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la lanterne de diogène
12 octobre 2013

Brignoles enflamme la France

Il n'aura fallu que trois ou quatre jours pour voir le résultat et commencer d'avoir peur. Trois ou quatre jours seulement après le résultat du premier tour d'une élection cantonale partielle. Et alors ? Est-ce si important le résultat d'une cantonale partielle ? À quoi sert l'élu du canton d'ailleurs ? En plus, ce n'est même pas le résultat définitif. On ne sait encore pas qui sera élu. Pourtant, déjà, on table sur l'élection du candidat du FN. Dimanche soir, on jouait à se faire peur. C'était le raz-de-marée (tsunami en français), la vague déferlante qui emporte tout sur son passage. Les commentateurs se répandaient, le français moyen qui ignore tout du système politique, et particulièrement du rôle obscur du canton, voyait déjà l'exécutif vaciller, les chambres renversées. On annonçait 40,4 % au premier tour et déjà on voyait la représentante de ce courant à l’Élysée ; les uns pour s'en offusquer, les autres, hélas, pour s'en réjouir. Le scrutin n'est pas achevé, qu'on analyse déjà les raisons de la victoire du FN. Encore une fois, personne n'est élu mais l'on tire les leçons du scrutin. La gauche tonne. Le centre-gauche, qui détient la majorité a des préventions : fi ! fi ! La gauche radicale s'énerve, appelle à faire front, à résister : la patrie est en danger ! L'extrême-gauche, hurle à la montée du fascisme. La peste brune se répand. Les chemises noires déferlent. C'est la marche sur les Roms. La droite n'est pas mieux lotie. Devant la montée en puissance de leur voisin de toujours, compte-tenu que nombre d'adhérents de base font des allées et venues, elle se demande si elle doit s'allier ou faire cavalier seul. Bref, tout le monde est embêté.

 

Quelques commentateurs essaient de garder la tête froide : c'est une élection locale dont on ignore, ailleurs, le contexte. On sait que le département du Var est, depuis longtemps, favorable à l'extrême-droite. Un électeur sur trois, seulement s'est déplacé. Les autres, soit n'ont rien compris à l'élection, à la fonction de l'élu – et on les comprend – dans cet imbroglio de décentralisation qui mêle anciennes structures devenues au mieux obsolètes, comme le canton, quand tout se décide au niveau de l'intercommunalité. Soit, ils ont voulu marquer leur mépris pour l'ensemble des candidats susceptibles d'être élus, sachant que l'un ou l'autre ne changerait rien à leur situation. Donc, 40,4% du tiers des votants a choisi le candidat du FN dans un canton de l'arrière-pays varois, entre rocaille, garrigues et l'autoroute. Et c'est pour ces 2718 électeurs qu'on fait tout ce foin.

 

Le résultat ne s'est pas fait attendre : mercredi ou jeudi, un sondage indiquait que, au niveau national, un quart de la population souhaite que le FN prenne le pouvoir.

http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20131009.OBS0267/sondage-exclusif-le-fn-a-24-aux-europeennes-en-tete-pour-la-premiere-fois.html

 

Cataclysme ! C'est la première fois. D'ailleurs, en France, c'est toujours la première fois. La gauche, a offert toute l'étendue de son talent pour critiquer cette montée de l'extrême-droite. En fait, c'est elle qui donne de l'importance à l'extrême-droite. C'est la gauche qui la fait aussi grande en reprenant, systématiquement, chaque propos, chaque geste, chaque sortie. Le grand public ne connaît l'extrême-droite que parce que la gauche en dit. Ainsi, en ce moment, l'ensemble de la gauche (pour une fois réunie) est tout entière occupée de savoir s'il faut considérer le FN et ses représentants comme appartenant à l'extrême-droite ou non. L'ensemble de la gauche montre tout son courage en revendiquant l'appellation « extrême-droite » au risque (soi-disant) d'un procès. À croire qu'il n'y a rien d'autre à commenter. À croire qu'il n'y a aucun autre combat à mener. Gageons que si procès il y a, ça fera encore parler de l'extrême-droite et que cette publicité ne sera pas prise en compte dans les temps de parole dévolue à la politique. Astucieux ! Le problème, c'est que la gauche tombe dans le panneau à tous les coups et en est fière.

 

L'extrême-droite n'est audible que parce que la gauche lui sert d'écho. La gauche ne propose rien pour intéresser les électeurs à ses propositions pourtant autrement plus sérieuses et réalistes. La gauche n'écoute plus, depuis longtemps, la population qui souffre, qui connaît le chômage et la précarité, qui ne peut pas se soigner, qui vit dans la peur et l'insécurité. Les premières victimes de l'insécurité, ce sont les plus modestes, ceux qui rasent les murs en rentrant du boulot, ceux qui, tous les matins, ont peur de trouver leur voiture volée ou incendiée. La gauche ne les écoute pas et préfère répondre que tout ça est très exagéré.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/10/06/19255952.html

 

Il n'y a rien de pire pour quelqu'un qui vit une situation insupportable que d'entendre son interlocuteur minorer ses problèmes et tenter de l'intéresser aux problèmes des autres. Comment s'intéresser aux problèmes des autres quand on ne peut pas faire réparer sa chaudière ou sa bagnole ? Comment s'intéresser aux problèmes des autres quand on ne peut pas payer les médicaments de moins en moins remboursés ? Ils entendent les représentants de la gauche, ceux dont ils ont appris qu'ils défendent le peuple de toute éternité, leur dire que tout ça est moins grave que les problèmes que connaissent d'autres personnes, pourtant minoritaires. Que faire quand personne ne fait rien pour vous, que personne ne vous écoute seulement ? Le rat pris au piège est capable de tout pour s'en sortir, y compris manger le rat.

 

De son côté, depuis quelques années, l'extrême-droite présente un visage potable qui fait oublier les rencontres avec d'anciens SS, des formations étrangères ouvertement nazies, des mouvements nationalistes pourtant anti français comme le Vlaams Blok belge. L'extrême-droite arrive à parler aux Français de choses qui les touchent. Elle est la seule à leur parler de questions qui les concernent vraiment ; et ça, c'est de la responsabilité de toute la classe politique. Les uns parlent de mondialisation pour en dire du bien, d'autres pour en dire du mal. Idem pour l'Europe qui sert à se défausser quand on est incapable. Idem pour tous les grands thèmes politiques quand beaucoup de personnes doit faire ses courses dans des magasins à bas-coût ou faire la queue aux Restaus du Cœur. Ceux-là ont l'impression qu'il n'y a que le FN qui les écoute et s'occupe vraiment de leurs soucis quotidiens. La gauche, radicale ou non, est incapable de faire passer ses messages à des personnes qui vivent dans la peur du lendemain. Qui va s'enthousiasmer pour la 6ième République quand on vit au jour le jour ? Aucun idéal n'emporte l'adhésion. L'extrême-droite ne propose rien d'idéal, bien au contraire. Elle désigne des coupables aux misères que subit la population. Elle propose des remèdes simplistes mais qui ont l'avantage d'être compréhensibles par tous sans avoir à se prendre la tête. En plus, tout semble lui donner raison. Comment la belle idée de construction européenne, totalement dévoyée depuis l'Acte Unique de 1992 (en fait de 1993) pourrait encore faire rêver quand le budget de la France devra être approuvé* par la Commission Européenne ? En cas de dépassement des fameux 3% de déficit, la France devra acquitter une amende équivalent à 0,1 % de son PIB, ce qui représente, tout de même, environ 2 milliards. Bien sûr, ce nouvel abandon de souveraineté est dénoncé par l'extrême-droite, mais pas seulement. Faut-il que les autres l'approuvent puisque le FN le désapprouve ? Quoi qu'il en soit, ça accrédite l'idée répandue par l'extrême-droite, selon laquelle les étrangers font la loi en France.

Tout semble nourrir l'extrême-droite, surtout quand ses adversaires lui donnent une importance qu'elle n'a pas.

 

Depuis 1983, toute la classe politique se prononce, sur les sujets de société notamment (mais pas que), en fonction des positions du FN. Que le FN exprime une opinion sur n'importe quel sujet et aussitôt, la gauche prendra le contre-pied et reprochera à la droite de ne pas le prendre suffisamment.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/23/20704733.html

 

Depuis 1983, la gauche réplique à tout ce qui dit ou fait l'extrême-droite au lieu d'opposer une indifférence qui s'assimilerait au mépris. De son côté, l'extrême-droite ne fait pas mieux. Elle accorde, depuis toujours, une importance démesurée à l'immigration. C'est sa raison d'être. À croire que la population immigrée submerge tout le reste. C'est loin d'être le cas. Les immigrés, même en ajoutant ceux installés de longue date et devenus français, sont concentrés dans les grandes villes et notamment à Paris où tout se décide et où se trouvent les médias qui montrent, systématiquement, des visages étrangers. À tel point que, dans les endroits où ils sont très peu, des gens ont réellement l'impression que les immigrés ont envahi le pays puisqu'on les voit en nombre à la télévision. On en est loin mais le ressenti est fort et l'extrême-droite en joue. Or, cette fixation sur l'immigration (qui fait pendant à la fixation de la gauche sur l'extrême-droite) lui profite tandis que, précisément, la gauche ne fédère que les siens qui considèrent que l'urgence est au seul combat contre l'extrême-droite. D'un côté, un message négatif qui passe et attire. De l'autre un message restreint, déconnecté, qui laisse indifférent. Personne à gauche ne s'interroge sur cette question. Pire : personne ne veut seulement s'interroger sur cette question et s'obstine à faire de la lutte contre l'extrême-droite sa priorité de fait (elle ne parle que de ça) et de la défense des minorités sa politique générale. C'est à la gauche d'écouter les doléances de la population. C'est à la gauche de la défendre contre la précarité, la peur de tomber dans la misère qui s'étale sur les trottoirs des villes. C'est à la gauche de défendre les plus modestes contre toute forme d'insécurité : économique et dans la vie quotidienne. Au lieu de ça, elle se perd dans des débats sans fin, tourne le dos à sa base historique, la laisse à l'extrême-droite et, après ce gâchis, se fixe comme objectif un combat perdu d'avance puisque menée contre une force irrationnelle.

 

En attendant, 2718 sur 43, 2 millions d'électeurs inscrits ébranlent la classe politique et les commentateurs. 2718 entraînent avec eux les sondés au point de faire croire que le quart des électeurs français va voter pour le FN la prochaine fois. Quel raisonnement peut amener à considérer que 2718 sur 43, 2 vont amener le FN au pouvoir ? Pourtant, ce n'est pas si absurde. Dans cette histoire, l'irrationnel l'emporte sur tout. Les adversaires du FN amplifient la portée de chaque scrutin local qui enregistre un succès du FN et même une défaite honorable. Les médias se précipitent sur tout ce qui fait commenter. Ce sont eux qui lui donnent cette importance. 2718 voix : pas une de plus !

 

 

 

* depuis l'entrée en vigueur du TSCG plus connu sous la formule « règle d'or », les budgets nationaux des pays de l'UE sont soumis à l'approbation de la Commission. Deux pays sur 27 (alors), ont ratifié ce traité. La GB ne l'a pas ratifié ; pas si bête.

 

http://www.monde-diplomatique.fr/2012/06/JENNAR/47853

 

http://blogs.mediapart.fr/blog/emile-fabrol/021012/la-facde-cachee-du-tscg

 

Concrètement, non seulement un État aura imposé une politique de récession et donc de perte d'emplois et de revenus mais, en plus, il devra encore augmenter les impôts tout en diminuant ses services au public afin de payer les amendes imposées par la Commission Européenne, tout en continuant à honorer la dette qui se creusera d'autant. Ces milliards sont autant d'argent qui ne servira pas pour améliorer le quotidien : payer les fonctionnaires (flics, profs, toubibs des hostos, agents du fisc etc.), réparer les routes, améliorer les trains, rembourser les médicaments etc. Qu'on se rassure le malade aura recouvert la santé avant de mourir.

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Commentaires
A
Salut ami !<br /> <br /> Voici l'article que Michel Peyret vient de publier sur notre blog a propos de Brignoles:<br /> <br /> <br /> <br /> Je lis, j'entends, un peu tout, et n'importe quoi, à propos des résultats des élections de Brignoles.<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a pourtant quelque chose de lourd, de massif, de marquant, dans ce résultat.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est ce que certains appellent les « abstentionnistes ».<br /> <br /> <br /> <br /> Comme si, justement, leur caractère massif n'avait aucune signification politique !<br /> <br /> <br /> <br /> Aussi, pour ma part, je ne parle pas d'abstentionnistes.<br /> <br /> <br /> <br /> Et je dis qu'il y a un immense rejet du système dans lequel nous vivons, un rejet de l'ensemble de ce système , et pas seulement de ses aspects politiques.<br /> <br /> <br /> <br /> Un rejet qui s'approfondit avec l'approfondissement de la crise de ce système.<br /> <br /> <br /> <br /> Le système capitaliste, je le nomme, contrairement à d'autres qui le font disparaître ! En ne le nommant pas, bien sûr !<br /> <br /> <br /> <br /> Et ce rejet grandit élection après élection, et va grandir encore.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est un boycott ! Je l'ai déjà dit à l'occasion d'autres élections !<br /> <br /> <br /> <br /> C'est un rejet, un boycott, de ce qui n'est au fond que la dictature du capitalisme.<br /> <br /> <br /> <br /> Je rappelle que, selon une enquête – je dis bien une enquête et non un sondage – de la SOFRES, 72% des salariés considèrent ce capitalisme comme négatif !<br /> <br /> <br /> <br /> Je la tiens à disposition de ceux qui la désirent.<br /> <br /> <br /> <br /> Au fond, les élections de Brignoles expriment également cette appréciation.<br /> <br /> <br /> <br /> Rejet du système politique et de ses fondements économiques et financiers, rejet de l'Etat et des forces politiques qui essaient de gérer cet ensemble, « droite » et « gauche » se succédant pour ce faire.<br /> <br /> <br /> <br /> Et la famille Le Pen tient sa place dans cet ensemble, depuis que Mitterrand avait, en son temps, relancé le père pour diviser les forces de « droite » et s'assurer ainsi une majorité...et sa réélection.<br /> <br /> <br /> <br /> Alors, il convient effectivement de rejeter tout cela.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est-à-dire qu'il faut changer de société.<br /> <br /> <br /> <br /> Et c'est cela que les électeurs de Brignoles viennent de dire. Et de faire pour une part.<br /> <br /> <br /> <br /> Il faut l'entendre. D'autant que d'autres électeurs l'ont également dit à l'occasion d'autres élections.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais il convient aussi que, maintenant, les électeurs, les salariés, tous ceux qui souffrent du capitalisme, aillent plus loin.<br /> <br /> <br /> <br /> Les salariés, qui représentent 92% de la population active, doivent s'organiser, d'abord sur les lieux de travail, comme le montre l'article sur 1936 que je viens de diffuser sur ce blog.<br /> <br /> <br /> <br /> 1936, 1968, c'est la voie qu'il convient d'emprunter de nouveau !<br /> <br /> <br /> <br /> Et il faudra alors aller jusqu'au bout !<br /> <br /> <br /> <br /> Michel Peyret
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