LOUXOR, les bobos l'adorent
Évidemment, comment ne pas se réjouir de la réouverture du Louxor ? Surtout, il faut se réjouir qu'il n’ait pas été démolie comme tant d'autres. Après tout, le Gaumont Palace n'est pas si loin. Seulement, quand je lis le projet, je reste dubitatif. Bien sûr, ça va réjouir les bobos qui, parait-il, commencent à peupler le quartier qu’ils trouvent « chou » et surtout tellement « populaire », tellement « métissé » et autre clichés qui les ravissent.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/06/16/18306904.html
Maintenant, je me souviens de la programmation du Louxor qui était la même que celle du Barbès Palace, du Gaité-Rochechouart et, plus loin, du Trianon, de l’Eden, de l’Ornano-43 etc. à savoir des films de série B, des karatés et des pornos. La clientèle était exclusivement masculine. Si ces salles ont fermé, c’est que cette clientèle s’est précipitée sur les vidéos.
Les plus jeunes qui habitent le quartier vont-ils au cinéma ? Quand ils y vont, quel genre de films vont-ils voir ? Je pense qu’ils regardent plutôt des Dvd qu’autre chose. D’ailleurs, les marchands de Dvd et vidéo-clubs sont nombreux dans le coin. Surtout, je doute fort qu’ils se précipitent sur les films d’art & essai et encore plus sur Hannah Arendt, Free Angela et Pierre et le loup qui sont annoncés. Il aurait peut-être fallu leur demander leur avis.
Or, en regardant le reportage sur l’ouverture du Louxor, on a la confirmation des craintes exprimées plus haut, voire pire.
D’abord, on s’est bien gardé d’organiser une journée portes-ouvertes où les habitants du quartier auraient pu accéder à la beauté. Ça leur aurait donné envie d’y retourner ou d’en parler à leurs voisins et amis.
Au contraire, les gueux du quartier ont été repoussés mais des gentilés de Boulogne et des beaux quartiers de Paris s’y sont précipités. L’une d’elle se réjouit que, finalement, elle a croisé la même clientèle que sur les Grands Boulevards. Elle pensait, sans doute, trouver des sauvages, des gens qui s’habillent pas pareil. On est quand même mieux entre soi. Néanmoins, elle croit que les gens du quartier vont y aller. Elle doit penser que le décor de péplum à thème égyptien va rappeler aux Maghrébins leurs origines. On distribue quelques pâtisseries dégoulinantes de miel pour faire couleur locale alors que le local est exclu. Je suppose qu’on n’a pas oublié les loukoums et le thé à la menthe. Je doute que les spectateurs de la séance inaugurale se soient attablés dans les pâtisseries et salons de thé du boulevard Barbès ou du boulevard de la Chapelle. Ils ont préféré attendre de se retrouver entre gens du beau monde, cultivés et ouverts d’esprit...
Confrontation des bobos avec la réalité : « j’y retournerai pas le soir », « on se fait aborder par des mecs relous ». Qu’est-ce qu’ils imaginaient ? Une population de victimes par définition, exploitée et résignée ?
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/28/23873269.html
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/11/25/22860861.html
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/02/04/16794887.html
Ils pensaient que le quartier allait être en fête parce que les élites daignaient apporter la culture à ces masses barbares ? Ils pensaient qu'ils allaient être accueillis en libérateurs ou en missionnaires ? Il aurait peut-être fallu les inviter et les associer. La réalité, c’est une sortie de métro dans une foule bigarrée, nerveuse, en mouvement, dans un quartier de débrouille. Les uns font du trafic illégal comme les clopes. Les autres vendent des produits de mauvaise qualité à une clientèle dans la dèche mais qui a besoin, comme tout le monde, de s’équiper pour vivre : vaisselle, ustensiles de cuisine, appareils électroménagers, costumes mal coupés. À ces boutiques qui caractérisent les boulevard Barbès, Magenta, Rochechouart, de la Chappelle, il faut maintenant ajouter celles de téléphonie. Et puis, il y a les commerces de bouche, dans les rues des Poissonniers, de la Goutte d'Or, de Chartres, les marchands des quatre saisons souvent fournis en fruits et légumes qui restent à Rungis quand les autres ont tout acheté, les boucheries hallal dont une seule peut se vanter de proposer de la viande de premier choix, les boulangeries, des agences de voyages pour retourner voir la famille au pays ou effectuer le pèlerinage.
Si c’est folklorique pour les clients du Louxor, c’est la réalité pour les habitants du quartier qui préféreraient, eux aussi, vivre correctement au lieu de devoir se fournir en aliments et produits de basse qualité voire dangereux. Non, le quartier n’est pas reluisant même si l’habitat s’est amélioré.
Maintenant, gare à la gentrification du quartier. L’ouverture du Louxor pourrait fort bien marquer le début d’une reconquête par la classe moyenne supérieure. Bien sûr, celle, pour de motifs similaires, du Virgin Megastore est un échec mais a marqué l’arrivée d’une nouvelle population qui, sans entrer proprement dit dans « la Goutte d’Or », s’en est rapproché. À propos, le dernier nom commercial du Louxor était « Mega Town », boite branchée (déjà) et un peu homo. On reste dans le « méga ».
Personnellement, je parierai plutôt sur un échec du Louxor ; du moins sous la forme annoncée. Comme la salle va être portée à bout de bras par la Mairie, elle survivra à la faible clientèle mais qu’une autre majorité soit élue l’an prochain et ça ne tiendra pas bien longtemps.
Il n’est pourtant pas exclu qu’une opération immobilière amène d’autres types de commerces, une clientèle qui viendrait de plus loin, d’autres qui s’y installeraient, profitant, dans un premier temps, des prix bas de l’immobilier. Ces commerces pourraient être des meubles et de la décoration exotiques. Pour faire « couleur locale », on poussera à imiter le style souk chez soi. Bien sûr, « couleur locale » correspond à l’idée qu’on se fait du local et pas à la réalité telle que nous la connaissons. Viendraient alors les caméras de surveillance.
France 24 se veut le phare de l’audiovisuel extérieur de la France. Il relève du ministère des Affaires étrangères.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/06/17/14117357.html
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/01/26/12237480.html
Curieux que ce média soit en pointe sur ce dossier tout à fait parisien : « Ce projet pharaonique vise avant tout à promouvoir la mixité sociale et la diversité de l’offre culturelle dans un des quartiers les plus défavorisés de la capitale. »
En fait tout est dit dans cette phrase, sauf qu’il faut entendre le contraire.
C'est bien parce qu'il y a une population homogène, d'origine étrangère, que France 24 est allé voir. Ensuite, pour réussir la « mixité sociale »,il faudrait déjà que ce quartier ne soit « le plus défavorisé de la capitale ». Ça ne passe pas par des opérations immobilières ou en programmant des films élitistes à des gens qui ont besoin de se distraire. Il faudrait que cette population en particulier (mais de plus en plus de personnes dans notre beau pays sont dans ce cas) ait les moyens de vivre correctement ; ce qui signifie qu’elle ait les moyens de consacrer une partie de ses revenus aux loisirs. Or, les revenus sont précaires ou constitués des minima sociaux. Dans ces conditions, on n'a pas beaucoup d'autre choix que de regarder la télé ou des DVD. D'ailleurs, c'est dans ce quartier qu'on voit le plus d'antennes paraboliques aux fenêtres. Alors, le film d'un cinéaste chinois, probablement en version originale sous-titrée... On nous annonce encore Hannah Arendt.
Les promoteurs du Louxor vivent sur une autre planète. Le plus drôle, c'est qu'ils ne se rendent même pas compte qu'ils participent à l'exclusion de la population du quartier, d'abord en leur refusant l'accès le jour de l'inauguration, ensuite en programmant des films qu'ils n'iront pas voir, même pour simplement admirer les décors de la salle. Ils viennent s'installer chez eux, font venir leur public, dégustent, à l'intérieur des murs, des pâtisseries dites « orientales » mais hors la présence des « orientaux* » en question.
Mais bon, on se fait plaisir à la Mairie de Paris. On parle de mixité. On apporte la culture aux barbares. On garde en mémoire que nos ancêtres ont exploités les leurs et par conséquent, il faut leur payer cette dette. On leur permet de voir la façade du cinéma mais pas d'entrer. La mixité a ses limites, tout de même.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/19/23803063.html
*Il faudra un jour qu'on m'explique ce glissement sémantique qui fait qu'orient et oriental désignent une aire géographique située non pas à l'est, au levant, mais au sud et que l'occident et les occidentaux, désignent ceux du nord de la planète. Faut-il rappeler que « maghreb » signifie justement « occident », le côté où le soleil se couche ?
Le plus curieux, c'est qu'en France, « oriental » est souvent un euphémisme pour désigner les immigrés d'Afrique du Nord tandis qu'en anglais, on utilise ce terme soit pour des Indiens et des Pakistanais, soit pour des Chinois ou des Japonais.