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la lanterne de diogène
9 janvier 2016

Parce que c'est Boulez

Décidément, ce blog va devenir une nécrologie si ça continue. Pourquoi parler de Boulez, alors ?

C'est que Boulez incarne plus que tout autre ce dont notre beau pays est capable. Voilà un musicien qui, comme tous les musiciens, cherchait à se faire connaître. Comme un peu partout les places étaient prises, il a cherché à se démarquer. Et voici qu'il « compose » de la musique à partir des mathématiques – à la manière d'un Xénakis – ou se met à faire de la musique « atonique » ; de la musique sans ton, donc. Et nos élites de s'ébaubir ! Faire de la musique sans ton, fallait y penser.

Avec le soutien de ses amis célèbres avant lui (très important d'avoir des amis célèbres), il a imposé ses vues. Dans un premier temps, il a bien eu la concurrence avec Marcel Landowski mais finalement, on l'a préféré. La droite au pouvoir cédait facilement aux pressions en matière culturelle. D'abord, parce que la droite n'a pour ainsi dire rien dans son magasin pour occuper le terrain de la culture. Ensuite, parce que ces concessions étaient une manière d'avoir la paix avec les élites de gauche. Enfin, parce que, au fond, la droite se fiche complètement de la culture.

Donc, Boulez a été rémunéré – et grassement – par l’État. Pour faire quoi ? De la musique atonique, donc, de la musique expérimentale. Il obtient de pouvoir créer une institution dédiée à la musique où il pourrait faire ce qu'il voudrait. Il ne s'en est pas privé. Il a donc touché l'argent du contribuable pour faire des recherches. Une de ses dernières trouvailles a été présentée vers la fin des années 1990. Un auditoire trié sur le volet a été convié à admirer (pas d'alternative bien sûr on aurait pu écrire les commentaires avant juste en lisant le dossier de presse comme assez souvent) le « travail » du maître et de ses disciples. La prestation a duré 2 heures. La musique en elle même n'a duré que 20 minutes… tout le reste a été consacré à « présenter le travail ». Il y avait là, quelques vingt années de recherches, peut-être plus ; tout ça pour créer 20 minutes de musique et d'une musique inaudible. Même parmi les présents, beaucoup ont trouvé que c'était un peu exagéré.

 

Le budget de la Culture, même sous Malraux, même sous Lang a toujours été restreint. Les ministres cités ainsi que les autres méritent d'entrer dans l'Histoire pour avoir réalisé des prouesses dont on parle encore, avec aussi peu de sous. Quoi qu'il en soit, nombreux sont les artistes, mêmes confirmés, qui font appel à l'aide publique pour continuer, pour acheter du matériel, pour se faire connaître un peu plus. Les créatifs ne manquent pas. En général, on leur oppose une fin de non-recevoir. Avant que « les caisses soient vides », elles l'étaient déjà pour la Culture ; à part quelques projets prestigieux et d'autres qui feraient mousser ceux qui ont lâché les pépettes. L'intérêt d'avoir un Ministère des Affaires culturelles, c'est de permettre au plus grand nombre – parfois appelé « le peuple » – d'accéder à la culture sous toutes ses formes. Avec Boulez, c'est pas vraiment le cas. Parmi les mélomanes, les spécialistes, seuls un tout petit nombre s'intéressait à ce qu'il produisait. Et c'est la gauche qui, outre la défense des artistes se doit de défendre les masses populaires qui a porté, soutenu et qui soutient encore Boulez et l'IRCAM. L'IRCAM et la musique de Boulez, c'est tout sauf populaire. Même les thuriféraires doivent se munir du mode d'emploi ( 1 heure 40 d'explications pour 20 minutes de « musique » donc) pour apprécier. Rien n'illustre mieux la primauté des intentions sur l’œuvre artistique que le cas Boulez. Rien n'illustre mieux l'apartheid culturel que Boulez : une infime minorité dans la minorité qui méprise la majorité parce qu'elle considère que la musique doit parler aux émotions et doit divertir. Écouter de la musique et danser dessus ? Ces gens sont d'un vulgaire !

Quelques années plus tard, Boulez avait refait parler de lui. Pas avec sa musique, bien entendu mais pour avoir réclamé que Paris dispose d'une salle de concert digne d'une grande capitale. À l'époque, personne ne s'est avisé de lui répondre qu'avec le pognon qu'il a touché pour lui-même et pour l'Ircam, il y aurait eu de quoi construire une belle et grande salle. Mais non ! On ne touchait pas à Boulez. C'était défendu. On peut le comprendre au prix qu'il nous coûtait. Personne pour seulement lui demander des comptes. Il est vrai, encore une fois, que le public, le contribuable, ignorait qu'une chose comme l'Ircam et sa musique pouvait seulement exister.

 

Léo Ferré qui en connaissait un rayon en musique avait choisi d'en rire sur la scène. Il tapait les touches de son piano au hasard et disait : « ça, c'est de la musique dodécaphonique ! »

Le pire, c'est que ça n'était même pas exagéré. Pour s'en convaincre, outre les vidéos qu'on peut trouver sur la toile, on lira les articles encyclopédiques consacrés à Boulez. Même à l'aide d'un dictionnaire d'usage courant (genre Le Robert) on n'y comprend rien. Il avait demandé à Jean-Roger Caussimon d'exprimer ce qu'il ressentait dans « Les spécialistes » :

 

On se sent à l'aise
Lorsque c'est Boulez
Qui s'empare de la baguette
Mais... c'est inopportun
Lorsque c'est quelqu'un
Qui "fait" dans la chansonnette
Et même pas dans le show-business!

 

et encore (tout seul cette fois) :

http://www.ina.fr/video/I00010351

 

La Musique?

Tu la trouves à Polytechnique
Entre deux équations, ma chère!
Avec Boulez dans sa boutique
Un ministre à la boutonnière

Dans la rue la Musique!

Music? in the street!

La Musica? nelle strade!

BEETHOVEN STRASSE!

MUSS ES SEIN? ES MUSS SEIN!

CELA DOIT-IL ÊTRE? CELA EST!

 ferré 4

 

 

Dans la rue la Musique!

 

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Commentaires
J
"Musique dodéCACOphonique", clamait Léo ayant tapoté les touches de son piano. <br /> <br /> <br /> <br /> En matière de musique atonale, un type vraiment génial, peu connu en France, a réussi à toucher un plus grand nombre de gens avec un minimum de mots pour un maximum de notes reprises depuis en remix par les ténors de l'electro et d'autres, plus obscurs. Je parle de Steve Reich, qui fait partie de cette école américaine de compositeurs expérimentaux qui nous a donné des Phil Glass, des John Adams, des Terry Riley, produits d'une contre-culture qui continue à exister aux Etats-Unis et qui n'a jamais vraiment réussi à percer dans notre pays ultra-conservateur. <br /> <br /> Boulez, les sous-produits de l'Ircam et les avatars de l'école de Vienne n'ont jamais concerné que la minorité de snobinards parisiens qui a l'habitude de s'extasier devant les coûteuses "installations" de l'Art contemporain officiel fossoyeur de l'art et des artistes non dûment réseautés. Et les cadors de France-Musique, qui ont réussi à marginaliser cette radio et contribué à faire de la musique classique un joujou élitiste pour chochottes surfardées. Mais ça, c'est un autre débat. <br /> <br /> <br /> <br /> C'est enfoncer une porte ouverte que de le dire, l'existence d'un ministère de la Culture implique une approche officielle de la culture avec ce que cela suppose d'arbitraire. Mais là-dessus, je préfère vous renvoyer à cet article, plus explicite que je ne saurais le faire : <br /> <br /> <br /> <br /> https://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113<br /> <br /> <br /> <br /> Pour en revenir à Léo, et donner à cerner aux plus jeunes d'entre nous ce que pouvait être un artiste à l'époque où ce terme avait une signification que les assauts conjugués de la politique de Djack Lang et des médias mainstream ont bel et bien enterrée, rappelons qu'à la fin des années 40, Léo galérait à Paris où il donnait des récitals dans d'obscures salles devant des publics d'initiés au bouche-à-oreille. Un soir, à l'issue de son récital, Léo est abordé par un inconnu, qui lui dit être comme lui monégasque. Un certain Rainier Grimaldi, de passage à Paris, à qui Léo dit : j'ai un oratorio, voulez-vous l'entendre ? Rainier suit Léo chez lui, une sinistre masure qu'il partage avec Madeleine sa première épouse. Là, Léo se colle au piano et joue et chante l'oratorio "De sacs et de cordes" devant le nouveau venu. Lequel mettra à sa disposition, quelque temps plus tard, la salle de concert du casino de Monte Carlo où sera créée l'oeuvre, mais sans grandes retombées. Ce n'est qu'un peu plus tard que l'oratorio sera recréé dans une version radiophonique avec Jean Gabin comme récitant, sur les ondes de Monaco-Radio, où Léo est employé comme chroniqueur météo. <br /> <br /> La suite, on la connaît, faite de hauts et de bas. Léo rapporte qu'à certains moment, il se rendait à la Sacem toucher ses droits, une somme de 50.000 francs de l'époque, début des années 60, avec quoi il lui fallait vivre toute une année. Ensuite, les reprises de certaines de ses chansons, la reconnaissance enfin par les radios et la télé de l'époque, hyper-étatique, où seule une certaine Denise Glaser se distinguait des vendeurs de "musique-savon-à-barbe" qui déjà foisonnaient sur les antennes, ont permis au talent de cet artiste de s'épanouir et de nous offrir des oeuvres incomparables et à ce jour inégalées. <br /> <br /> <br /> <br /> Partis de rien, partis de peu, les Brel, Greco, Picasso, Frédéric Dard, Louis Calaferte, étaient d'une époque où l'artiste vivait son art comme une vocation, qu'importent les galères qu'elle lui imposait (on se souvient du dialogue surréaliste entre Henry Miller et celui qui avait épousé l'une de ses compagnes et qui se targuait de bien gagner sa vie en vendant des aspirateurs tandis que Miller, dont il reconnaissait le talent, était à la rue). <br /> <br /> <br /> <br /> A des années-lumières de nos "produits culturels" estampillés Canal, de nos filles et fils-de, de nos écrivains émargeant dans l'Enseignement et de nos artistes plasticiens et compositeurs voués à un public confidentiel mais dûment subventionnés, séjour offert à la villa Médicis quand ils ont su réseauter efficacement.
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A
Bien vu ! tellement apprécié que j'ai repris un extrait sur mon blog (avec lien vers ton article evidemment) en l'intitulant, méchamment je le reconnais, "BOULE(T)Z" !<br /> <br /> Maintenant, dans la série des nécros, je demande la carte Bowie...
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