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la lanterne de diogène
3 décembre 2013

Quai d'Orsay

Je ne vais pas commenter tous les films que je vois. Je pourrai, car je fais ce que je veux sur mon blog. Simplement, je ne suis pas sûr que ça ait quelque intérêt pour les amis et les visiteurs. Ce qui m'incite à évoquer « Quai d'Orsay » de Bertrand Tavernier, c'est que, d'abord, il traite avec humour un sujet qui occupe une place importante sur le blog et, surtout, parce que les avis sont partagés.

 

« Quai d'Orsay », c'est d'abord une bande dessinée magnifique signée d'Abel Lanzac et Christophe Blain pour le dessin. À travers l'embauche du jeune Vlaminck, on pénètre dans l'univers grandiose et époustouflant du Ministère des Affaires Étrangères. L'histoire est truffée d'anecdotes qui révèlent la vie difficile des membres du cabinet du Ministre, forcés d'évoluer dans des locaux exigus quand l'hôtel ministériel est immense avec des salons et des couloirs où les lustres le disputent aux dorures des moulures. Chaque membre du cabinet doit supporter les sautes d'humeur du Ministre, incapable de se mettre à la portée de ses collaborateurs, tout entier porté par sa vision du monde. La petite équipe est plus ou moins homogène même si chacun est persuadé que son département est le plus important. Quelques uns tendent des pièges aux autres afin de briguer l'honneur bien vain d'être le préféré. Entre deux coups de vent, impassible, le chef de cabinet, Claude Maupas, conduit ses affaires avec une humilité et une discrétion qui forcent l'admiration. Il encourage les autres, n'est pas avare de compliments pour ceux sur lesquels il sait pouvoir compter en cas de coup dur. Il ménage ceux qui n'ont plus leur place mais qu'on ne peur renvoyer malgré leur incompétence. C'est cela aussi la diplomatie au quotidien. La BD, avec ses codes, permet d'ajouter des signes qui soulignent les sentiments et les rapports de force. Ainsi, la secrétaire, subjuguée par le chef du cabinet qui, tout seul, malgré les affaires courantes, malgré l'urgence du calendrier, malgré les interruptions des fâcheux et du ministre lui-même, sacrifie son amour-propre et risque de passer pour bonne à rien afin de protéger le travail ultra-secret qu'il mène. En effet, il doit débloquer une situation qui, si elle évolue dans le mauvais sens, va déclencher une crise diplomatique mondiale. Difficile de s'étendre sur cet épisode qui est pourtant la charnière de l'histoire, l'événement qui illustre le mieux le travail délicat des diplomates.

 

Bertrand Tavernier a dû faire des choix et éliminer nombre de séquences. Personnellement, je regrette l'histoire du Falcon qui tord le cou au mythe de la supériorité aéronautique française injustement incomprise de par le monde. C'est probablement la plus drôle de toute l'aventure. En revanche, j'apprécie la dénonciation de ces intellectuels qui gravitent autour des ministres, se font mousser dans le but d'obtenir le titre officieux de conseiller du Prince. On sait depuis Machiavel que, malgré leurs talents et leur vision, il demeurent incompris. À plus forte raison quand ce sont de fats prétentieux. On retrouve avec plaisir Jean-Paul Farré, toujours aussi halluciné, et qu'on n'avait pas vu depuis bien longtemps. Bertrand Tavernier a voulu se faire plaisir. Il signe un de ses rares films humoristiques sans oublier la gravité du sujet. L'ensemble est très bien joué mais il est bien rare qu'on dise le contraire surtout d'un film signé par un des meilleurs réalisateurs. Je n'aime pas Thierry Lhermitte. Justement, on arrive à oublier que c'est lui même si l'on a du mal à retrouver le ténébreux Ministre de la bande dessinée.

 

Q d'Orsay 2''

Tavernier paraît s'être beaucoup amusé avec les fragments d'Héraclite qui parsèment le film et qui semblent être la bible du Ministre. Il n'a pas oublié la scène où une feuille d'un discours est subtilisée par un journaliste. On a une explication des mystérieuses fuites qui alimentent les chroniques. En revanche, il n'a pas pu montrer les étapes qui mènent de l'embauche du dernier membre du cabinet, celui qui est chargé des « langages » (en clair de préparer les discours) au discours prononcé à la tribune des Nations Unies par M. de Villepin, pour justifier le refus de la France d'engager une guerre contre l'Irak. Dans la bande dessinée, les phylactères permettent de tracer les mots clés qui jalonnent toutes les étapes. Les différents codes et techniques propres au genre accentuent les gestes du Ministre qui déploient des bras démesurés pour faire comprendre ce qu'il veut. Les coups de vent sont rendus tandis que le film recourt au bruit des portes qui claquent. Qu'on me permette une parenthèse. Dans « Le Lotus bleu », Hergé dessine une moto side-car des forces britanniques dans la concession internationale de Changaï. Sur la photo qui a servi de modèle, la moto semble immobile tandis que l'image dessinée rend parfaitement la dynamique de l'engin et de son équipage. C'est souvent le cas dans le film de Tavernier. Qui n'a pas lu la BD peut voir le film avec plaisir. Qui l'a vu éprouvera la même gêne que le lecteur de roman déçu par l'adaptation cinématographique de son œuvre préférée. Le film n'est pas qu'une adaptation. Bertrand Tavernier signe une œuvre originale. Il a inclus une histoire de famille « sans-papiers » qui permet de donner au Ministre hautain une véritable dimension humaine pour ne pas dire humaniste. Également, Jane Birkin joue, pour ainsi dire, son propre rôle en se faisant l'avocate d'Aung San Suu Kyi (qu'elle prononce « sushi »). Cette incursion permet aussi de dater l'histoire et de l'ancrer dans la réalité.

 

Il faut donc voir ce film. D'abord pour y retrouver des acteurs de talents. Outre ceux cités, Raphaël Personnaz montre l'étendue de son talent après avoir incarné un Marius jouvenceau, propre à émouvoir, enfin, en regardant une œuvre de Pagnol au cinéma.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/07/23/27695326.html

 

Surtout, Niels Arestrup est magistral. On le savait mais il est bon de revoir un acteur de cette ampleur. Pour qui l'a vu en Lopakhine dans la Cerisaie mise en scène par Brooks,

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/11/08/15723449.html

 

on ne peut qu'être saisi par le visage vieilli de celui qui incarnait le charme scandinave au théâtre. D'une manière générale, Tavernier semble avoir choisi les acteurs pour leur ressemblance avec les personnages de la BD. Niels Arestrup est plus vrai que vrai. À croire qu'il a servi de modèle à Christophe Blain pour Claude Maupas.

 

Bien sûr, ceux qui ne suivent pas l'actualité internationale, ceux qui ne consultent pas La Lanterne de Diogène

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/relations_internationales/index.html

 

ne voient dans ce film que des situations absurdes voire mesquines ou ridicules. Ils ne peuvent que s'interroger sur le sérieux et la santé mentale des membres les plus éminents des ministères. Ce sont les critiques de cinéma et les cinéphiles. Les autres, nous, en fait, mesurent la force de caractère nécessaire pour éviter les guerres et les conflits qui menacent à chaque heure. Alors, pour ces gens de l'ombre dont on s'amuse des manies et des faiblesses, on comprend qu'ils ne sont que des humains et ont bien droit, aussi, d'avoir des défauts.

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