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la lanterne de diogène
3 septembre 2013

L'héritage des Bush

Il y a quelques semaines, il fallait y aller. Peu importait qu'on trouve ou non les preuves de l'utilisation des gaz, Assad en avait assez fait (100 000 morts déjà) pour qu'on y mette un terme. Des voix, toujours plus nombreuses réclamaient qu'on aille mettre fin au massacre des populations civiles par l'armée d'Assad. Et puis, à mesure que s'est rapprochée le moment de décider d'y aller, une soudaine lueur de réflexion a fait hésiter. Sur le motif, tout le monde est d'accord. Assad est un sanguinaire et le plus tôt il partira, le mieux cela vaudra.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/08/09/21763637.html

 

Pour le reste (les arguments notamment), c'est moins évident. Il massacre son peuple depuis deux ans ? Et alors ? D'autres l'ont fait ou le font aussi et personne ne bouge vraiment. Et puis, soudainement, alors que la mémoire collective est proverbialement inexistante, on se remémore les précédentes interventions du même genre.

 

D'abord, il y a eu la crise des otages de l'été 1990 qui a motivé l'envoi de troupes en Irak. Saddam Hussein, incapable de tirer profit de ses immenses ressources pétrolières mais, il est vrai, avec une population de 50 millions d'âmes, décide d'accaparer les puits du petit émirat du Koweït qui ne sait pas quoi faire de ses richesses vu que sa population est infiniment moins nombreuse. Invasion, mise en place d'un régime de collaboration et, pour dissuader toute réplique, prise d'otage des familles occidentales travaillant dans l'industrie pétrolière suivent.

Comme d'habitude, la mémoire collective a oublié l'événement fondateur de tout ce qui va être énuméré à présent.

 

Une coalition improbable a mis un terme à cette invasion et fait rentrer S. Hussein dans sa cage mais les problèmes n'ont pas été réglés ; bien au contraire. Humilié par la défaite alors qu'il était persuadé que les régimes arabes alliés, autrefois, de l'Urss lui viendraient en aide dans sa lutte contre une monarchie et sa légitimité religieuse, il décide de se venger sur l'opposition. Les massacres se sont succédé pendant plus de dix ans tandis que l'ONU, sous pression des États-Unis, rendait ce pays exsangue. Au bout du compte, le dictateur sanguinaire était toujours en place et, si son peuple crevait la dalle, n'était nullement entravé dans ses actions militaires. Il ne s'en est pas privé, disposant d'un arsenal impressionnant fourni par l'Urss et la France (contrats signés en 1975 entre M. Chirac et « son ami Saddam Hussein ») et complété lors de la toute première guerre du Golfe, celle lancée par le même Saddam Hussein contre l'Iran de Khomeiny et qui a duré de 1980 à 1988. Usage massif de gaz par l'armée irakienne dans l'indifférence de la communauté internationale. Beaucoup de victimes ont été soignées en France ce qui n'a pas empêché les terroristes iraniens de s'en prendre à la France...

 

Après l'attaque des tours jumelles de New York, le fils Bush – qui n'était pas plus compétent en affaires étrangère qu'en quoi que soit – a lancé une opération punitive contre la base terroriste afghane. Impréparation ? Manque de chance ? Ni le chef de l’État qui a hébergé les terroristes, ni le chef des terroristes n'a été arrêté. Dans un milieu montagnard hostile et dépourvu d'infrastructures, les troupes alliées ont peiné à contrôler le territoire. Pis, la cupidité du clan qui soutenait le fils Bush a remonté la population contre ses libérateurs. Uniquement préoccupés par l’appât du gain et les affaires liées à la reconstruction de la capitale (le reste on s'en fichait), la population afghane qui attendait des hôpitaux, des écoles, des routes a vu débarquer des marchands et n'a pas tardé à rejoindre les talibans qui avaient beau jeu de dénoncer l'occupation occidentale et la corruption de la classe dirigeante.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/09/12/10551703.html

 

Fort de ce qu'il croyait un succès, le fils Bush a saisi l'occasion pour venger son père qui n'avait pas pu défaire Saddam Hussein. Comme (encore une fois), il n'y connaissait rien et qu'il était soutenu par des marchands seulement soucieux de conquérir de nouveaux marchés, il a fait croire à son peuple que le terrorisme d'Al-Qaïda était lié à Saddam Hussein. C'était d'autant plus faux que, alors que la centrale terroriste comportait des Arabes de toutes nationalités, il n'y avait aucun Iraquien... Après l'élimination de Saddam, Bush Jr avait promis que le monde serait plus sûr. Quiconque connaît un tant soit peu les relations internationales pouvait prédire que ce serait le contraire et que, partout, on chercherait à venger cette agression contre un État indépendant et un chef arabe.

Comme à Prague en 1968, les chars étatsuniens ont traversé les villes iraquiennes sous les regards hostiles de la population. L’Irak est devenu un pays gouverné par la majorité chiite pro-iranienne – qui se venge des décennies d'oppression – alors que l'Iran est l'ennemi ancestral des Arabes. Depuis, pas une semaine ne passe sans qu'un attentat ensanglante le pays et, surtout, sa capitale. Seul le Kurdistan iraquien est épargné en raison du régime quasi indépendant qui s'y est développé et que seule sa stabilité met à l'abri de l'hostilité de l'Iran et de la Turquie, peu satisfaites de voir s'établir un quasi-État kurde à leurs frontières, qui pourrait donner des idées à leur minorité kurde opprimée. Si c'est ça qu'on appelle un monde plus sûr...

 

Entre temps, les mêmes armées occidentales étaient intervenues au Kosovo. Milosevic avait commis des massacres et Tudjman n'étaient pas en reste. Pour le Kosovo, ça n'était plus supportable (avant oui). Il fallait intervenir aussi. Belle réussite : on est passé d'une région où la minorité albanaise musulmane était opprimée par la majorité serbe orthodoxe à une région autonome (quasi-indépendante aussi) mafieuse où l'ONU doit protéger dans les actes banals de la vie quotidienne la minorité serbe orthodoxe de la majorité albanaise musulmane.

 

Plus près de nous, on apprenait au mois de janvier 2012 que l'armée libyenne réprimait des émeutes en Cyrénaïque.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/02/22/20460955.html

 

Indignation ! Comment l'Occident pouvait laisser faire ? Les propos de bistrots autour des enjeux pétroliers sont revenus. Eh oui, on était intervenu en Irak à cause du pétrole. Vrai. On n'était pas intervenu en Yougoslavie parce qu'il n'y avait pas de pétrole. Doublement faux puisqu'on est intervenu finalement. En Libye, tout était bon pour aller dans ce sens. On ne volait pas au secours des Cyrénéens, pour préserver son approvisionnement en pétrole. On rappelait volontiers les contrats signés peu avant avec Kadhafi. Finalement, on intervenait en Libye ? Honte à la guerre néo-coloniale pour mettre la main sur le pétrole libyen. Vive la lutte du valeureux peuple libyen contre les troupes impérialistes ! Passons sur ces fadaises et observons l'instabilité qui découle de la chute de Kadhafi. Ses mercenaires sont partis en emportant leurs armes et sans doute d'autres choses. Ils sont prêts à mener la guerre ; au Mali, par exemple. Le reste de l'arsenal libyen est vendu à la découpe au plus offrant. Un régime théocratique a été établi ; qui se retournera contre ceux qui l'ont mis en place à la première occasion...

 

Quelques semaines après, naviguant sur la vague de révolutions arabes et de défaite des tyrans (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi), l'opposition syrienne veut, elle aussi, mettre un terme à la tyrannie et goûter aux joies de la démocratie et des élections. Nous avons vu pourquoi, la Syrie, entourée d’États faibles ou belliqueux ne peut compter sur l'aide de personne.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/27/20736346.html

 

Seulement, la liste des morts s'allonge au fil des mois. Il devient insupportable de laisser faire mais intolérable d'intervenir. Les mêmes qui appelaient à soutenir les Cyrénéens contre Kadhafi puis à hurler contre l'intervention nous rejouent leur air favori. D'abord, ils couvrent de honte les capitales qui laissent Assad massacrer son peuple. Ensuite, dès lors qu'on fait mine d'intervenir, ils hurlent à l'ingérence impérialiste. Cette fois, ils sont rejoints par l'ensemble de la population qui, sans partager ce qui leur tient lieu d'analyse, ne sont pas prêts à mourir pour Dantzig ou, plutôt, pour Damas.

 

On peut douter que les populations occidentales se souviennent précisément de ce qui vient d'être rappelé. Pourtant, quelque chose doit bien resurgir. En 1990, aux États-Unis, l'opinion publique n'était pas chaude pour faire la guerre afin de libérer les otages aux mains de Saddam Hussein. Il s'agissait d'ingénieurs qui avaient, volontairement et à titre individuel, choisi de travailler pour un pays allié de l'ennemi soviétique et qui touchaient double salaire en raison du risque. Tant que ça se passait bien, ils étaient contents d'empocher la double-paie mais, en cas de pépin, on voyait bien que ça ne servait pas à grand chose. Et puis, encore une fois, l'Irak n'était ni allié des États-Unis, ni même seulement bienveillant ; au contraire. Travailler pour les intérêts iraquiens n'était pas vraiment une preuve de patriotisme. On n'était pas chaud pour aller les sauver.

 

La même opinion publique a été trompée par les mensonges de son Président en 2003. Il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Les chefs d'Al-Qaïda ne se trouvaient pas en Irak (mais au Pakistan ce dont on pouvait se douter) et, depuis l'intervention des États-Unis, le Moyen-Orient est encore plus instable qu'auparavant ; ce qui n'est pas peu dire. Partout, des bandes armées mènent des attaques.

En Libye, on a dégommé Kadhafi que la vieillesse avait assagi pour le remplacer par des conservateurs religieux imprévisibles.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/08/15/21795025.html

 

Dans ces conditions, après huit ans de crises dues à l'incompétence du fils Bush et à l'avidité sans borne de ceux qui le soutenaient, ce sont des centaines de milliers de morts qu'il faut mettre au passif. C'est la crainte, partout dans le monde, de voir un simple touriste, un humanitaire, un journaliste, retenu en otage et/ou abattu en raison de sa physionomie européenne (aux États-Unis on dit « caucasienne » en langage politiquement correct) qui le désigne comme un ennemi.

 

Voilà l'héritage des Bush. Voilà pourquoi le Président Obama risque le plus gros camouflet de toute l'histoire de la démocratie américaine. Voilà pourquoi Assad risque de triompher et de poursuivre ses massacres en toute impunité. Connaissant l'opinion publique dans ces pays-là, Assad n'aura aucune peine à se prévaloir d'une « victoire » sur les Occidentaux et l'opposition sera encore plus affaiblie et ne pourra même plus compter sur les opinions occidentales qui lui étaient favorables puisqu'elles militent à présent contre toute intervention militaire en Syrie.

 

À cela s'ajoute les considérations de basse politique. D'habitude, en France, la classe politique dans son ensemble fait bloc autour de son Président sur les affaires étrangères et de sécurité extérieure ; surtout quand il s'agit de mobiliser des troupes. Cette fois, l'opposition n'entend pas voir le Président tirer profit d'une opération extérieure comme il l'a fait au Mali. Une fois, ça suffit. Ça tomberait en pleine campagne pour les municipales avec les Européennes dans la foulée. Idem aux États-Unis où les Républicains n'entendent pas offrir une victoire à un Président Démocrate alors qu'ils espèrent reprendre la Maison Blanche.

 

Plus sérieusement, on hésite à prêter main forte aux rebelles syriens dont certains sont soutenus par Al-Qaïda... http://www.independent.co.uk/voices/comment/does-obama-know-hes-fighting-on-alqaidas-side-8786680.html

 

On hésite à prêter main forte à une opposition pour voir un régime islamiste s'établir et massacrer, à son tour, les minorités accusées d'avoir soutenu Assad. On hésite surtout à « punir » un tyran pour avoir gazé son opposition. On a bien vu que « punir » Saddam Hussein ne l'a pas empêché de continuer malgré la disette qui frappait son peuple, bien au contraire. On hésite en se demandant quelles seront les réactions des voisins de la Syrie et, particulièrement de son allié, l'Iran, tenté de porter un coup quelque part. L’Iran ne frappera certainement pas directement les armées ou l'aviation des Occidentaux mais pourrait s'en prendre aux bases d’entraînement en Jordanie, par exemple.

 

Du fait de l'héritage des Bush, plus aucun gouvernement occidental ne pourra se lancer dans une opération militaire extérieure sans l'aval de son parlement. Du fait des échecs répétés visant à instaurer la démocratie dans des pays de tradition tyrannique et où cohabitent plusieurs ethnies rivales, les parlements occidentaux y regarderont à plusieurs fois avant de risquer l'envoi de troupes ou même d'avions. En plus du terrorisme qui s'est développé à grande échelle au Moyen-Orient, les Bush sont parvenus à bloquer les démocraties et à faire pression sur les opinions publiques de façon exactement inverse à ce qu'ils espéraient. L'incompétence de Bush Jr a réalisé ce qu'aucun mouvement terroriste, aucun tyran n'avait jamais pu obtenir : l'atermoiement et, finalement, la non-intervention.

 

Insupportable de laisser faire ! Impensable de faire une nouvelle guerre...Pendant ce temps, les massacres continuent...

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