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la lanterne de diogène
24 octobre 2014

Sade

Une exposition consacrée à Sade se tient à Paris, au Musée d'Orsay. C'est l'occasion pour quelques plumitifs qui se piquent de culture de se répandre sur le génie de celui qu'ils appellent « le divin marquis », pour faire croire à une certaine intimité avec l'auteur. Généralement, on le qualifie d'écrivain libertin. Si l'on poursuit, on a droit à quelques couplets sur sa détention à la Bastille peu avant sa prise par les sans-culotte, sur son anticléricalisme, sur ses sympathies supposées avec les Révolutionnaires.

 

Intéressant mais archi faux. Sade était emprisonné à la Bastille à cause de ses dettes et non pas de ses écrits. Il disposait de deux cellules pour y être plus à l'aise et il profitait de la forteresse, quasiment vide en son temps, pour échapper aux harcèlements de ses créanciers. Ceux qui ont lu quelque peu ses pages se rendent vite compte qu'il ne s'agit pas de libertinage mais bien de sadisme puisque le mot vient de là. Curieusement, on l'oublie. Sade a eu le mérite d'écrire ses fantasmes, leur réalisation et d'expliquer le plaisir qu'il éprouvait à faire ou voir souffrir les autres. Ses écrits sont précieux pour la compréhension de la psychologie des criminels psychopathes et des meurtriers en série. Son imagination dans les supplices infligés à ses victimes, parce qu'elle est exceptionnelle, a choqué en son temps ceux qui l'on lu, et continue de choquer. Le critique du Parisien (journal peu suspect d'atteinte à l'ordre moral bourgeois) du 19 octobre 2014, s'il incite ses lecteurs à voir l'exposition, est obligé d'avouer qu'il n'a pas pu terminer la lecture des « 120 journées de Sodome ». Sade y décrit avec force détails les supplices infligés à ses victimes – toutes des femmes – ainsi que les conséquences en termes de douleurs subies. Ses autres écrits sont du même tonneau et il faut quelque acrobatie pour que « Justine » puisse être lu ou présenté en spectacle tout en restant supportable. Sade ne fait pas qu'écrire des fantasmes inavouables, théoriser le sadisme, banaliser la violence faite aux femmes. Il a lui même mis en pratique ce qu'il décrit, profitant de sa noblesse pour imposer sa loi à ses servantes issues, forcément, du peuple. Ce n'était pas du simple troussage de domestiques. De fait, il s'arrogeait un droit de vie et de mort sur son personnel féminin avec toute une gamme intermédiaire de supplices plus ou moins raffinés mais propres à assouvir ses pulsions morbides. Les lecteurs de gauche feraient bien d'y penser avant de s'ébaubir à la pensée de Sade. Sade est resté ce qu'il a toujours été : un noble dévoyé qui profitait de sa situation et qui n'a rejoint les Révolutionnaires que par opportunisme pour échapper à ses créanciers et pour faire connaître, alors que l'ordre était remis en cause, ses désirs. Le libertinage existait avant lui sans pour autant prendre l'aspect criminel qu'il a donné à ses pratiques sexuelles.

 

La Révolution lui a également permis d'écrire « La philosophie du boudoir » dans laquelle il expose quelques points de vues. Lors de la ré-édition de cet ouvrage, Michel Polac avait dénoncé la supercherie. Il voyait une contradiction flagrante entre ses prises de positions contre la peine de mort et sa défense du meurtre, au nom de la liberté et au nom de la recherche du plaisir. À lui seul, ce point contient les faiblesses de ce qui tient lieu de « pensée sadienne » (pour ne pas dire sadique) et la véritable nature criminelle du « divin marquis ».

 

Avant de louer Sade pour avoir pris le contrepied des lois qui régissent les sociétés humaines, il faut se rappeler qu'il a bien profité de son statut de marquis auparavant. Avant de se pâmer en feuilletant les magazines (qu'on trouve par exemple à la librairie du Scarabée d'Or à Paris) qui montrent des photos de filles asiatiques ligotées ou flagellées, on lira jusqu'au bout les ouvrages de Sade qui se terminent par l'agonie des victimes dans des souffrances atroces que seule la mort délivrait. Les corps mutilés pouvaient être jetés après usage par le marquis et ses complices. Ceux qui, enfin, ont lu jusqu'au bout et n'éprouvent aucun malaise doivent réclamer d'urgence la réhabilitation des criminels dont les exactions ont provoqué des scandales retentissants en Belgique et dans le département de l'Yonne dans les années 1990. On ne peut pas approuver Sade, banaliser ses principes et ses pratiques et se conduire en Tartuffe quand des individus passent à l'action pour satisfaire leur plaisir tel qu'il a été théorisé par Sade. On ne peut pas encenser Sade au simple prétexte qu'il a pris le contrepied de l'ordre des sociétés humaines et qu'il a parlé de sexe à une époque où le sujet était tabou. On ne doit pas non plus faire de Sade une victime parce qu'il était détenu à la Bastille pour fraude. Sade était un de ces opportunistes qui savaient bien louvoyer et passer entre les gouttes pour faire oublier ce qu'il était : un petit fraudeur doublé d'un tortionnaire et d'un meurtrier. Inversement, on ne peut non plus s'offusquer de la conduite libidineuse ou des fraudes fiscales commises par des personnages publics tout en exaltant Sade.

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