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la lanterne de diogène
20 mai 2013

Français en anglais

Je m'étais promis de ne pas évoquer cette affaire où il est question d'organiser des cours d'université en anglais, en France, à l'instar de ce qui se fait dans les pays où la langue, peu diffusée dans le monde, ne permet pas de trouver des supports (des livres, des polycopiés, des travaux) dans leur propre langue nationale. On peut et on doit le regretter pour eux.

D'autre part, je n'ai pas le talent de Pierre Dac qui avait lancé le slogan « Radio-Paris ment : Radio-Paris est allemand ». Je tenterai « Sorbonne valet : la Sorbonne est en anglais ». Pas terrible, hein ?

 

Ce qui me paraît intéressant dans ce débat, c'est qu'il a été commenté, ce lundi matin par le chroniqueur Nicolas Beytout qui, par ailleurs, vient de lancer un quotidien économique, tendance libéraliste (bien sûr), sur l'Internet mais aussi sur papier traditionnel, ramant ainsi à contre courant de la tendance forte actuelle au niveau mondial. Newsweek a renoncé à la version papier pour se consacrer à son site payant, par exemple. Saluons la tentative de relancer un titre d'autrefois : « L'Opinion ».

http://www.franceinter.fr/emission-ledito-de-nicolas-beytout-langlais-a-la-fac-un-enjeu-crucial-pour-la-jeunesse

 

Nicolas Beytout a développé principalement deux arguments. Le premier prétend que s'il y avait à l'étranger des étudiants français, formés en anglais, ils exporteraient la langue française avec eux, tandis que les nombreux jeunes anglophones qui étudieraient en France seraient autant de jeunes qui apprendraient le français.

Le second, encore plus intéressant, consiste à dire que cela crée une inégalité entre ceux qui ont les moyens d'aller prendre des cours en anglais dans les grandes écoles privées ou d'aller effectuer des séjours en pays anglophones. Il précise d'emblée : « nos jeunes seront armés pour affronter une vie professionnelle où l’on parle si souvent en anglais ». Explicitement, il reconnaît d'emblée qu'ils ne parleront donc plus français.

 

On a, bien entendu, le droit de dire ce qu'on veut à la radio, y compris sur une station dite de service public, d'autant que c'est la position du Gouvernement. On a aussi le droit de décrypter, une fois de plus, ce langage, au mieux codé, au pire participant de la désinformation. En effet, si l'on prend le premier argument, on comprend tout de suite que c'est bien le contraire qui se passera. « Plus vous permettez aux jeunes Français de maîtriser l’anglais, de voyager puis d’occuper des postes à l’international, plus vous favorisez l’expansion de la culture et de la langue françaises ».

Ce qui nous permet de le dire, c'est tout simplement que c'est ce qui se passe déjà. Si l'on apprend une langue étrangère et qu'on va dans le pays où cette langue est nationale, il est bien évident que c'est pour pouvoir communiquer avec les nationaux dans leur langue et partager plus facilement, leur style de vie, leur culture. A fortiori si l'on y occupe des responsabilités. On voit mal donner des ordres en français dans un pays où cette langue n'est pas parlée. C'est aussi une politesse élémentaire consistant à s'exprimer dans la langue de ses hôtes alors qu'on visite leur pays où ils nous accueillent. D'une manière générale, tout le monde est sensible lorsqu'un visiteur fait un effort pour dire (même maladroitement) quelques mots dans sa propre langue comme « merci » ou « s'il vous plait » et autres « bonjour/bonsoir ». Concrètement, si l'on prend le cas qui nous intéresse, les jeunes Français qui auraient suivi des cours tout en anglais et qui se rendraient en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, parleraient anglais sur place et pas français avec leurs interlocuteurs qui ne les comprendraient d'ailleurs pas. Jusque là, rien que de très logique.

 

Dire que les étudiants anglophones, ou qui ont appris l'anglais dans leur pays, viendraient davantage étudier en France s'ils savaient pouvoir suivre des cours en anglais, est une plaisanterie. "Réciproquement, plus vous permettez à des étudiants étrangers de venir en France suivre les meilleurs cours en anglais, plus ils apprendront le Français de la vie courante et vivront ensuite avec ce bagage ». Quel intérêt pour eux d'aller étudier en anglais en France ? De toute évidence, le niveau d'anglais des professeurs en France ne sera jamais aussi bon que dans les pays de langue anglaise. Remarquons cependant que M. Beytout suggère que les meilleurs cours seront en anglais.

Donc, pourquoi un Indien ou un Chinois (clientèle citée par la Ministre) viendrait étudier en France, en anglais ? De même, pour répondre à M. Beytout, des étudiants ne parlant pas français peuvent parfaitement vivre ici une ou plusieurs années. Le cas s'est déjà vu et se voit tous les jours. Des étudiants peuvent même réussir moyennement le test de langue avant d'être autorisé à s'inscrire, et négliger l'apprentissage du français, une fois l'étape franchie. Là encore, ça se voit tous les jours et depuis longtemps. Simplement, ce sont les autres qui s'adaptent et ça se passe très bien eux. Pas la peine de parler français pour faire ses courses dans un libre-service et lire les prix sur la caisse enregistreuse. Un anglophone pourra même s'offrir des loisirs dans sa langue maternelle, tant les programmations de films en anglais sous-titré sont nombreuses. Pour draguer, l'histoire de l'humanité nous apprend que la langue n'a jamais été un obstacle. Pour le reste, dans les rares cas difficiles, on a eu le temps de se faire assez d'amis pour en trouver un qui va vous assister avec plaisir. Le premier argument tombe à l'épreuve de la réalité et de l'expérience.

 

On peut ajouter aussi que l'effort de parler la langue de l'autre ne va jamais dans le sens d'autres langues que l'anglais. De nombreux reportages nous ont appris que, dans les villages de la moitié ouest de la France où des britanniques se sont installés, ces sont les édiles, les commerçants et les voisins qui se sont mis à l'anglais et pas les visiteurs qui ont appris la langue de leur pays d'accueil.

Lorsqu'ils se déplacent à l'étranger, les Français, systématiquement, baragouinent en anglais. Aucun d'eux n'essaie même de demander à ses interlocuteurs s'ils parlent le français. Pourtant, l'expérience montre que beaucoup parlent français dans de nombreux pays, à l'exception notoire de ceux où la langue officielle est l'anglais. Ceux qui redoutent ces confrontations partent en voyage organisé. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, surtout, au Moyen-Orient, en Asie, même, on est étonné de trouver autant de francophones. Ne parlons pas du Portugal où, longtemps, le français a été la première langue obligatoire et est encore choisie de nos jours. Or, même au Portugal, les touristes français s'adressent en un mauvais anglais (forcément) aux marchands de journaux, aux restaurateurs, hôteliers, passants pour demander leur chemin.

 

D'autres comportements typiquement français nous font craindre pour la suite. D'abord, il n'y a qu'en France qu'on trouve des associations subventionnées, voire des instances plus officielles, qui organisent des cours d'apprentissage de leur langue maternelle (du moins celle de leurs parents) aux enfants d'immigrés. C'est notamment le cas des enfants d'Espagnols mais pas seulement. Ailleurs, on cherche, au contraire, à favoriser l'apprentissage de la langue nationale pour les immigrés et leurs enfants afin de faciliter leur insertion. Ici, on considère comme de toute première instance, qu'ils parlent leur langue d'origine.

Autre cas typique, le fameux Guide du Routard®, informe sur les établissements où l'on parle l'anglais ; jamais le français. Pourtant, les lecteurs sont francophones et apprécieraient. Pourtant, comme indiqué précédemment, on trouve presque partout des personnes qui parlent français, notamment dans les métiers liés au tourisme mais pas que. C'est d'autant plus amusant quand on connait le niveau en anglais après 7 ans d'enseignement secondaire auxquels s'ajoutent, depuis des années, un apprentissage des rudiments dès le primaire.

 

Pourquoi donc, parler encore de défendre le français puisque, de toute évidence, c'est un combat perdu d'avance ? Simplement parce que, tant le discours de M. Beytout que celui de la Ministre Mme Fioraso , relèvent du langage trompeur habituel.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/05/04/27076135.html

 

Celui de M. Beytout, d'abord, fait penser à ce que nous assènent les libéralistes. Remarquons d'abord, dès son introduction, la référence habituelle à la sempiternelle querelle des « classiques et des modernes ». Lui, bien sûr, prétend se situer parmi les modernes et donc, l'enseignement en anglais aussi, tandis que défendre sa langue nationale à l'heure de la mondialisation (« les frontières se sont ouvertes »), relève évidemment du classique, pour ne pas dire du ringard. Sans doute un vieux fond sarkozyste de « patriotisme économique » l'en empêche-t-il.

 

Il s'inscrit dans la lignée de ceux qui nous affirment à longueur de temps, par exemple, que c'est en faisant travailler davantage ceux qui ont un emploi (suppression envisagée des 35 heures, heures supplémentaires favorisées etc.) qu'on va créer des emplois. Autrefois (mais ça revient encore), on nous avait dit que faciliter les licenciements favorisait l'embauche. On sait qu'il n'en a rien été (évidemment) mais on insiste. D'une manière générale, les libéralistes nous affirment que si, ce qu'ils appellent les « réformes », ne produisent pas les effets escomptés (au contraire), c'est parce qu'on n'est pas allé assez loin et qu'il faut poursuivre dans cette voie malgré les erreurs flagrantes. C'était le discours stalinien type. Au moment où la revue satyrique Crocodile dénonçait les mauvais résultats de la politique, le « petit père des peuples » en profitait pour dire que c'était parce qu'on n'était pas encore parvenu au stade suprême du socialisme, le communisme, et qu'il fallait forcer la marche et poursuivre dans cette voie, en dépit du bon sens. C'est le discours consistant à nier les erreurs flagrantes que la réalité quotidienne nous éclaire. À force, ça fonctionne.

 

« Refuser l’enseignement en anglais dans les facs, c’est une mesure de classe ». Les lecteurs de La lanterne de diogène reconnaitront l'habituelle reprise, par les conservateurs, du vocabulaire ouvriériste voire marxiste (en l'occurrence) pour développer exactement le contraire. Ne pas enseigner en anglais défavoriserait ceux qui ne pourraient pas étudier à l'étranger, ne tient pas. Que l'anglais s'introduise dans l'enseignement supérieur, on devine qu'il ne tardera pas à s'étendre à presque tous les domaines. C'est ce qui se passe partout ailleurs. Par conséquent, les élèves brillants mais qui ne sont pas doués pour les langues (ou du moins pour l'anglais) se trouveront systématiquement éliminés. Surtout, on voit bien que cette égalité n'est qu'une façade (« Refuser l’anglais en fac, c’est donc laisser s’installer une inégalité ». Il n'est que d'entendre, dans l'entreprise, ceux qui connaissent deux ou trois mot et expressions un peu techniques en anglais. Ils les emploient à tire larigot dans le but d'en mettre plein la vue aux autres et de reconnaître comme leurs, ceux qui comprennent. Peu importe, d'ailleurs, que le mot soit mal employé ou qu'il n'existe pas en anglais. Du moment qu'il sonne anglais et qu'il sert de signe de reconnaissance, on a là, un excellent moyen de discrimination.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/01/10/20088566.html

 

D'ailleurs, M. Beytout reconnaît et fait semblant de trouver fort honorable que « les disciplines classiques, les lettres, l’histoire, une partie du droit peuvent être enseignées en Français ». Autrement dit, tous les enseignements qui ne servent qu'à produire des professeurs de ces disciplines et qui n'ont aucune application mercantile. En excluant partiellement, seulement, le droit, il ne fait qu'admettre que le droit anglo-saxon n'est pas (encore) celui qui s'applique en France ni dans la moitié des États du monde. Par conséquent, on pourrait bien enseigner encore un peu le droit en français.

 

Le discours de Mme Fioraso est, lui, typique de celui du PS. Dans l'opposition, il a combattu et moqué la loi Toubon visant, au moins à conserver l'usage du français. M. Beytout en rajoute une couche : « la loi Toubon date de 1994. Comme si rien n’avait bougé en 20 ans. Comme si les frontières ne s’étaient pas ouvertes ». Dès lors, en effet, pourquoi encore parler français en France alors qu'il serait si simple pour tout le monde de parler et de commercer en anglais ?

Le PS et la gauche bien pensante fustigeaient cette loi (présentée aussi maladroitement par le Ministre Toubon que la loi sur le mariage pour tous par ce Gouvernement) comme « franchouillarde », inutile et contre les jeunes. Ah, les jeunes ! C'est qu'on les aime bien au PS. M. Hollande, candidat à la Présidence ne disait-il pas que la jeunesse serait sa priorité ? C'était aussi pour défendre les jeunes que le PS s'était opposé à ce que les restaurants rapides ne soient pas taxés à 5% au contraire des bistrots de quartiers qui payaient plein pots et devaient donc répercuter la TVA sur la vende de casse-croutes et autres croque-monsieur. Toujours cette stratégie du PS consistant à défendre une catégorie plutôt que l'intérêt général. Surtout, on remarque cette tendance à décider pour elle de ce qui lui est bon. À l'époque, il était donc bon que les jeunes puissent insérer des mots anglais ou à consonance anglaise dans leur conversations, comme bon leur semblait. Les humoristes relayaient largement la campagne contre la loi Toubon. À côté, Mitterrand refusait de s'exprimer autrement qu'en français en public et ne manquait pas de défendre la culture française et singulièrement la littérature. Il était vieux, donc ça ne comptait pas. On organisait aussi la « semaine du goût » pour défendre la gastronomie et, plus simplement, la bonne bouffe. Contradiction ? C'est juste le discours habituel du PS : on laisse dériver et on débloque des crédits à grands renforts d'explications pour favoriser le contraire de ce qu'on a laissé faire. Au besoin, on trouve une personnalité pour mener la bataille.

 

Nous avons dénoncé, à plusieurs reprises, l'OIF qui, loin de promouvoir ou de défendre le français dans le monde et même dans les pays francophones ou dans les pays où le français est en concurrence, accepte des pays où le français est plus que marginal. Ces pays ne montrent d'ailleurs que peu d'intérêt pour la langue et la culture françaises et semblent davantage intéressés par les crédits octroyés par la Francophonie et les visas offerts à leurs étudiants. Nous avons aussi dénoncé la Francophonie qui ne cherche même pas à imposer l'usage du français comme langue administrative ou langue d'échange à tous ses membres ; ne parlons pas des simples observateurs, de plus en plus nombreux, bizarrement. Ainsi, au Viet-Nâm, peut-on voir à côté du nom en vietnamien, la traduction : « Viet-Nam Railways » (sans accent sur les voyelles comme il se doit en anglais).

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/10/23/11075440.html

 

Donc cette semaine, Mme Fioraso, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche donnera son aval pour que, dès la rentrée, nombre d'enseignements s'effectuent en anglais, en France, pour les raisons invoquées. Cette décision, lorsqu'elle sera prise (car elle le sera n'en doutons pas), marquera un coup fatal à la défense de la langue française et, bien sûr, les Canadiens francophones seront les premiers affaiblis dans leur combat pour parler français entre eux et pour utiliser le français dans leur pays ainsi que le prévoit la Constitution. On sait que les seuls bilingues du Canada sont les francophones et que les autres, non seulement ne cherchent pas à parler une autre langue mais méprisent ouvertement, les cours de français. Décidément, la France est le premier ennemi du français et le processus enclenché par la Ministre est irreversible. Qu'on se le tienne pour dit.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/12/08/22918230.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/06/17/14117357.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/01/26/12237480.html

 

Donc, une fois de plus, nombre d'entre nous vont être anéantis, abattus devant ce nouveau coup porté par un Gouvernement d'une tendance qui, historiquement, a porté haut la langue française, notamment pour diffuser les idées modernes et la philosophie des Lumières. Dans l'ère atomique, à l'heure de la mondialisation, le dogme mercantile de la « concurrence libre et non-faussée » prime sur toute autre considération. L'uniformisation passe par la monnaie, l'alimentation (réduction par souci de rentabilité du nombre de plantes cultivées pour s'alimenter et pour soigner), la mode vestimentaire, la langue et, finalement, la pensée.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/02/22/20459361.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/12/08/22918230.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/09/11/2653741.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/05/17/1972300.html

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