De la pureté en politique

4 juillet 2013

Le problème, avec les idéalistes, c'est que leur recherche d'idéal entraine la destruction de leur idéal et, d'abord, de la personnalité qui l'incarne.

Tel Achab, ils poursuivent la baleine blanche pour lui ficher des fers et finalement lui faire boire le bouillon. C'est sans doute pour ça que l'idéal demeure inaccessible et donc idéal.

Nous avons atteint, à présent, une telle exigence collective de pureté que cela donne lieu à des comportements d'intolérance, d'agressivité, qui est pourtant reprochée par ailleurs.

C'est dans les milieux de gauche, d'extrême-gauche, d'écologistes, d'altermondialistes (qui cumulent toutes les caractéristiques des précédents) qu'on observe le plus ces comportements. On le voit, notamment, à l'approche des élections quand les stratégies, les candidatures, les alliances doivent être choisies. On refuse Untel parce que, en 1997, lors d'une cantonale partielle dans les Basses-Pyrénées, sa formation a pris une position contestable. On ne va pas voter pour tel autre parce que, sur un sujet, il tient un discours qu'on ne partage pas. Conséquence immédiate, celui avec lequel on ne partage rien est élu confortablement. On dispose alors de toute la durée du mandat pour déverser son fiel. On se fait du bien comme on peut.

Le reste du temps, c'est entre militants ou sympathisants qu'on se livre une guéguerre qu'on est prié d'apprécier avec humour ; parce qu'à gauche – n'est-ce pas – on a de l'humour. Donc, malheur à celui qui boit de l'eau en bouteille au lieu d'ouvrir le robinet et de remplir sa carafe filtrante ! L'eau en bouteille appartient aux géants de l'agro-alimentaire. Horreur si l'on aperçoit un camarade qui décapsule une bouteille de bière au lieu d'un bon vin bio, rouge, si possible produit par un copain ou un copain d'un copain. À moins qu'il ne s'agisse d'une bière bio fabriquée par un autre copain. Scandale si l'on aperçoit un produit avec une marque vendue dans la grande distribution ! Haro sur celui qui a, par mégarde (on préfèrera dire par manque de conscience politique) utilisé un produit boycotté pour une raison quelconque. Comment, t'as pas signé la pétition que j'ai fait circuler, il y a un mois ? Le malheureux se doit alors de faire amende honorable, de se confondre en regrets et de promettre, presque à genoux, de ne plus recommencer. Bien sûr, tout ça se fera avec le sourire car, quand on est de gauche, on se doit de trouver cool d'en prendre plein la gueule ou, en l'occurrence, de voir son engagement évalué par les autres, jugé et sévèrement condamné.

Pardon de citer Jean-Luc Mélenchon mais il a dit (je ne sais plus à propos de quoi) « mais nous qui sommes parfaits, nous pouvons nous permettre de donner des leçons à tout le monde ».

Le monde, justement, il en est question en ce moment. On apprend (car bien sûr, personne ne le savait) que la NSA espionne tout le monde. D'abord, tout le monde ne connait pas la NSA. Donc, les vieux militants (pardon du pléonasme mais l'engagement des jeunes est plutôt léger) continuent de s'en prendre à la CIA, comme au bon vieux temps de la guerre froide. Il est vrai que nombre d'entre eux n'ont pas franchi la pas de l'internet, cette horreur entre les mains d'un milliardaire. Alors, la NSA... Mieux vaut continuer de penser à ces services secrets qui fomentent tous les troubles que nous dénonçons. Bien sûr, ça fait désordre et c'est choquant mais qui, un tant soit peu informé, ne s'en doutait pas ? Naïveté ? Hypocrisie ?

Ce n'est pas pour autant qu'il faille s'en accommoder. L'avantage de la situation actuelle, c'est qu'elle permet aux incultes de citer « 1984 » de George Orwell. Nous ne pouvons qu'encourager cette lecture, surtout pour les passages qui concernent l'appauvrissement du lexique en vue de limiter la réflexion. La Lanterne de diogène revient fréquemment sur cette évolution sournoise.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/01/10/20088566.html

On est davantage focalisé sur « big brother is watching you » ; sans toujours réaliser qu'on y participe pleinement : écrans de tv dans plusieurs pièces (pour éviter les querelles sur les programmes), écrans d'ordinateurs, web-cams, smartphones munis d'équipements vidéos, GPS etc.

L'autre aspect choquant, dans cette histoire d'espionnage universel, c'est qu'il est dénoncé sous la présidence d'Obama. Obama, on l'aime bien. Il est Noir, donc, on se doit de bien l'aimer. Il bénéficie, ici, d'un a priori plus que favorable. C'est un démocrate, le parti de Kennedy, Président assassiné. On aime bien les personnalités victimes, surtout en France. On prend toujours fait et cause pour celui qui paraît le plus faible, qui est en passe de gagner mais qui se fait coiffer au poteau. On préfère Poulidor à Anquetil ou Merckx. Il arrive aussi que celui qui incarne un collectif de victimes finisse par l'emporter. M. Obama est le symbole vivant de cette sorte de revanche sur l'Histoire. Donc, pour les Français moyens et pour la gauche morale (qui ne se revendique surtout pas française), Obama ne peut être qu'un mec bien. Or, sous ses mandats, il a laissé faire – pour ne pas dire approuvé – l'espionnage électronique du monde entier. Comment ? Un Noir, si sympa, si beau, fait pareil que Nixon autrefois ? De « pareil », on passe tout de suite à « pire » puisqu'on a oublié ce que les autres avaient fait avant lui. On lui souhaite donc de n'être pas ré-élu puisqu'il n'est pas meilleur que les autres et, surtout, pas aussi bien qu'on le croyait (naïveté ? hypocrisie?).

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/11/05/11250528.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/02/06/12360017.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/11/07/25526906.html

Le problème, c'est que ce sursaut de morale, ce haut-le-cœur se heurte à une limite. Toujours la même limite : le suffrage universel. Chaque fois qu'on a voulu sanctionner un chef de l'exécutif à peu près potable pour une faiblesse parfois scandaleuse, on a eu, après lui, un quasi despote. C'est à croire qu'on les préfère. Finalement, comme dit l'adage populaire, « vaut mieux passer pour un salaud que pour un con ». On préfère les salauds.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/05/19248211.html

Des exemples ? Facile ! En Espagne, on a reproché au Président Zapatero (étiquette socialiste) de ne pas mener une politique sociale conformément aux attentes des électeurs de gauche qui lui avaient donné mandat. Conséquence, la droite la plus anti-sociale que l'Espagne ait jamais eue gouverne aujourd'hui. Et ceux qui sont pas contents sont évacués manu miliatari. Aux États-Unis, le mandat du Président Carter a été émaillé de scandales. On vote pour Reagan, à peine lettré et au cœur d'un des plus gros scandales : l'Irangate. Clinton a trompé sa femme : pas de problème, on élit le fils Bush qui prétend finir ce que son père n'avait pas osé terminer. Le monde musulman est remonté contre les E.-U. et leurs alliés. Les E.-U. soupçonnent tous les musulmans et par extension tout le monde. Et c'est Obama qui va trinquer. En fait, il arrive en fin de mandat mais il y a peu de chance pour que le candidat démocrate remporte la prochaine élection. En revanche, après avoir eu un quasi malade mental pendant huit ans, on aura un crétin fini qui croit que le soleil tourne autour de la Terre et qui ne comprendra pas pourquoi on n'irait pas faire fondre les glaces de l'Alaska pour exploiter le pétrole. À moins qu'il ne décide de faire larguer une bombe atomique sur l'Iran. Il sera toujours temps, après, de s'indigner.

On pourrait rappeler que les Français ne sont pas plus malins. Louis XIV a mené des guerres un peu partout, réduit le petit peuple à la misère sous son règne, dépensé l'argent du royaume pour sa gloire mais c'est Louis XVI qui a trinqué et de quelle façon !

Encore aujourd'hui, on encense Louis le Grand, Versailles et tutti quanti et Louis XVI fait, au mieux l'objet de moqueries (il réparait les serrures Hi ! Hi ! Hi!), au pire est encore qualifié de tyran qui méritait bien la décapitation.

J'croyais que t'étais contre la peine de mort ? Oui, mais c'est pas pareil.

Acharnons-nous donc contre Obama ! D'ici peu, devraient ressortir les clichés les plus éculés sur les Noirs, tous ceux qu'on n'ose pas dire de peur de se faire mal voir. Ressortons les slogans anti-yanquis de la guerre froide ! Condamnons l'impérialisme étatsunien qu'on n'osait plus évoquer à cause de ce Président Noir, si sympatoche !

Indignons-nous !

En annexe, ce texte toujours aussi moderne :

Les Grenouilles qui demandent un roi

Les grenouilles se lassant
De l'état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique:
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau.
Or c'était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant;
Une autre la suivit, une autre en fit autant:
Il en vint une fourmilière;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.»
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.»