Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
22 mai 2015

Bordaux sans appellation

Ainsi, on apprend que la bonne ville de Bordeaux vient de se doter d'un nouveau stade dans la perspective de la Coupe d'Europe. Fort bien. Seulement, si l'on en a parlé, ça n'était pas pour vanter la nouvelle enceinte, d'une facture tout ce qu'il y a de classique. Après tout, pourquoi pas, mieux vaut ça qu'un délire d'architecte où il faut lire un dossier épais comme ça pour comprendre les intentions et surtout se rendre compte qu'il ne sera pas adapté. Non, ce qui occupe l'essentiel des commentaires, c'est que ce nouveau stade n'a pas de nom. Ça, c'est une affaire ! On aurait pu penser que le plus grave aurait été des malfaçons, des problèmes de transports, de vent, de couverture insuffisante, que sais-je (on est au pays de Montaigne) encore. Visiblement, le classique a du bon puisque ça n'est pas le cas. On aurait pu objecter que, tant qu'à faire du nouveau, on aurait pu envisager une couverture complète du terrain, amovible, afin de pouvoir l'utiliser dans de mauvaises conditions. Broutilles ! Le plus sidérant pour la sphère médiatique, c'est que le stade n'a pas encore de nom. Nous avons déjà commenté ces histoires de « naming » pour fustiger la mode de donner des noms commerciaux, généralement liés aux assurances. Il est vrai que les assurances sont très impliquées dans le sport. Où l'on voit aussi que tous les termes à consonance anglaise sont liés au commerce, comme « naming » qui n'existe pas en anglais. « arena », nom apposé à ces marques est également typique du commercial envahissant. « arena » n'appartient à aucune langue mais présente l'avantage d'être prononçable par tous les gosiers. On imagine mal une marque devant renoncer à être citée faute d'une apposition incompréhensible par une partie des téléspectateurs du monde. Rien que « stade » est imprononçable en espagnol et prononcé très différemment d'une langue à l'autre ; problème du « s » impur, c'est à dire qui commence un mot et est suivi d'une autre consonne. « arena », ça sonne bien, ça fait international : la mondialisation, tu connais ? Stade renommé

Il faut croire qu'à Bordeaux, on n'a pas voulu faire comme à Nice où l'on a vendu ce qui restait d'âme sportive au diable du commerce ; du moins, pas encore. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c'est que la municipalité se trouve coincée pour avoir, dans le passé, agi dans la précipitation et dans l'émotion. Après la mort de l'ancien Résistant et Maire Jacques Chaban-Delmas, on a voulu lui rendre hommage tout de suite. Habitué des rencontres sportives, sportif lui-même, l'ancien Premier Ministre fréquentait assidûment les stades. Et quand bien même ne l'aurait-il pas fait, qu'on lui aurait donné le nom du stade de toute façon. Voir ce qui a été fait à Caen où Michel d'Ornano n'était pas connu pour sa silhouette sportive. Le narcissisme de notre époque est tel que, à peine l'événement achevé qu'il doit entrer dans la grande histoire des fois qu'un minimum de recul relativise l'événement ou la personne qui s'y est illustré. C'est d'ailleurs le sens de la loi qui impose un délai minimum qui n'est plus jamais respecté, comme si l'on craignait qu'on ne s'emballe un peu sous le coup de l'émotion.

Donc, les cendres de l'ancien édiles étaient encore chaudes que le Parc Lescure, bien connu des amateurs de football devenait le stade Chaban-Delmas. Du coup, ça paraît difficile de rendre hommage à un ancien ami de la cause et des valeurs sportives alors que la nouvelle enceinte aurait été tout indiquée. Il faudra donc lui donner un nom forcément moins prestigieux ou carrément commercial tandis que le nom de Chaban-Delmas va sombrer dans l'oubli ; justement ce qu'on voulait éviter. En fait, le vieux stade, servira pour le rugby, sport dont il était passionné. À ce propos, on apprend qu'il va être rénové et que sa capacité va être considérablement réduite. À l'heure où les grandes rencontres de rugby se délocalisent dans les grands stades de football pour accueillir le surplus de spectateurs, on comprend mal qu'un stade qui le peut soit amputé. Certes, pour les rencontres ordinaires, il aurait paru un peu vide mais quand même, on aurait sûrement trouvé une solution.

 

Cet épisode illustre bien l'embarras dans laquelle se trouvent les municipalités, toujours plus pressées de faire entrer les leurs dans la grande histoire, du moins celle de leur commune. Le nombrilisme local a été servi dans les années qui ont suivi l'occupation avec l'hommage rendu aux morts pour la France,Résistants et autres déportés. Ça ne posait aucun problème puisqu'il fallait reconstruire également et que nombre de rues, de quartiers, de lotissements sont sortis de terre. On n'avait que l'embarras du choix. Les municipalités communistes ont cherché à montrer chez elles les formidables réussites du stalinisme triomphant. À droite, on misait plutôt sur les généraux alors que l'armée avait mauvaise presse après les guerres coloniales. Finalement, toutes tendances confondues, on offrait à quelque ancien maire une place de choix. La Cinquième République a vu des carrières de politiciens se prolonger à l'infini. Pradel, mort dans son bureau de la mairie de Lyon, les Médecin se succédant à celle de Nice, Defferre inamovible à Marseille et d'autres moins connus qui sont morts dans les années 1980. Généralement, on leur a offert la place devant la mairie sans penser qu'un prochain édile, peut-être encore plus méritant, n'aurait droit qu'à une impasse dans un nouveau lotissement. Gouverner, c'est prévoir, disait-on avant. À travers ces anecdotes, on voit bien que ça n'est plus le cas depuis longtemps.

kossuth

Il est aussi une autre exception française, c'est de rendre hommage à des personnalités étrangères. Rien qu'à Paris, on a des artères prestigieuses pour George V, Franklin Roosevelt, Kennedy, Pierre 1er de Serbie, Alexandre III, Jean-Paul II. Kossuth (qui c'est çuilà?) occupe le carrefour Chateaudun mais personne ne l'a jamais appelé ainsi. En revanche, gare à vous si vous dites « Beaubourg » au lieu de « Centre Pompidou ». Pompidou, justement. La droite n'a aucune imagination pour la toponymie. À part les anciens maires, elle n'honore que De Gaulle et Pompidou. Rien qu'à Paris : la place de l’Étoile, l'aéroport de Roissy, le nouveau pont sur la Seine pour De Gaulle ; la voie express sur berges (il l'a voulue), le Centre Beaubourg (aussi), l'hôpital européen rive-gauche pour Pompidou. Bientôt, il y aura l'avenue de France et le musée du quai d'Orsay pour Chirac. Normal, ils ont été créés pour ça et pour lui. En revanche, on notera qu'il n'y a rien ou pas grand chose pour le Mahatma Gandhi (un allée dans le Bois de Boulogne), Einstein, Louis II de Bavière qui a pourtant refusé l'alliance avec la Prusse de Bismarck qu'il jugeait trop belliqueux, Christian X du Danemark qui a refusé que ses sujets portent l'étoile jaune.

Depuis quelques années, les Maires socialistes de Paris rendent hommage à leurs idoles du temps où ils manifestaient encore pour des bonnes causes : Mandela, Rosa-Park, Martin-Luther King, Coluche qui comme Kossuth a droit à un carrefour. On a voulu, de toute évidence, honorer des Noirs. Donc, on honore des Noirs étrangers. Rien pour Joséphine Baker, ancienne Résistante et connue pour avoir adopté plusieurs enfants d'origines diverses pour combattre les préjugés racistes.

http://www.milandes.com/mobile/josephine-baker.html

jo baker

Pas grand chose pour Senghor, pourtant ancien Ministre français et membre de l'Académie Française, premier Président du Sénégal, longtemps seul pays démocratique d'Afrique. Une petite passerelle pour lui. L'Inde a offert des obsèques nationales à Mère Térésa qui n'était même pas indienne mais le pays a jugé qu'elle avait fait beaucoup pour ses enfants. Il faut croire que l'Abbé Pierre, ancien Résistant, ancien député, combattant jusqu'à son dernier souffle pour les sans-abris ne méritait qu'un petit jardin dont il partage le nom avec les Grands Moulins. Abbé Pierre trois ans après : le temps du mépris

Toujours à Paris, on a trouvé que peu de femmes étaient à l'honneur. Qu'à cela ne tienne ! Il a été décidé que les arrêts de tram porteraient des noms de femmes célèbres au cours des dernières décennies et sans aucun rapport avec l'environnement. Rien pour Olympe de Gouge, considérée pourtant comme la première féministe : pas de boulevard, pas même un arrêt de bus.

 

Tout ça paraît grotesque, méprisant et méprisable. Si Napoléon III via le préfet Haussmann a voulu honorer l'Empire de son oncle, les décideurs d'aujourd'hui cherchent surtout à ne pas faire de vague et à paraître dans la lignée de l'antiracisme ambiant. Dégommer le dessinateur Willette pour ses dessins antisémites coûte moins cher que de protéger les juifs d'aujourd'hui des injures. Idem pour les personnalités étrangères citées dont la réputation ne fait pas polémique ici. Senghor, Nyéréré, N'Kruma auraient été contestés. D'accord, mais Joséphine Baker ? Là, on touche peut-être une autre exception française qui consiste à trouver toutes les vertus aux autres et à minimiser les nôtres. Léo Ferré, peu soupçonnable de nationalisme regrettait qu'un chef étranger ait dirigé la Marseillaise pour la cérémonie d'investiture de Mitterrand dans le Quartier Latin.

En attendant, voici un rare Bordeaux à ne pas avoir d'appellation et ça va encore faire parler.

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 663
Newsletter
Publicité