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la lanterne de diogène
2 mars 2016

J'attends le film Inter

J'avais prévu de me moquer des annonces pour les films Inter mais en fin de saison, au moment de faire le bilan. Seulement, à l'occasion du remplacement du chroniqueur Daniel Morin par l'humoriste Frédérick Sigrist, je vais en dire quelques mots avant de lui tirer mon chapeau.

 

Je mets le lien maintenant car il s'agit de la vidéo (ah la vidéo à la radio!) et l'on pourra l'écouter tout en lisant la suite.

http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-daniel-morin-les-cesars-2016-bonjour-tristesse

Depuis quelques mois, Inter a décidé de labelliser aussi des films étrangers en V.O. Par conséquent, au moment des annonces et autres publicités (très peu nombreuses à l'antenne d'où le succès de la chaîne nationale), une voix en anglais sort du poste tel un diable de sa boite. Parfois, une autre répond et l'on comprend qu'il s'agit d'une scène enregistrée. Petite musique de fond, voix-off (comme on dit en bon français) pour résumer la situation. Poursuite du dialogue en anglais et titre du film décliné par la voix-off dans un anglais prononcé à la française à couper au couteau. Ça donne dernièrement [zeu reuvnantte]. Le tout avec une intonation d'un sérieux qui tranche avec le comique de la situation. Mais comme on est sur Inter, on ne rit pas sauf dans les espaces prévus à cet effet.

 

frédérick sigrist

Voici que mon attention a été attirée par la chronique de Frédérick Sigrist lundi 29 février juste avant 7 h :

« Cette année, le palmarès des Césars 2016 en France était placé sous le signe de la joie, de la bonne humeur et de l’allégresse. (…) On aurait pu appeler, ça, ce palmarès : bonjour tristesse ! César du meilleur acteur pour Vincent Lindon dans « La loi du marché ». (musique lente pour accompagner le résumé) Alors, rien qu'au pitch, on sent qu'on va pas se taper le cul par terre, quand même, hein. En même temps, Vincent Lindon, un film Inter : on aurait pu se douter... »

Tout est dit en une ligne. Film Inter = film ennuyeux, prise de tête garantie, déprime assurée. 2 mots seulement pour traduire. Quand un film sort avec le label « film Inter », on peut être sûr qu'on « va pas se taper le cul par terre » mais qu'il ne peut s'agir d'un divertissement. Même quand on prévient qu'on a affaire à une « comédie hilarante et bouleversante » , on peut être sûr qu'on va pas se marrer mais que le but sera de louer les intentions de faire rire car il serait malséant de rire dans des films aussi sérieux réalisés par de si grands cinéastes …

Revoir mes articles précédents sur les « intentions ». Le slogan de la station devrait être : Avec Inter, écoutez les intentions. Au moins, quand Mme Eva Bettan critique un film, elle insiste sur les qualités esthétiques et ne fait pas appel aux sentiments des auditeurs. Elle est passionnée par son métier et essaie de nous transmettre cette passion. Comme au micro, elle a beaucoup d'humour, elle n'hésite pas à se moquer de son goût prononcé pour les films asiatiques et, bien sûr, en VO. Les autres n'ont pas cette hauteur. D'où le décalage de plus en plus marqué entre la présentation des films, l'annonce du « film Inter » et ce qu'on voit vraiment à l'écran quand, par malheur, on se laisse aller jusqu'à payer sa place au cinéma. Le plus fort, c'est que ça marche ! Inter proclame fièrement (on peut penser que la bande avait été enregistrée d'avance) : « 10 César, 9 Oscar. Les films Inter ont brillé ce week-end des deux côtés de l'Atlantique. ».

 

C 'est dire si le mal est profond « des deux côtés de l'Atlantique ». C'est ce que va démontrer Frédérick Sigrist qui avait bien annoncé la couleur dès le début : des acteurs riches récompensés pour jouer les pauvres. La pauvreté, ça fait des films poignants et ça met bien en valeur les acteurs.

« Alors, méfiez vous, Eric, Catherine parce que quand vous nous parlez des horreurs de ce monde, il y a des scénaristes en France, qui se disent, en vous écoutant : ah tiens, ça ferait un bon film !

Non mais, on est étrange en France. On est insensible au sort des migrants de Calais mais on va pleurer à chaudes larmes si Omar Sy en joue un. On trouve que les chômeurs sont des assistés mais on est bouleversé quand l'un d'entre eux s'appelle Vincent Lindon. Finalement, les gens ont la même réactions face à la misère que quand on leur conseille de lire un livre. Ils te répondent : je préfère attendre le film. »

Là, ça va loin et il serait bon qu'on retienne cette formule comme on en a retenu d'autres avant (genre : on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui). C'est le paradoxe des Français en général, des intellos en particuliers et surtout ceux de gauche. La génération qui ne se mobilisait, dans les années 1990, que lorsqu'on parlait d'une cause à la télévision est aujourd'hui adulte et installée dans la vie. Elle n'est bouleversée qu'à partir du moment où l'on fait un film avec un sujet qui devrait empêcher de dormir et mobiliser tout le monde. Voir des personnes allongées dans les rues devrait déranger. Voir des boites annoncer des bénéfices exceptionnels devrait déranger au-delà des syndicats qu'on est prié de considérer comme ringards, savoir que des gens quittent leurs pays non pas pour demander de l'aide (ils n'en sont plus là) mais pour vivre à l'abri des bombes, des tortures et de l'esclavage devrait nous bouleverser, voir autant de personnes privées d'emploi devrait nous bouleverser. Or, il n'en est rien. On passe devant les gisants emmitouflés dans des haillons, on proteste mollement contre les licenciements, on feint de voir une invasion de terroristes dans les hordes de réfugiés, on croit que « quand on veut, on peut » trouver du boulot. Il faut des films pour attirer l'attention. Attirer l'attention mais toujours pas mobiliser ! Loin s'en faut encore. « Indignez-vous ! » qu'il disait…

Nous avons une classe politique qui vit hors-sol, en dehors de la réalité vécue par une grande partie de la population, toujours plus nombreuse. Nous avons des personnes qui gagnent bien leur vie, qui affichent des goûts artistiques, qui lisent et vont au cinéma mais pour qui la misère, le chômage, la guerre, ne sont que des thèmes de réflexion sur lesquels ils sont intarissables. On les appelle affectueusement ou péjorativement les « bobos ». Nous avons toute une frange conservatrice qui pense que tout irait mieux s'il y avait une autorité et si l'on en revenait à l'économie du 19e siècle, d'avant les congés payés et la Sécurité Sociale et qu'il faudrait obliger tout le monde à travailler (même pour rien) mais surtout ne pas obliger les patrons à embaucher. Que de contradictions, que de paradoxes dont souffre une partie de la population qui ne sait plus vers qui se tourner pour avoir une protection ou simplement une voix, un semblable avec qui se réconforter un peu ! La machine tourne sans eux. Non seulement ils sont sans voix, sans revenu (ou presque) mais en plus ils se sentent, non pas inutiles – ça serait encore bien – mais en trop. Ils survivent dans un monde parallèle qui ne rencontre jamais les précédents sauf quand on fait un film « bouleversant » sur l'un d'entre eux.

 

Rappel de la formule à savoir par cœur et à balancer à la moindre occasion :

 

« Face à la misère les Français répondent comme quand on leur conseille de lire un livre :

je préfère attendre le film. ».

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2016/01/24/33260583.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2015/01/08/31278925.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2016/01/15/33225779.html

http://rue89.nouvelobs.com/blog/balagan/2009/02/27/frederick-sigrist-ou-la-dure-vie-dun-humoriste-a-paris-90407

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