Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
22 octobre 2014

Aucu, aucune hésitation !

On dirait que le grand public et même les critiques commencent à trouver que trop c'est trop en matière d'art moderne. Pour signaler la FIAC, les promoteurs de la manifestation ont eu l'idée, cette automne, d'ériger sur la place Vendôme à Paris (place où se trouvent les plus grands bijoutiers de la capitale), une structure gonflable verte intitulée « Tree », qui peut faire penser, en effet, à un sapin de Noël mais qui est, en réalité, un agrandissement d'un gadget sexuel connu sous le non anglais « anal plug » (prise anale). L'auteur, Paul McCarthy, n'a pas caché son inspiration et, d'ailleurs, une exposition donnée bientôt à la Monnaie de Paris va présenter d'autres « œuvres » d'inspiration similaire ; au point que les organisateurs « déconseillent » la visite au jeune public.

 

Des plaisantins ou des personnes exaspérées ont donc choisi de dégonfler « l'arbre » qui était pourtant gardé jour et nuit. Curieux que ce machin ait nécessité l'emploi d'un vigile quand la colonne Vendôme en travaux ainsi que les statues des rues ne font l'objet d'aucune protection particulière. Le bronze qui représente Montaigne, rue des Écoles, face à la Sorbonne, est souvent peinturluré. Ça paraît normal à tout le monde. Quand il s'agit de ce qui est présenté comme une « œuvre contemporaine », on se doit, de monter la garde. Comprenne qui pourra.

 

Quoi qu'il en soit, le choix de cet objet montre clairement une tendance scatologique dans les arts plastiques. Paul McCarthy s'était d'ailleurs fait connaître en fabriquant un étron géant qui avait aussi connu un sort semblable et dont les morceaux s'étaient volatilisés et répandus. Quelques badauds interrogés se sont demandés si cet « anal plug » n'indique pas, tout simplement, que les Français aiment se faire sodomiser.

La littérature, depuis plusieurs années, produit des pages sur lesquelles les auteurs s'expriment sur la couleur de leurs urines, de leurs selles, de la manière de les produire et des réflexions qu'elles leur inspirent. Dans le passé, Dali, Rimbaud ou Zappa avait pu faire quelque chose sur le sujet. La différence, c'est que leur talent n'avait d'égal que leur sens de l'humour et qu'après avoir commis leurs divertissements, ils avaient tourné la page. Surtout, ils ne se prenaient nullement au sérieux quand ils le faisaient. Les soi-disant artistes d'aujourd'hui, au contraire, s'étalent sur leurs intentions et prétendent faire œuvre de création. Il faudrait juste leur rappeler que la physiologie est ainsi faite que chacun, même les enfants, même les animaux accomplit cet acte de création tous les jours. L'habileté de ces « artistes » consiste à se faire payer pour ça. Après tout, s'il s'en trouve pour payer, ils ont raison de ne pas s'en priver.

 

Forcément, parmi les badauds et, surtout, parmi les commentateurs (très peu en vérité) certains ont cru que cet « acte de vandalisme » traduit un retour à l'ordre moral, au puritanisme et ont fait un méli-mélo avec des sujets de société qui voient, ces derniers temps, des opinions se radicaliser. Chacun défend les causes qui sont à sa portée. Qu'ils défendent donc la scatologie !

 

Nous essaierons de nous élever un peu en nous demandant si ce n'est pas une nouvelle étape – peut-être l'aboutissement – de cette perversion engendrée par le capitalisme qui pousse à spéculer sur les œuvres d'art. La formidable inventivité artistique qui s'est développée depuis la fin du 19ième siècle a accordé une valeur considérable à des œuvres boudée au moment de leur réalisation. Par conséquent, on voit, depuis l'après-guerre, un empressement à investir dans l'art contemporain en se disant que, peut-être, un jour, ça vaudra une fortune. Le système est complètement perverti puisque, sans attendre la consécration du public – souvent tardive il est vrai – on fait monter les enchères à la création et l'on attribue une valeur aussi artificielle que dévoyée. À partir de là, on ouvre la porte à tous les abus, toutes les supercheries et il ne manque jamais de petits malins pour exploiter ce filon avec la complicité des petits intellectuels qui, parce qu'ils lisent tel ou tel autre hebdomadaire, affectent de se pâmer devant n'importe quelle création et la mettent à égalité avec les œuvres qui ont bénéficié de la pérennité. Si eux le font spontanément, il y en a quelques uns qui en profitent largement. Les prix ont augmenté de 70 % en dix ans. La spéculation autour de l'art contemporain explique aussi pourquoi les œuvres modernes sont gardées par des vigiles : il y a du pognon en jeu ! Les œuvres consacrées sont, en général, invendables. Donc, un simple gardien assis sur un pliant suffit à éloigner ceux qui s'approchent un peu trop. En revanche, eu égard au retour sur investissement escompté pour l'art moderne, on n'hésite pas à embaucher des vigiles. L'argent est mieux protégé que les personnes.

 

Dans le film intouchable, intitulé aussi « Intouchables », le personnage joué par Omar Sy s'offusque quand son boss n'hésite pas longtemps à acheter une toile plusieurs milliers d'euros. Je cite de mémoire : Quoi, y a un mec qui a saigné du nez sur une toile et vous allez acheter ça et à ce prix-là ?

 

Autrefois, Yves Mourousi présentait régulièrement du mobilier contemporain au cours de son journal télévisé. Il est arrivé, souvent, que des meubles soient de simples agencements de planches couverts de laque. Ainsi d'une « banquette » qui n'était autre que deux planches soutenues par deux structures en fer. On se devait de vanter « la pureté des lignes ». Le modèle n'était autre que celui produit par des menuisiers pour fournir une petite commune en bancs publics bon marché.

 

Les bien pensants qui défendent à la fois toute forme de création et les populations exclues (incarnées par Omar Sy dans le film) feraient bien de s'interroger. Ils n'imaginent pas que ce qu'ils appellent « art » est une insulte à des personnes qui peinent à joindre les deux bouts et versent souvent dans la délinquance pour y parvenir. Cette injustice qui fait que les pouvoirs publics vont acheter des tas de ferraille pour mettre devant leurs bâtiments publics tout en rognant sur les prestations à leurs administrés, n'est pas pour rien dans la violence qu'expriment certains jeunes.

 

J'entendais une fois cette anecdote. Une classe de collège visite une exposition d'art contemporain. Y était présentée une maison détruite. En clair, il s'agissait d'un tas de gravats. Un des élèves s'adresse à sa prof : « Eh, Madame, moi aussi j'en fais autant ! Vous me donnez des subventions et je vais casser un abri-bus ! ». Réponse de l'enseignante : « Quel dommage ! Tu n'as pas compris la démarche de l'artiste. »

 

Eh oui ! Tout est dans cette phrase : « la démarche de l'artiste ». D'ailleurs, les œuvres présentées sont toujours accompagnées par un dossier de presse dans lequel l'artiste explique son œuvre qui, sans cela, serait tout à fait incompréhensible, partant passée sous silence. C'est la démarche d'un Boulez dont la dernière œuvre a duré vingt minutes précédées d'une heure quarante d'explications sur ce travail de plus d'une décennie. Les journalistes et autres critiques d'art ne font que paraphraser les dossiers de presse. Lorsqu'ils font des citations, des comparaisons, il faut se dire qu'elles figurent dans le dossier de presse. Quand ils font remarquer, pour un film, que tel technicien a travaillé avec les plus grands, ce n'est pas parce qu'ils ont repéré son nom, plusieurs fois, sur le défilé des génériques mais parce qu'il est mentionné dans le dossier de presse.

 

En d'autres termes, on nage en pleine supercherie. Nous sommes les jouets de nombreux stratagèmes qui se conjuguent pour anéantir notre sens critique et nous faire passer toute velléité de contestation. Après Mai 68, cela avait un sens. La société étouffait, « s'ennuyait », pour reprendre la formule de Pierre Viansson-Ponté. Il y a eu une explosion artistique avec son lot de provocations souvent inutiles ou superfétatoires. Il fallait repousser les limites. Remettre en cause l'ordre établi. Seulement, comme l'avait annoncé Sartre reprenant Marcuse, au cours de ces conférences données à l'Odéon en mai 68, justement, la société capitaliste est assez forte pour récupérer jusqu'à la contestation qu'elle provoque. L'ordre capitaliste est prêt à récupérer et investir dans des expressions à prétextes artistiques éloignés de ses valeurs, simplement pour pouvoir se maintenir, se renforcer et, surtout, faire de l'argent avec tout, y compris avec ceux qui le contestent. Les vrais révolutionnaires, les vrais contestataires doivent se méfier de telles facilités surtout quand elles excluent un peu plus ceux pour qui ils se battent, surtout quand elles atteignent des équivalent monétaires indécents. Ils devront aussi s'éloigner de ceux qui se disent des leurs et nourrissent le système avec son cortège d'injustices et d'exclusions.

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 703
Newsletter
Publicité