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la lanterne de diogène
11 février 2013

CHRISTIANE TAUBIRA

Je ne croyais plus la chose possible. Une personne politique, dans l'exercice de ses fonctions, a cité un poète. Il s'agit de Mme Taubira qui, à l'Assemblée Nationale, a eu cet échange avec le député de l'opposition M. Mariton qu'il faut citer aussi puisqu'il est à l'origine de la sortie de la Ministre.

 

Autrefois, à la fin d'une conférence de presse, le Président Pompidou, plutôt que de laisser échapper sa colère à propos d'une affaire qu'on lui avait cachée et pour laquelle il a demandé plus tard des sanctions, il a préféré ces quelques vers, terminant par : "C'est de l'Éluard. Mesdames et Messieurs, je vous remercie".

 

Pour le plaisir voici la citation :

Comprenne qui voudra !
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d'enfant perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.

 

http://www.samuelhuet.com/linguistique/49-poiesis/819-paul-eluard-comprenne-qui-voudra.html

 

Mme Taubira, quelques jours auparavant, avait été prise de fou rire dans l'hémicycle, montrant, la fatigue aidant, qu'une ministre est aussi un être humain avec ses faiblesses. D'ailleurs, son interlocuteur de l'opposition, M. Gosselin, lui a répondu par un sourire. On aimerait qu'il en soit toujours ainsi et les échanges entre adversaires politiques y gagneraient. Sans doute, aussi, les lignes bougeraient-elles ; pour reprendre une expression à la mode.

 

Pour prolonger le plaisir, voici la citation du poème de Léon-Gontran Damas, « Nous les gueux » :

 

Qu'attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l'envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite



Pour ma part, Christiane Taubira est entrée dans le cercle très restreint des personnes politiques que je respecte, et parfois admire, en 2002. À l'époque, nous étions en pré-campagne présidentielle. Le candidat de l'extrême-droite allait, pleurnichant sur tous les plateaux de télévision et devant tous les micros, prétendant qu'il n'aurait, peut-être, pas les 500 signatures nécessaires pour se présenter à l'élection suprême. C'était habile parce que ça permettait de parler de lui tout en feignant d'aborder une question politique de fond : la légitimité des candidatures. L'hebdomadaire de l'extrême-droite l'avait relayé en louant pour une semaine les arrières des kiosques parisiens pour sa publicité. Rien que de très normal jusque là, sauf qu'on sait que le prix élevé réserve ce moyen aux périodiques pécunieux, ce qui n'est pas le cas des hebdomadaires d'opinion. Cette semaine-là, les passant ont pu admirer la couverture qui montrait la photo du candidat, à la manière d'une affiche électorale. Curieusement, le Conseil Constitutionnel qui s'est montré intraitable pour un candidat qui avait publié un livre et pour l'autre candidat de l'extrême-droite, n'a rien dit pour ça.

La gauche, au pouvoir à l'époque puisque M. Jospin était Premier Ministre, se répandait sur l'air de la démocratie qui devait s'ouvrir, y compris à son adversaire le moins fréquentable. M. Jospin, d'ailleurs, était le plus loquace sur la question. On sentait que, si l'autre n'obtenait pas les 500 signatures, il chercherait le moyen de lui permettre de se présenter malgré tout.

Seule à ne pas rejoindre ce concert de geignards, de larmes de crocodiles au nom de la défense de la démocratie soit-disant en péril, Mme Taubira se réjouissait. Elle affirmait, au contraire, que ce serait une preuve que notre démocratie fonctionne bien si elle permet d'éliminer en amont une candidature malfaisante. On connait la suite.



Parce qu'elle joue suffisamment le jeu politique pour y être audible mais pas assez pour se laisser récupérer, Mme Taubira est une femme politique à part. Elle, que l'imitateur de talent Nicolas Canteloup, caricature en mama antillaise, se révèle pour ce qu'elle est : une femme de caractère, sérieuse et compétente, humaine et féminine. Elle a forcé l'admiration de tous en présentant un projet de loi sans note pendant 40 minutes. Elle a ému avec ce fou rire contagieux. En citant ce poète de la négritude, Léon-Gontran Damas, elle inscrit cette séquence parmi les plus belles heures de l'Assemblée Nationale. Ce sont des moments comme ceux-là qui rappellent que la démocratie, c'est bien.

M. Mélenchon a agrémenté sa campagne électorale de citations des plus grands auteurs afin de renforcer son propos et d'offrir au peuple un peu de beauté :

« Ce peuple est bien plus cultivé que ne le croient les puissants. Et qui, lorsqu'il ne l'est pas, aime quand même tellement les belles choses et sait les reconnaître, souvent, à la voix du poète, à la musique du musicien, à la splendeur des couleurs du peintre et ainsi de suite. Même si il sait qu'il faut apprendre comme moi même je sais que je dois encore apprendre chaque jour, de vous, de ce que je vois autour de moi. Vive la culture ! »

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/04/20/24058480.html

Mme Taubira n'hésite pas à citer un poète nègre en pleine assemblée, non pour étaler sa culture mais pour la partager. Merci Madame !

taubira 1



Voici le poème complet :

Nous les gueux

Nous les peu

nous les rien

nous les chiens

nous les maigres

nous les nègres



Nous à qui n'appartient

guère plus même

cette odeur blême

des tristes jours anciens



Nous les gueux

nous les peu

nous les riens

nous les chiens

nous les maigres

nous les nègres



Qu'attendons-nous

les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l'envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres...

 

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Commentaires
E
Bel article ! Moi aussi, j'ai du respect et de la considération pour cette Dame ;)
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