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la lanterne de diogène
10 novembre 2015

Glucksmann

Si l'on m'avait dit qu'un jour, j'écrirais sur Glucksmann...

Qu'on ne s'y trompe pas. En fait, ces quelques lignes s'inscrivent dans la continuité des pages précédentes sur les intellectuels et leur engagement. À l'époque des « nouveaux philosophes », dont Glucksmann était la figure de proue, il était possible pour des universitaires, de faire entendre leurs voix. On y adhérait ou on la combattait mais elle était entendue. Aujourd'hui, aucune autorité n'est plus reconnue. Tout est dans tout et réciproquement. Le chanteur à la mode va donner son avis sur la marche du monde (après avoir été sollicité de préférence à un philosophe) et il sera suivi ou dénigré, plutôt qu'un éditorial argumenté de la presse écrite. Le moindre chroniqueur médiatique, l'humoriste salarié d'un grand groupe médiatique, sera plus écouté qu'un intellectuel. La première chose qu'on va entendre si un philosophe prend la parole, c'est la négation de sa compétence pour traiter le sujet. On dénie la légalité morale de sa position, de son argumentation sur l'air de « on n'a pas le droit de dire ça ».

Je n'aimais pas Glucksmann. Je n'aimais pas son anticommunisme qui, parce qu'il avait été maoïste et sartrien semblait apporter l'argument décisif pour en finir avec l'Urss et avec les partis communistes d'Europe. Cet anticommunisme lui faisait prendre des positions saluées par les médias (déjà), en faveur des anticommunistes du monde entier et des victimes des régimes communistes. D'où cet engagement, qu'aujourd'hui on met en avant, en faveur des réfugiés indochinois. Cette repentance active d'un maoïste a probablement été l'acte constituant le vaste mouvement qui allait emporter l'Urss, les partis communistes et mettre fin à la guerre froide avec son cortèges de guerres par personnes interposées, un peu partout dans le monde et ses actes terroristes sporadiques.

Je me suis « réconcilié » avec la pensée de Glucksmann et son engagement lorsqu'il a pris des positions courageuses, à la fin des années 1990, quand l'Algérie souffrait de cette guerre que livraient les islamistes au pouvoir militaire algérien et à tout ce qui comptait d'intelligence dans ce pays : artistes, journalistes, écrivains, médecins. L'obscurantisme religieux prospère quand la beauté et l'intelligence sont éradiqués.

Comme il le disait lui-même, on se rallie en fonction des circonstances, de ses propres erreurs et l'on choisit celui qui va le mieux porter la parole qu'on ne peut soi-même exprimer ,faute d'accès à la parole publique. Si un peu avant l'émergence de Glucksmann sur la scène médiatique, en 1977 avec le mouvement des « nouveaux philosophes », on répétait qu'il valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron, si l'on était sommé de choisir son camp – qui était forcément le communisme, présenté comme la force de l'émancipation des peuples et le capitalisme, celle qui les opprime tous – au moins le débat était-il permis. De nos jours, toute voix dissidente du discours dominant en économie et du discours dominant sur la société est disqualifié, ringardisé, tourné en ridicule. Curieusement, ces discours dominants dans leurs champs d'application se retrouvent plus souvent qu'il n'y paraît et convergent tous deux pour étouffer la parole divergente. Ne parlons même pas de la voix du peuple totalement écartée.

 

Pas plus tard que la semaine dernière, l'Obs faisait sa une sur les nouveaux intellectuels. Sans doute espérait-il réitérer le coup des « nouveaux philosophes » de L'Express d'autrefois. L'un d'eux était l'invité du « Téléphone sonne » d'Inter. Il a emboîté le pas à ce rouleau compresseur du débat d'idées. Il a mis dans un sac étiqueté « fascistes » des personnalités comme Onfray et même Debray. Il a prédit que les Finkielkraut et autres étaient voués à disparaître comme d'autres qu'il a cités et dont on n'avait, en effet, jamais entendu parler. Bel aplomb pour quelqu'un qui n'est même pas encore apparu. Il est vrai que pour exister, il est plus facile d'exécuter les maîtres et de brûler leurs livres que de convaincre par une pensée et une argumentation supérieures.

Debray a payé de sa personne son engagement et ses convictions. Il est un des rares intellectuels à avoir été jeté au cachot, non à cause de ses écrits censurés par le pouvoir en place mais pour être passé à l'action et mis ses idées en pratique. Et puis, comme on dit en orient, il n'est pas la rose mais il a vécu avec la rose.

 

Ce que je n'aimais pas avec Glucksmann, c'est que son revirement, parce qu'il était inattendu, parce qu'il avançait à contre-courant, a été promu par les forces conservatrices pour dire : vous voyez bien que le communisme et tout ce qui est à gauche est mauvais puisque même un fervent maoïste s'en détourne et va plus loin encore que nous dans la critique. C'était cela qui m'était insupportable : revendiquer son appartenance à la gauche tout en servant des arguments à la droite et en utilisant sa puissance médiatique pour diffuser ces idées. À cette époque, avec tant d'autres, je me tournais plutôt vers l'autre gauche, anticommuniste également mais pas sectaire comme l'était devenu Glucksmann et les autres « nouveaux philosophes ». C'était la gauche qui profitait de ce laboratoire d'idées qu'était la CFDT de l'époque, celle de Descamps et de M. Edmond Maire. Quand on voit ce qu'elle est devenue... C'était la gauche qui s'exprimait dans l'hebdomadaire « Maintenant » avec d'autres communistes critiques, tel Jean Ellenstein, mais qui ne pactisaient pas avec la presse de droite et ne versaient pas dans l'anticommunisme primaire. Cette deuxième gauche était avant tout autogestionnaire, quelque peu libertaire, partisane avant tout le monde de la réduction du temps de travail et opposée aux productivistes communistes, tiers-mondiste comme on disait à l'époque et écologiste. C'était l'espoir d'un progrès, en dehors du communisme dévoyé par Staline mais qui avait droit de cité puisque refusant l'héritage soviétique et les violences des gauchistes. On a vu comment le tout nouveau pouvoir socialiste, sorti des urnes en 1981, grâce à cette deuxième gauche, s'est employé à décapiter ses figures en les faisant entrer au Gouvernement ou dans les cabinets ministériels afin de priver la base de leurs étendards. On voit où cela a conduit puisque la gauche de pouvoir (en clair le PS) a tourné le dos à son héritage prestigieux, à sa base populaire, à ses élites intellectuelles et s'est rapprochée de la pensée unique en économie sous couvert de construction européenne.

Glucksmann incarnait ces contradictions, ces hésitations, ces va-et-viens. Il s'exprimait dans l'Express de sir Goldsmith, il a réconcilié Sartre et Aron, il défendait ceux que, quelques années plus tôt, il aurait qualifiés de traîtres puisqu'ils s'opposaient aux régimes communistes inspirés par Mao, il revendiquait les Lumières mais il s'engageait auprès de M. Sarkozy candidat à l’Élysée, avant de s'en écarter. Si l'on a le droit de changer, si l'on a le devoir d'évoluer, l'on se doit de rester fidèle ou, pour le dire autrement, de rester cohérent. Son parcours atypique fait davantage penser à de l'opportunisme qu'à des choix dictés par les circonstances. On peut être amené à changer de compagnons de route, de guide, pourvu qu'on suive la foi de sa conscience et qu'on mène le bon combat. Ça n'a pas été l'itinéraire suivi par Glucksmann.

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