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la lanterne de diogène
12 mai 2015

Profs d'allemand -mand -mand

S'il est un sujet qu'il est vain d'aborder, c'est bien celui de la réforme de l'Education nationale. Tout le monde a un avis et un avis tranché. Soit parce que, concerné pour avoir un ou plusieurs petits, on touche du doigt les imperfections et l'on se dit qu'avant de tout bouleverser, on devrait rectifier ce qui ne va pas et, souvent, il en faudrait peu. Soit aussi parce que, y travaillant, on a ses idées sur la question. Enfin, tous, pour y être passés, nous avons des souvenirs. Enfin, pas si sûr, tant il est vrai qu’une fois sortis de la scolarité, les jeunes s’empressent de tout oublier, comme si c’était la condition sine qua non pour devenir adultes. D’ailleurs, la société n’est pas loin de le penser quand elle paraît découvrir un lieu par lequel nous sommes pourtant tous passés. Alors, à quoi bon en rajouter une couche ?

Comme cette fois-ci, le débat fait rage autour d'une énième réforme qui paraît un condensé de tous les délires pédagogistes, de toutes les démagogies destinées à flatter des catégories de la population, de toutes les concessions aux modes. J'y reviendrai peut-être une autre fois.

Pour l'heure, ce qui me fait marrer, c'est la contestation des profs d'allemand. Les voici qui serrent les fesses en comprenant que le mouvement engagé depuis plusieurs années est, cette fois, entériné non plus seulement dans les faits mais dans le marbre ministériel : le recul de la langue de Goethe et, par conséquent, le renoncement à leurs prébendes. Pendant des années, l'allemand a accompagné l'école républicaine. Une fois le travail préliminaire accompli par les « hussards noirs », l'école secondaire signifiait l'étude de la langue du nouvel ennemi, si riche et si complexe qu'elle forçait, malgré soi, l'admiration. Un peuple ennemi qui s'exprimait dans une telle langue ne pouvait que susciter le respect. Et encore, autrefois, il fallait aussi apprendre à écrire en gothique. Avec le rapprochement franco-allemand voulu par De Gaulle (lui même germanophone et germanophile), le mouvement a pris une nouvelle voie, débarrassé de la phobie qu'inspirait cette nation responsable de tous les malheurs de la pauvre France. Comme le chantait Brassens avec une belle vision d'avenir :

Que c'en est fini des querelles d'Allemands
Que vos filles et vos fils vont, main dans la main
Faire l'amour ensemble et l'Europe de demain

L'expansion ouvrait de nouvelles perspectives. Les plans quinquennaux ont fait pousser les collèges et, la paix revenue, les communes ont cherché à lier des relations avec des homologues. Pendant ces premières années de la Vième République, les professeurs d'allemand formaient l'élite du secondaire et ne se privaient pas d'en user et d'en abuser. Présents dans les conseils d'administrations, ils sont parvenus à orienter leurs établissements dans le sens de leurs intérêts. Ainsi, dans de nombreux collèges, il était tout simplement impossible d'apprendre une seconde langue autre que l'allemand. Dans un large tiers est de la France (à l'exception des Alpes du sud donc), c'était allemand première langue et, là encore, souvent sans autre possibilité.

Il a fallu une baisse des exigences imposées aux collégiens, accompagnée d'un échec que le nombre ne pouvait plus dissimuler pour que, en hauts-lieux, on impose l'option espagnol en général mais aussi italien dans les départements frontaliers. En général, l'option « espagnol débutant » en seconde a forcé la main et imposé le choix d'une autre LV 2, à cause de la pléthore de ses effectifs. Nous étions à la fin des années 1980. Il était temps de faire quelque chose. Pourquoi ne l'avoir pas fait plus tôt ? C'est que les professeurs d'allemand, ainsi que nous le faisions remarquer, siégeaient en CA. Il faudrait dire « noyautaient » les CA car leurs seules voix n'auraient pas suffi. Les bonnes relations établies avec leurs collègues leur assuraient le plus souvent l'unanimité dès que la menace était perceptible. Outre les bonnes relations normales de salle de professeurs, les enseignants d'allemand savaient aussi s'assurer des soutiens en cas de besoin. Bien sûr, il y le renvoi d'ascenseur habituel mais il y avait aussi les voyages. Rien de tel pour rallier un collègue à sa cause que l'emmener en Allemagne ou, plus simplement, l'inviter au pot de bienvenue. Ainsi, se formait un noyau germanophile dur qui imposait ses vues à l'ensemble des collègues. À partir du moment où il a fallu forcer une brèche pour venir en aide aux élèves que l'allemand mettait en échec, c'était le début de la fin, le crépuscule des dieux germains. Concrètement, les professeurs d'allemand avaient pris bien soin de baliser tout leur environnement et pas seulement professionnel ainsi que nous venons de le voir. Une fois titularisés, ils faisaient construire une maison dans les environs. Normal. Participant, comme il se doit quand on appartient à l'élite intellectuelle locale, à la vie citoyenne, ils prenaient soin d'être membres actifs du comité de jumelage avec une commune allemande. Au besoin, ils le créait, rendant ainsi une situation irréversible. Autre avantage, les petits collégiens qui partaient en Allemagne racontaient à leurs cadets comme c'était bien et, par conséquent, ça les incitaient à choisir l'allemand à leur tour ; quand ils avaient le choix. Parfois même, les parents entretenaient des relations avec les parents du correspondant et c'était très bien ainsi. Les professeurs d'allemand faisaient montre d'une redoutable efficacité – certains diront toute germanique – en jalonnant et en avançant ses pions dans l'indifférence ou l’acquiescement. Dès lors qu'il a fallu faire de la place à une autre langue, c'en était fini. Pour ainsi dire tout de suite, les titulaires se retrouvant avec moins d'heures de cours, devaient enseigner dans deux établissements, d'abord assez proches dans les meilleurs des cas, puis de plus en plus éloignés. C'est que, comme un couvercle qui se soulève enfin, les élèves se sont rués vers l'espagnol réputé plus facile. Plus facile que l'allemand, certes mais pour des ados, « plus facile » signifie simplement « facile » ; autrement dit, ne nécessitant pas d'efforts.

Bien sûr la question se pose moins dans les villes moyennes et grandes mais en zone rurale et dans les petites villes, le jumelage occupe une place importante dans la vie locale. Faute d'élèves germanistes, les comités ont vieilli puis se sont taris. Il faut bien comprendre que pour des professeurs qui se sont investis dans la vie locale, parfois en politique (si ça servait leurs intérêts germanophiles), le recul voire l'arrêt de l'allemand signifiait aussi le déplacement vers une région où l'allemand demeure l'option choisie, en général à cause de la proximité géographique. À l'heure actuelle, l'allemand se retrouve dans la même situation que l'italien en France : il n'est choisi que dans les départements frontaliers. La réforme actuelle porte l'estocade à l'allemand. Les professeur interrogés ne s'y sont pas trompés et n'ont pas pu dissimuler que ce n'est pas l'intérêt des élèves qui les préoccupe mais le leur. Ils ont fait un peu comme le Premier Ministre britannique Cameron quand il déclarait : « "L'élection à venir dans moins d'une semaine est vraiment un moment décisif pour ma carrière...Un moment décisif pour le pays".

Alors, oui, je me marre quand je vois ce formidable retour de bâton que se prennent les profs d'allemand après avoir fait la pluie et le beau temps, non seulement dans l’Éducation nationale mais aussi dans la vie locale.

Je me marre aussi que je vois les profs d'espagnols se réjouir de la popularité de la langue de Cervantès sans pour autant tomber dans l'arrogance qu'ils reprochaient à leurs antagonistes germanistes . Ils feraient bien d'ouvrir les yeux et d'admettre que c'est la fainéantise et pas l'hispanophilie qui attire les ados.

 

Passé ce moment qui peut paraître dérisoire au vu des enjeux, voyons le fond.

 

frano-allemand

D'abord, constatons que l'apprentissage de l'anglais en primaire n'a pas favorisé l'excellence dans sa pratique même simplement scolaire. Quand on voit qu'un peu avant Noël, les élèves de 6e font encore des exercices du genre « Is it a car ? Yes, it is a car. » , on peut se poser des questions. Il est vrai qu'il n'y a pas de coordination entre les programmes et que le secondaire ignore – pour ne pas dire plus – ce que les collègues de primaire ont fait. Autrement dit, ils agissent comme si leurs élèves étaient vraiment débutants. Ensuite, l'apprentissage de deux langues dès la 6e est évidemment bénéfique, surtout s'il s'agit d'une démarche volontaire, gage d' intérêt pour la matière et d'envie d'étudier. Le problème qui n'est pas signalé aux élèves (ni à leurs parents donc), c'est que, parvenus au lycée, ils se retrouvent à égalité avec les autres, ceux qui ont commencé la LV2 en 4e. Il n'existe pas au lycée de LV 1bis et la plupart du temps, la LV 1, c'est l'anglais et qu'importe si les lycéens ont un niveau en LV 2 qui dépasse largement les objectifs des programmes. Au besoin, selon les professeurs, on fera en sorte de les retenir par le maillot pour ne pas qu'ils surclassent leurs camarades. L'égalité, tu connais ? Là, il s'agit bien sûr, d'égalitarisme. Le bac est aujourd'hui tellement rigide, qu'il rend plus difficile les astuces permettant aux élèves de choisir des formules afin de privilégier leurs matières de prédilections par le jeu des coefficients.

 

Ensuite, l'apprentissage d'une deuxième langue dès la 5e cache forcément quelque chose. Il faudrait gratter un peu pour savoir quoi. Remarquons simplement que la fin des classes bi-langues et des classes européennes répond au louable souci de nivellement par le bas. En effet, avec ces formules, on avait recréé des classes de niveau afin de dégager une certaine élite, souvenir d'une école qui récompensait le mérite. L'allemand ayant la réputation d'être difficile, il ne peut qu'attirer des enfants qui ont déjà une forte personnalité capable d'assumer ces difficultés. On se retrouve, sinon entre très bons élèves, au moins entre élèves qui ne tirent pas au flanc en permanence. Plus simplement, et en oubliant un peu l'allemand, les classes européennes imposent un supplément de travail quelle que soit la langue choisie. Là encore, elles ne peuvent attirer que des élèves qui se projettent quelque peu dans l'avenir et entrevoient, même approximativement, l'intérêt de connaître les langues et les civilisations étrangères. Eh bien, justement, l'idée même que certains élèves (à travers eux, on vise leurs parents) puissent prendre les devants et donner un sens à leurs études secondaires et à la citoyenneté européenne est tout à fait intolérable pour la pensée unique et égalitariste qui prévaut. Le problème, c'est que les inégalités existent. Elles sont inhérentes dans une société humaine. L'apport des Lumières (et j'y reviens souvent), c'est d'offrir, quelles que soient les inégalités de départ, l'égalité des droits pour tous, afin de corriger les inégalités. En mettant tout le monde dans le même peloton et en empêchant les échappées (sous le prétexte de prévenir les dérochages), on produit l'inverse. On décourage les meilleures volontés sans pour autant venir en aide à ceux qui éprouvent des difficultés. De grâce, qu'on ne nous parle pas « d'accompagnement personnalisé » dans des classes de 30 élèves ! Même en demi-groupe, ça ne s'appellerait pas « accompagnement personnalisé ». Quand il est encore temps (mais il faut déjà le diagnostiquer), des parents tentent de changer d'établissement scolaire. Autrement dit, on encourage implicitement ce que le Premier Ministre a appelé « l'apartheid social » et l'on établit une concurrence qui, loin de favoriser l'émulation, suscite jalousie, haine, violence dans un pays qui connaît depuis des lustres les querelles de clochers et qui sont devenues aujourd'hui des batailles de cités urbaines voire de barres d'immeubles.

 

On devrait simplement rappeler que, depuis qu'est engagé cet égalitarisme scolaire, cette illusion qu'on a 80 % d'une classe d'âge qui a le niveau d'un bac rabaissé, le nombre d'enfants d'ouvriers et d'employés qui entrent à l'ENA est aujourd'hui négligeable. Pis, le nombre de ceux qui sortent des grandes écoles a encore diminué, augmentant ainsi la fracture sociale. Et ce n'est pas la martingale consistant à dispenser certains élèves de l'examen d'entrée à Science Po qui change la réalité : une société de plus en plus inégalitaire puisque le mérite, valeur cardinale de la République héritière de la Révolution, est chassé. Autrefois, il y a longtemps, le concours des bourses permettait aux élèves des milieux modestes de poursuivre des études secondaires. Les écoles d'instituteurs permettaient ensuite d'être payé tout en poursuivant des études supérieures moyennant un engagement de dix ans mais avec logement fourni. La génération d'après pouvait espérer exercer des études plus hautes et obtenir des postes d'encadrement. Tout ça a été balayé par le chômage de masse qui a débuté au milieu des années 1970 et qui coïncide avec la pédagogie démagogique qui s'est développée, a posé des jalons dans tous les rouages de l'administration de l’Éducation nationale au point d'en arriver à un système qui flatte la fainéantise (sans le dire évidemment), qui dévalorise voire qui insulte les efforts et le mérite. Le résultat, c'est cette École qui aggrave les inégalités et qui en produit d'autres. Le résultat c'est que les enfants des milieux défavorisés (et c'est facile d'en être avec la précarité et le chômage qui touchent tout le monde) forment un « Lumpenproletariat » qui comprend rapidement qu'on s'en sortira mieux en prospérant dans l'illégalité qu'en jouant le jeu d'une École qui interdit de reconnaître le mérite et la singularité, laisse les dominants poursuivre leur œuvre malfaisante et abandonne les dominés aux gangs.

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