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la lanterne de diogène
30 mars 2015

Faits divers : et la morale, bordel !

Le premier trimestre de l'année s'achève avec un lot de faits divers spectaculaires. On a commencé en janvier avec les attentats parisiens et fini avec l'avion qui s'est écrasé dans les Alpes du sud. Depuis une huitaine que la catastrophe a eu lieu, nous avons un rebondissement par jour. L'émotion est grande, comme toujours quand 150 personnes trouvent la mort en même temps. Comme toujours aussi, l'émotion l'emporte sur toute autre considération et fait perdre le sens le plus élémentaire de la raison.

Personne (à notre connaissance) ne s'est interrogé sur les à-côtés de cet événement. Pourtant, il y aurait des questions à se poser. Très rapidement, les rédactions ont dépêché sur places des équipes ; pas seulement un journaliste et son assistant technique mais plusieurs journalistes par rédaction. L'un tâchant de se rendre sur les lieux de l'accident, un autre trouvant un témoin qui a vu ou aperçu ou entendu quelque chose d'insolite, un autre encore essayant d'obtenir des mots de la part des préfet, procureur, maire, député etc. Chaque rédaction rivalisant d'autant plus qu'ils se sont fait griller le scoop par le quotidien local La Provence (ce qui est logique) qui fait d'habitude parler de lui à cause de la personnalité de son propriétaire. Cette rivalité atteint son paroxysme quand on imagine que les chaînes de télévision d'information, les généralistes, les radios, les grands quotidiens, les agences de presse sont sur place. Il faut y ajouter leurs homologues allemands et espagnols, plus quelques autres. Et alors ? Et alors, pour quiconque connaît la ruralité accentuée par le milieu montagnard sait que l’exiguïté des lieux, de ces villages perchés ou de vallées, de ces routes étroites et mal asphaltées (sauf quand elles servent pour le Tour de France, et encore) ne peut qu'éprouver un vertige. Rien à voir avec la porte de Vincennes à Paris surtout neutralisée. On peut raisonnablement penser que dans la journée, le village de Seyne-les-Alpes voit sa population doubler alors que les villageois sont déjà perturbés par cet accident et par les secours aux victimes, pris en charge par des volontaires, secouristes et autres pompiers sans compter quelques guides et des montagnards aguerris.

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Comme si ça ne suffisait pas, les rédactions s'agitent dans leurs locaux. Ils envoient d'autres journalistes à la pêche aux informations annexes : l'aspect technique de l'avion, de la navigation aérienne, les proches des victimes, tous ceux qui pourraient avoir quelque chose à dire même s'ils ne sont pas concernés ou qu'on ne leur demande rien. Le gros de ces annexes est constitué par le pédigrée des pilotes et, forcément, de celui qui était aux manettes. Grâce au quotidien dit « populaire » (bel euphémisme pour qualifier un torchon) Bild, on sait tout ou presque de l'intimité de cet homme. Admettons. Personne (à notre connaissance) ne s'interroge sur les moyens utilisés par ces journalistes pour mettre la main sur son dossier médical dont on nous disait qu'il était confidentiel et qu'on n'en saurait rien. Personne ne trouve à redire puisqu'on a pris l'habitude des photos volées, des enregistrements qui confondent les notables. Quand il s'agit d'épingler une personnalité politiques de premier plan, tous les moyens sont bons. Quand c'est un quidam, une femme de chambre ou autre, on rechigne un peu à l'idée que ça pourrait être soi-même. En revanche, personne n'apprécie de voir une petite vidéo enregistrée par un smartphone à son insu quand on est bourré ou qu'on débite des conneries à l'emporte pièce. On apprend maintenant qu'on s'est procuré des vidéos, justement, du futur pilote lorsqu'il était en formation. À quand des vidéos de jeux de rôle, d'anniversaire, déguisé etc. L'homosexualité ne fait plus scandale, sinon on aurait cherché de ce côté-là aussi. S'il s'agit d'une personne connue, alors il n'y a aucune limite. On accepte ça pour autrui, donc, à condition qu'il ne nous ressemble pas trop. C'est la lutte des classes à bon compte à l'heure de la dépolitisation, de l'abstention et de l'ère médiatique. Où l'on s'aperçoit que des médias qui se drapent dans une vertu moraliste utilisent les mêmes méthodes que la presse de caniveau. Comme c'est pour une bonne cause apparente, on trouve ça très bien. Donc, le dossier médical paraît dans la presse, est repris sans plus de précaution : s'il fallait le lire et le traduire par dessus le marché, on n'en finirait pas. Cette presse moraliste a gagné sa notoriété en produisant (grâce à l'Internet et au multimédia) des enregistrements de ministres et de notables. Bild marche dans ces ornières. Justement, on apprend encore qu'il s'est procuré l'enregistrement de la première boite noire. Normalement, cet appareil doit demeurer entre les mains de la Justice et des experts qu'elle missionne. On s'attend à d'autres révélations du même tonneau. On assiste à une gradation dans la relation des troubles de ce pilote. On a d'abord parlé de « dépression », puis de « troubles psychologiques » et d'un suivi par plusieurs spécialistes. Maintenant, on parle de « troubles psychiatriques ». On avance même l'hypothèse (une de plus) que des problèmes décelés dans sa rétine seraient à l'origine de cette crise après avoir suggéré un conflit avec sa compagne qu'on n'a pas manqué de cuisiner alors qu'elle doit être en état de choc. D'autant plus qu'on nous dit qu'elle serait enceinte. Est-ce que Bild a retrouvé le test de grossesse ou des tickets de caisse prouvant qu'elle a fait des achats en prévision ? À ce point-là, on s'attend à des détails scabreux sur la relation entre les deux amants et l'intimité de leurs anatomies et de leurs physiologies. Bien sûr, Bild ne cite pas ses sources. Cette précision, loin de jeter la suspicion, augmente la curiosité et renforce l'idée que cette presse est indépendante. De plus, on protégeant ses sources, on suggère que les mêmes pourraient fournir d'autres informations du même acabit.

Personne ne trouve à redire. On a besoin de fabriquer un monstre. Comme il ne reparaîtra plus, on peut le charger au maximum. Les seuls à avoir dénoncé quelque chose, appartiennent à la mouvance de la gauche moraliste qui s'en prennent à la rumeur et à ceux qui l'ont propagée, selon laquelle ce pilote se serait récemment converti à l'islam. L'idée qu'on puisse ajouter à l'islamophobie, est à ce point intolérable quand tout le reste passe très bien, y compris quand on fouille les entrailles de la copine de ce pilote suicidaire. On n'a trouvé qu'une seule photo (pour le moment) du pilote perturbé. Où ? Comment ? À qui a-t-elle été arrachée, achetée, combien ? À ce train, des photos dénudées sont à prévoir.

 

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Un hebdomadaire qui ne paraît que le dimanche fait sa publicité entièrement sur les deux faits divers de la semaine : les suites de l'accident d'avion et ce directeur d'école « présumé » coupable d'agression sexuelles sur ses petits élèves. À croire que rien d'autre n'existe, ne serait-ce que le deuxième tour des élections départementales. Bild, dont les informations sont reprises par toutes les rédactions de France et d'ailleurs, est peu connu du grand public. Bild, c'est d'abord le plus fort tirage de la presse allemande et d'Europe : près de 4 millions d'exemplaires vendus chaque jour. Ce journal a toujours marché dans les caniveaux, recherchant scandales et sensations. Comme ses homologues anglais (The Sun et The Daily Mirror) outre la flatterie du bas peuple et de ses instincts et activités, il cultive l'anticommunisme. Installé à Berlin pendant des décennies, son immeuble narguait la partie orientale de la ville, derrière le mur, en RDA. Ses méthodes ont été dénoncées par le roman « L'Honneur perdu de Katharina Blum » d'Heinrich Böll, porté au cinéma par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta (sorti en 1975). Rien n'a changé depuis, au contraire : la multiplication des chaînes de télévision d'information a accentué la tendance en ajoutant la quasi immédiateté qui empêche de prendre du recul (quoi que, si c'est pour en faire ce qu'en fait Bild...). On croyait ces pratiques l'apanage d'une certaine presse anglo-saxonne. Or, à partir du moment où les rédactions françaises, y compris celles qu'on croyait sérieuses, sont à l’affût, sur l'Internet, des dernières révélations de Bild, on se dit qu'elles valent à peine mieux et, surtout, cherchent l'assurance que ce genre d'informations est réclamée par les lecteurs afin d'infléchir la ligne éditoriale. Faut-il rappeler que, en France, depuis une petite vingtaine d'années, le seul secteur de la presse qui a progressé, gagné des parts de marché, vu les titres se multiplier et perdurer est la presse à scandale que son succès ne permet plus d'être ainsi qualifiée mais affublée du curieux terme de « people » ou « pipole » ?

 

Ne pas se poser ces questions, n'est-ce pas déjà reconnaître que la raison, la rigueur intellectuelle ne pèsent plus rien face aux instincts primaires flattés, aux pulsions sexuelles (voir le succès de Sade), aux pulsions morbides ?

Un dernier mot, le lien qui suit montre la photo d'une stèle. Comment ne pas penser à la fin de « La Peste » quand Camus fait dire à un personnage : « Il paraît qu'il vont élever un monument aux victimes de la peste. Je les entends déjà : « nos morts... » et ils iront casser la croûte ».

 

Minute par minute !

http://www.lepoint.fr/societe/crash-de-l-a320-minute-par-minute-ce-qui-s-est-passe-dans-le-vol-4u9525-29-03-2015-1916834_23.php

revue de presse :

http://www.parismatch.com/Actu/International/Les-dernieres-minutes-avant-le-crash-de-l-A320-de-Garmanwings-735096

http://www.liberation.fr/societe/2015/03/27/a-quel-moment-un-crash-devient-il-un-attentat_1229644

http://www.acrimed.org/article4618.html

 

à propos de la boite noire : on nous dit, candidement, que l'enregistrement ne permet pas de déceler quoi que ce soit d'anormal dans la cabine, à part le commandant qui tambourine à la porte (oh ? Il a dit des gros mots, quelle horreur!) et, finalement, les cris des passagers quand ils comprennent ce qui va se passer.

Surtout, on nous suggère que tout est calme. On entend juste la respiration régulière du pilote. Et ça ne tracasse personne ? Avec le bruit du moteur (quand on sait que dans un avion – même un Airbus – on entend le moteur en permanence), on arrive à entendre le souffle humain et on trouve ça normal. Le souffle d'une personne est perceptible sur ces enregistrements alors qu'il y a un fort bruit de fond. Il semble, au contraire, qu'entendre la respiration de quelqu'un est tout à fait anormal. Comme on sait (et l'on se doute que dans cette profession, ils le sont tous plus ou moins) que ce pilote était sportif, on peut comprendre que le rythme soit à peine accéléré mais singulièrement fort au point d'être audible.

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