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la lanterne de diogène
8 octobre 2013

Sophia... elle rame

À force d'en entendre parler, j'ai fini par chercher une vidéo de l'émission de Sophia Aram, tant décriée. J'ai pu visionner 11 minutes de la première. C'est vrai que c'est nul mais, je suppose, pas plus que tant d'autres émissions. Le problème, c'est qu'on a clamé sur les toits qu'on allait voir ce qu'on allait voir.

 

On a surtout entendu que l'audience peu élevée ne cesse de baisser, incitant les annonceurs à bouder la tranche horaire à un moment où France-Télévision a tant besoin de revenus. En plus, il paraît que cette émission coûte cher. On se demande bien pourquoi. Un plateau simple, des tables, un décor réduit mais une pléthore de chroniqueurs (Ah, les chroniqueurs ! Plus moyen de s'en passer) et un orchestre là où un synthétiseur suffirait pour envoyer des virgules musicales au bon moment ; sans doute pour rappeler la grande époque de « Nulle Part Ailleurs » avec Philippe Gildas.

 

Surtout, Sophia Aram, qui excelle dans les sketches n'est, de toute évidence, pas faite pour animer une émission. Qui a bien pu penser à elle et pourquoi ? Pas difficile de comprendre que son succès dans la matinale d'Inter pendant deux ans lui a valu cette proposition. Toujours, la télévision a fait son marché à la radio qui a essuyé les plâtres. Le succès des inévitables chroniqueurs leur monte parfois à la tête. Ils ne rêvent plus que de télévision. Guy Carlier, au début des années 2000 a ouvert la voix, mêlant l'humour inspiré par l'actualité aux stances moralisatrices distillées sur un ton grave. Au faite de sa gloire radiophonique, il a cédé aux sirènes des « périphériques » (comme on disait avant) avant de lorgner sur la télévision. En plus, son handicap dont il a fait un atout donnait bonne conscience : malgré son énormité, il osait se montrer à la télévision où il était très à l'aise. Comme il n'est pas bête, c'était un encouragement pour tout le monde : handicapés, timides et complexés en tout genre.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/30/20765889.html

 

Il a fallu trouver à Guy Carlier un remplaçant aussi mordant et drôle sur la radio de service public (comme on dit à présent). Après plusieurs tentatives, on a opté pour Sophia Aram. On la connaissait sur Inter puisqu'elle interprétait ses sketches chez Stéphane Bern (parti lui aussi pour RTL). Elle aimait bien imiter les accents étrangers et tourner en ridicule la misogynie et les religions. Il y a encore peu de femmes qui font profession d'amuser. Lui confier une chronique bi-hebdomadaire était une bonne idée. Au bout de quelques jours, elle est tombée dans le travers de ses prédécesseurs. Pourquoi se fatiguer à trouver des idées et des situations comiques quand il suffit de dézinguer l'invité de la rédaction, présent dans le studio à la fin de la matinale ? Donc, allons-y gaiement ! Et si l'invité ne sourit pas, il passe aussitôt pour quelqu'un qui n'a pas d'humour. Or, l'humour est obligatoire. Quoi de plus drôle que de s'en prendre plein la gueule et pas pouvoir envoyer une mandale dans celle de l'autre ?

 

Seulement, le succès de cette petite chronique est un véritable trompe-l’œil.

Les chroniqueurs sont les produits dérivés des nouvelles façons d'écouter la radio soit en réglant son smartphone sur l'heure de la chronique soit en écoutant le podchargement sur son ordinateur. L'auditeur choisit et se sert comme dans un supermarché et consomme comme on consomme les produits de supermarché.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/12/02/19770050.html

 

Le succès d'une chronique humoristique n'est ni un gage de talent, ni un gage de succès à venir. D'autres, avant, l'ont cru et ont dû déchanter. Le premier d'entre eux a été Didier Varrod. Ses chroniques sur son scooter étaient appréciées. Elles avaient reçu l'imprimatur de Télérama. C'est dire. Lorsque, convaincu de son talent, il a décidé de les éditer, son mentor, Jean-Louis Foulquier, avait réservé les salons de l'hôtel Concorde-Saint-Lazare pour lancer son livre dans son émission « Pollen ». Rien que ça. À croire que c'était le nouveau Saint-Simon. Las, il n'en a vendu que 12 exemplaires. Il en plaisante aujourd'hui mais a dû encaisser le coup. Stéphane Guillon court après le cachet tandis que sa compagne n'en a carrément plus. Didier Porte, qui fait le bonheur d'une certaine gauche en rappelant qu'il est plus intelligent que les autres, vu qu'il est licencié en sciences-économiques, a aussi édité ses chroniques. Elles étaient en vente chez un soldeur, l'an dernier, pour les fêtes, au prix imbattable de 2 €. Celles de Guy Carlier connaissent le même sort au bout de deux ans mais dans une moindre mesure. Certes, ils continuent tous de vivre beaucoup plus confortablement que la moyenne mais il leur manque toujours la consécration suprême.

 

Pour Sophia Aram, ça aurait dû être la télévision. D'après ce que j'entends, l'équipe dirigeante actuelle de France-Télévision est particulièrement en-dessous de tout. Comment un professionnel a pu penser qu'on peut animer une émission quotidienne quand on n'a à son actif que deux fois 5 minutes par semaine et un spectacle dans des petites salles et devant un public acquis ? Certes, un autre chroniqueur, toujours sur Inter, est aujourd'hui assis dans le fauteuil directorial pour avoir lu une chronique de 5 minutes, tous les jours pendant une quinzaine d'années et participé à des plateaux sur RTL ; décidément... En plus, en s'inscrivant résolument dans le créneau bobo, il obtient des scores enviables. Il y a donc de l'espoir pour tous.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/09/14/22033957.html

 

Sophia Aram, elle-même, n'a douté de rien en acceptant. Sûre de son audience, de son impact en entendant les techniciens se marrer derrière leur vitre, elle a pensé que toute la France se bidonnait de même. D'ailleurs, elle n'avait pas peur de traiter la journaliste Audrey Pulvar de « consœur » au prétexte qu'elles se croisaient dans le studio. Ben oui : y a pas de différence. Nous sommes FEMMES toutes deux et toutes deux derrière le même micro successivement. Elle a même dû penser que les origines de l'une et celles de l'autre leur donnaient un point commun supplémentaire. On va quand même pas établir une hiérarchie entre celle qui se lève à 2 heures du matin pour être à la rédaction à 4 heures pour son émission qui commençait à 6 heures et celle qui lit son papier de 5 minutes un peu avant 9 heures. On va pas établir une hiérarchie entre celle qui a étudié pour décrocher son boulot à la télévision et celle qui n'a pas besoin de diplôme pour gagner sa vie (même si elle en a). Avec une telle assurance, elle pouvait bien oser la présentation d'une émission grand public sur une chaîne nationale.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/12/21/25968028.html

 

En attendant, les cadres et autres porte-paroles annoncent qu'on travaille à améliorer le concept. Il y aurait donc un concept ? L'amélioration consiste à enregistrer l'émission plutôt qu'à jouer le direct. Comme ça, si l'on se trompe ou qu'un vanne tombe à plat, on peut effacer. Il suffit de laisser jouer l'orchestre quelques secondes de plus et le tour est joué. On est dans les temps. Autre innovation. Je me demande comment elle a pu avoir une idée aussi géniale et aussi originale : elle fait appel à Jean-Pierre Coffe. Succès garanti ! Sa voix, ses gros mots, sa bi-sexualité assumée, vont remonter l'audience à coup sûr. Mais non, on l'a pas assez entendu ! Qu'est-ce que tu vas chercher !

 

À partir de maintenant, il y a deux solutions.

Soit l'émission s'arrête après la Toussaint ou avant les fêtes ; le temps de trouver un(e) autre pour remonter l'audience. Dans ce cas, il y a gros à parier que Sophia Aram se confiera, plus tard, dans un magazine féminin ou sur un plateau de télévision concurrente ; c'est pas ça qui manque. Elle dira combien on ne l'a pas aidée, que tout le monde était contre elle, que, si elle n'avait pas été une femme, elle n'aurait pas subi tout ça, qu'on lui a fait payer ses origines, qu'elle en a été malade et qu'elle se remet peu à peu. Elle ira sûrement frapper à la porte d'Inter pour reprendre son siège usurpé par les Belges ou chez Stéphane Bern.

Soit l'émission continue parce que, d'une part, personne ne veut prendre le risque après ça, d'autre part parce qu'il faut persister pour persuader le public qu'il a tort, que l'émission est géniale mais que les gens ne sont pas encore prêts pour ce nouveau concept. Ils citeront des exemples d'émissions qui ont ramé avant de s'imposer. D'ailleurs, ils ont déjà commencé. Le problème, c'est que Sophia Aram plaît surtout aux bobos et que France 2 n'est pas une chaîne de bobos mais généraliste, pour le grand public qui n'a pas forcément envie de s'abêtir avec les chaînes privées.

 

Après tout, la Sncf pratique cette méthode depuis longtemps. On peut pas dire que ce soit un succès mais elle persiste et personne n'a encore tapé assez fort du poing sur la table pour qu'elle arrête. En construisant le TGV nord, elle a installé une gare au milieu des champs plats de Picardie au lieu de la disposer, quelques kilomètres plus loin, pour qu'elle soit en correspondance avec une ligne secondaire et relier ainsi la ville d'Amiens. La « gare des betteraves » fait rire mais la Sncf s'obstine et toutes les autres gares intermédiaires des nouvelles lignes de Tgv sont conçues selon le même principe : au milieu de rien, obligeant à prendre la voiture ou un taxi avant de prendre le train. Bien sûr, chaque fois, le porte-parole de la Sncf explique avec des mots pompeux, que c'est un nouveau concept etc. il fait valoir que chaque année, la fréquentation progresse de plusieurs dizaines de pour-cents. Bien sûr, quand la première année on a 15 voyageurs et que la deuxième on en à 40, la progression est vertigineuse !

 

Inter, qui semble le modèle du média de service public (que le monde entier nous envie, n'est-ce pas), opère selon le même schéma. Tous les bides sont prolongés, rediffusés l'été, jusqu'à la nausée. Ils appellent ça des « émissions-culte ». Nul doute que si l'on persiste avec l'émission de Sophia Aram, ils diront que c'est « l'émission culte » de France 2. En attendant, ça fait parler et c'est déjà ça de gagné. Pour le public, on verra après. Il n'est pas encore prêt. Il faut lui laisser du temps car c'est le public qui doit changer.

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Commentaires
L
Une explication avec <br /> <br /> <br /> <br /> http://www.legorafi.fr/2013/10/11/lemission-jusquici-tout-va-bien-serait-un-canular-de-lartiste-banksy/
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la lanterne de diogène
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