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la lanterne de diogène
3 mai 2013

Albert Camus et la pensée libertaire

n°1048s, HS n° 6 (été 1996) | Portraits


http://www.monde-libertaire.fr/portraits/8943-albert-camus-et-la-pensee-libertaire

Voila un sujet d'étude que lycéens et étudiants ont peu de chance de se voir proposer. Quant aux professionnels de la critique, qu'elle soit littéraire ou philosophique, ce n'est pas sous cet angle qu'ils abordent Camus. On lit Albert Camus mais on le lit souvent mal. Est-ce que sa pensée dérangerait ?
Pour les uns, c'est l'écrivain de l'absurde, pour les autres un moraliste bien pensant dissertant sur la révolte sans souci d'efficacité (critique de gauche pour simplifier) ou un adversaire du communisme (essai de récupération de droite). Ces diverses approches, par leur côté réducteur, sont autant de négations d'une pensée de l'équilibre entre justice et liberté, absurdité et révolte, homme et société, vie et mort.

De Bab-el-Oued au prix Nobel

Rien ne prédisposait Camus à obtenir le prix Nobel de littérature. Né en 1913, dans une famille pauvre, il perd son père en 1916, tué à la bataille de la Marne. Élevé par sa mère qui fait des ménages et ne sait pas lire, il est remarqué par son instituteur qui le présente à l'examen des bourses du secondaire. Bachelier, mais aussi footballeur et membre d'une troupe théâtrale, Camus, atteint de tuberculose, ne peut se présenter à l'agrégation de philosophie.
Qu'importe ! Camus se lance dans l'aventure journalistique avec Pascal Pia. C'est Alger républicain où Camus se fait remarquer par des enquêtes qui dénotent sa volonté de justice et son souci de ne pas renier ses origines. Parallèlement, Camus commence à écrire et à publier L'Envers et l'endroit en 1937, Noces en 1939, L'Étranger et Le Mythe de Sisyphe en 1942. Commence alors l'aventure de la résistance dans le réseau de résistance Combat. Il fait partie de la rédaction de Combat clandestin. À la Libération de Paris en 1944, première diffusion libre du journal Combat dont Camus est rédacteur en chef... et qu'il quittera en 1947 quand ce journal perdra sa liberté de parole. Il publie La Peste en 1947 et L'Homme révolté en 1950.
L'actualité algérienne ne le laisse pas indifférent et comme il avait tenté d'alerter l'opinion métropolitaine lors du soulèvement de Sétif en 1945, il le fait au début de la guerre d'Algérie sans résultat, le processus étant trop avancé. En 1957 l'Académie suédoise lui décerne le prix Nobel. Paraîtrons encore, La Chute en 1956, Réflexions sur la guillotine en 1957 avant que Camus ne trouve la mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960. Quarante-sept ans d'une vie bien remplie !

De l'absurde à la révolte
Le thème de l'absurde est au centre de trois oeuvres de Camus : L'Étranger, Caligula et enfin Le Mythe de Sisyphe, essai dont l'ambition est de nous faire réfléchir sur notre condition d'homme. Cette réflexion, devant la découverte de toute raison profonde de vivre, débouche sur le sentiment de l'absurde. Camus pose alors la question du suicide. Mais c'est pour l'écarter, car le suicide n'est pas seulement la constatation de l'absurde, mais son acceptation. Il écarte également la foi religieuse, les métaphysiques de consolation et nous propose la révolte, seule capable de donner à l'humanité sa véritable dimension, car elle ne fait dépendre notre condition que d'une lutte sans cesse renouvelée. L'absurde n'est pas supprimé, mais perpétuellement repoussé : La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le coeur d'un homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
L'Homme révolté
, il s'agit là de l'ouvrage majeur de Camus et ce n'est pas un hasard s'il a provoqué tant de remous lors de sa publication. Il ne s'agit pas d'approfondir cette oeuvre dans le cadre de cet article, mais simplement d'en dégager quelques éléments essentiels. Après avoir analysé La révolte métaphysique, révolte absolue, à travers Sade, Nietzche, Stirner, les surréalistes, Camus en vient à la suite logique, la révolte historique. De Marx au stalinisme, il met à jours les mécanismes qui transforment la révolution en césarisme. Il met en cause le dogmatisme et le caractère prophétique de la pensée de Marx aggravée par la pensée léniniste qui instaure l'efficacité comme valeur suprême. Tout est prêt pour que la dictature provisoire se prolonge. C'est la terreur rationnelle. La révolution a tué la révolte.
N'y a-t-il pas d'issue pour Camus ? Camus répond sous le titre La pensée de midi : Les pensées révoltées, celle de la Commune ou du syndicalisme révolutionnaire, n'ont cessé de nier le nihilisme bourgeois comme le socialisme césarien [...] Gouvernement et révolution sont incompatibles en sens direct, car tout gouvernement trouve sa plénitude dans le fait d'exister, accaparant les principes plutôt que de les détruire, tuant les hommes pour assurer la continuité du Césarisme [...] Le jour précisément, où la révolution césarienne a triomphé de l'esprit syndicaliste et libertaire, la pensée révolutionnaire a perdu, en elle-même, un contre-poids dont elle ne peut sans déchoir, se priver.
Ces quelques citations aux accents proudhoniens, montrent que Camus a choisi sa voie et font comprendre l'accueil hostile réservé à L'Homme révolté par les intellectuels de gauche en pleine guerre froide. Marionnettes du communisme international et volontiers donneur de leçons, ils se déchaînèrent. Peu nombreux, à part les libertaires, furent les défenseurs de Camus à cette occasion.

Convergence entre Camus et les libertaires
On peut multiplier les exemples des interventions de Camus aux côtés des libertaires : dans le procès contre Maurice Laisant, antimilitariste des Forces libres de la paix, lors des meetings et manifestations organisés par les libertaires contre les procès et la répression en Espagne, ainsi que contre le socialisme "césarien" des pays de l'Est, contre la répression de Berlin-Est en 1953, celle des émeutes de Poznam en 1956 et celle de Budapest la même année.
Quelques articles d'Albert Camus paraissent dans Le Libertaire, puis dans Le Monde Libertaire. Il est également très proche des syndicalistes révolutionnaires de la Révolution prolétarienne avec qui il fonda Les groupes de liaison internationale, pour aider les victimes du stalinisme et du franquisme.
Enfin, quand Louis Lecoin lance en 1958 sa campagne pour l'obtention d'un statut des objecteurs de conscience, Albert Camus participe activement à cette campagne dont il ne pourra malheureusement voir l'aboutissement.
Quand il trouve la mort en janvier 1960, c'est tout naturellement que Le Monde Libertaire de février 1960, qui est à l'époque mensuel et paraît sous un format de 40 centimètres sur 60 de quatre pages, lui consacre l'ensemble de sa page de couverture avec, entre autres, des articles de Maurice Joyeux, Maurice Laisant, Fernando Gómez Peláez et Roger Grenier. La rédaction du Monde Libertaire, quant à elle, signe un article intitulé Albert Camus ou les chemins difficiles, ce qui résume bien sa vie et son oeuvre.

Groupe Pierre-Joseph Proudhon

n°1598 (3-9 juin 2010) | Portraits | Non violence

 

Camus : les libertaires et la non-violence

Le 4 janvier 1960, Albert Camus décédait dans un accident de voiture. Pour le cinquantième anniversaire de sa mort, les hommages sont nombreux, les tentatives de récupération également. Le summum était atteint par la tentative de « panthéonisation » menée par Nicolas Sarkozy. Le transfert au Panthéon des restes de Camus a été heureusement évité, grâce à l’opposition formelle de son fils Jean. Mais ce n’est pas fini. En 2013, Marseille sera capitale européenne de la culture et elle fera de Camus sa « figure tutélaire ». Opéra, ballet, colloque, exposition et même matchs de football seront alors organisés. Tout cela contribuera à montrer un Camus totalement aseptisé. Ces manifestations feront tout leur possible pour ne pas parler du lien qui unissait Camus avec les libertaires. Ces relations ont été mises en évidence par Lou Marin dans un ouvrage paru en 2008 1. La même année, un colloque était organisé sur ce thème à Lourmarin 2, ce village du Vaucluse où Camus avait acheté une maison avec l’argent qu’il avait reçu pour le prix Nobel et où il a été enterré. Le 4 janvier 2010, les éditions Égrégores et Indigène Éditions organisaient une rencontre au théâtre Toursky de Marseille, intitulée Albert Camus avec les libertaires. Des textes de Camus ont été lus par Richard Martin, Aïcha Sif et Benjamin Barou-Crossman. Claire Auzias a parlé de son expérience d’éditrice des textes libertaires de Camus. Jean-Pierre Barou a évoqué le débat entre Camus et Sartre à propos du terrorisme. L’intervention de Lou Marin, Camus et sa critique libertaire de la violence, est aussi le titre de la brochure qui est parue récemment chez Indigène éditions 3. L’auteur a milité à partir de 1979 dans le mouvement antinucléaire en Allemagne. Il participe à la revue anarchiste non violente Graswurzelrevolution et est un membre actif du Cira (Centre international de recherches sur l’anarchisme) de Marseille. Son pseudonyme est un hommage évident à Albert Camus qui s’est longtemps interrogé sur l’utilisation de la violence. Il a toujours été partisan de la liberté des peuples de la Hongrie à l’Algérie, en passant par la Tchécoslovaquie et l’Espagne. Pendant la Résistance, il avait appris la contre-violence, mais contre son gré. Il était conscient des contradictions qui peuvent exister entre la nécessité de la lutte des peuples et son désir de non-violence. Il écrivait « la violence est à la fois nécessaire et injustifiable » mais aussi « la non-violence est souhaitable mais utopique ». Son soutien aux luttes des objecteurs de conscience est ancien. Dès 1949, il refuse « toute légitimation de la violence ». Pour changer les choses, il ne faut plus tuer celui qui détient le pouvoir. Produire de nouvelles victimes ne sert à rien. La révolution doit être fidèle aux valeurs de la révolte et défendre la vie. En 1955, il rédige un hommage à Gandhi et en 1958 il souhaite que les méthodes de cet homme politique indien soient appliquées par les militants algériens. À la fin de sa vie, Camus critiquait la double dimension de la violence : celle du capitalisme et celle des mouvements révolutionnaires. Il avait développé cette attitude en dialoguant avec les libertaires et avait toujours en tête l’idée d’une révolution non sanglante.



1. Albert Camus et les libertaires (1948-1960) : écrits rassemblés par Lou Marin. Marseille : Égrégores, 2008. 361 pages. 15 euros.
2. Le don de la liberté : les relations d’Albert Camus avec les libertaires. Lourmarin : Rencontres méditerranéennes Albert Camus, 2009. 163 pages + 1 disque audio. 18 euros.
3. Camus et sa critique libertaire de la violence par Lou Marin. Montpellier : Indigène, 2010. 24 pages. 3 euros.

Felip Équy

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Commentaires
A
.. je rajouterai à cet excellent papier/compil de Diogène sur Camus et la pensée libertaire :<br /> <br /> <br /> <br /> - le livre de Michel Onfray paru l'an dernier chez Flammarion "L’ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus" ...<br /> <br /> "Pour mettre fin à une légende fabriquée de toutes pièces par Sartre et les siens, celle d’un Camus « philosophe pour classes terminales », d’un homme de gauche tiède, d’un penseur des petits Blancs pendant la guerre d’Algérie (...)"<br /> <br /> <br /> <br /> - la remarquable critique de ce livre par Max Angel sur Mediapart<br /> <br /> http://blogs.mediapart.fr/blog/max-angel/230112/l-ordre-libertaire-la-vie-philosophique-d-albert-camus-de-michel-onfray<br /> <br /> <br /> <br /> - le papier de Dianne toujours dans Mediapart<br /> <br /> http://blogs.mediapart.fr/blog/dianne/060112/onfray-camus-et-lomerta-lordre-libertaire-0
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