Voyant poindre la défaite, Hitler avait ordonné de détruire Paris, imitant les boches qui, quelques années plus tôt, avaient inondé les mines de charbon du Nord avant d'évacuer la France. Heureusement, le gouverneur allemand de Paris, von Choltitz, s'y est refusé. Or, justement, on peut se passer de charbon, même si ça entraine la ruine d'une région toute entière. En revanche, on ne peut pas se passer de Paris, ses monuments, ses musées, ses bibliothèques, ses quartiers populaires. Quand on pense aux deux guerres mondiales, on commente davantage le projet de destruction de Paris en 1944 que la mise en eau des mines du Nord en 1918. Le vieux pays qu'est la France, s'est relevé de la ruine des mines de charbons. Il n'aurait pas survécu aussi bien à la destruction de Paris. De même, ce pays qui a choisi de prendre le nom du vieil empire du Mali a survécu à l'esclavage, au pillage colonial, au pillage par les firmes multinationales. Il se remettra plus difficilement de la mort de son âme.

Comments

[Chris Phenix]

Je n'ai aucune espèce de sympathie pour les religions et surtout religieux, même si je peux comprendre leur utilité (aux religions pas aux religieux) et pourquoi les gens se rattachent à une hypothèse divine. Néanmoins lorsqu'on détruit des lieux symboliques (aujourd'hui Tombouctou, hier les statues dynamitées par les talibans), ça me désole et forcément c'est inquiètant pour les populations locales.

La religion est, de mon point de vue, d'abord une prise de pouvoir moral sur les gens. Mais il faut reconnaître qu'elle a engendré les plus belles prouesses artistiques et techniques de l'Humanité. Dans ce qu'elle a de meilleur la Religion entraîne les Hommes dans un projet commun d'élévation. A contrario c'est aussi elle qui entraîne les plus grands massacres.

Ce qui me frappe dans ses destructions c'est le manque total de logique. Si j'ai bien tout compris, les sanctuaires de Tombouctou ont été démolis par des intégristes qui contestaient la "légalité" de ces constructions et de la Sainteté par rapport au précepts de l'Islam. Comme d'autre condamnent la musique parce qu'hérétique. Mais pourtant ces sanctuaires ne datent pas d'hier, cela fait des siècles qu'ils étaient là et ça n'avait jamais posé de problème jusqu'ici, bien au contraire. Alors quoi ? Les dogmes auraient changé à ce point qu'il faille raser tout ce qui a été fait dans les temps anciens ? Dieu se serait très récemment signalé à ses fidèles, enfin une partie, puisque rappelons nous que Chrétiens, Juifs et Musulmans prient le même, pour leur dire que la règle avait été modifiée ?

Voilà pourquoi je n'aime pas les religions, parce qu'au final elles font plus de mal que de bien à l'Humanité. Croyez en ce que vous voulez si ça vous fait du bien, mais n'obligez pas votre voisin à croire en la même chose. Merci d'avance.