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la lanterne de diogène
20 mars 2016

Régionalisation (6) : le temps des sarcasmes

En France, on ne peut rien faire normalement ni simplement. Autrefois, l'idée même de régionalisation était inconcevable. De Gaulle l'a appris à ses dépens, même si l'on peut penser qu'il aurait été poussé vers la sortie d'une façon ou d'une autre. Seulement, on ne répond jamais à la question posée lors d'un référendum mais à celui qui la pose. Ainsi, les formations et les personnalités qui avaient voté contre la régionalisation et contre la réforme du Sénat ne pouvaient plus, dans les années qui ont suivi, changer d'avis aussi vite et les soutenir. La gauche a pourtant dû faire passer la décentralisation et la régionalisation vu que ses principaux soutiens étaient pour. Seulement, outre qu'on a strictement encadré l'affaire en ne touchant pas au découpage régional en place, on s'est bien gardé de donner un véritable pourvoir aux nouvelles Régions. Alors, les chefaillons locaux et nouveaux suzerains ont usé et abusé des seuls pouvoirs qui leur étaient octroyés. Ils se sont fait construire des Hôtels de Région, nouveaux châteaux-forts des temps modernes. Rien n'était trop cher. Seulement, leur culture générale et leur ignorance encyclopédique étaient (et sont) telles qu'ils n'ont vu dans les attributs du pouvoir que la superficialité. Les châteaux-forts étaient loin d'être luxueux mais souvent inconfortables. Ils étaient construits pour assurer la sécurité de la population. De même, les impôts servaient à la construction et à l'entretien des routes à une époque où les déplacements relevaient de l'expédition dont on ignorait l'issue. Au lieu de renforcer les symboles régionaux et de porter l'effort sur les infrastructures pour attirer les entreprises et l'emploi, sources de revenus et de fiscalité, les nouveaux hobereaux ont donc construit des palais et payé des cabinets pour dessiner des logos (souvent des cœurs) et inventer une identité de toute pièce. Pas étonnant que la conscience régionale ne soit pas encore une réalité quand la conscience départementale l'est. Chez nos voisins, quand on change de région (quel que soit son nom ou ses pouvoirs), le panneau indicateur s'accompagne aussi d'un net changement de l'état des routes. C'est à ça qu'on voit le changement. En France, les panneaux s'ajoutent les uns aux autres sans qu'on voie la différence.

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Dernier épisode en date de la régionalisation et de la perversion qui accompagne chaque étape dans notre beau pays où l'on ne fait rien de ce qu'attend la population mais où on lui impose tout ce dont elle ne veut pas : les noms des nouvelles régions. On avait pris les devant et prévenu les Occitans, par exemple, qu'ils n'auraient aucune chance de voir leur entité enfin prendre forme. Pourtant, qu'est ce que cette région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, sinon l'Occitanie ? Ce serait trop simple. Refus de toute appellation à caractère identitaire ! Il n'y aura pas d'Occitanie alors qu'il existe pourtant l'Alsace, la Bretagne, la Corse et dans une moindre mesure (car la conscience régionale est nulle) la Bourgogne, la Normandie, la Champagne ou la Picardie. On ne savait pas le PS si attaché à la méthode révolutionnaire consistant à donner des noms géographiques de préférence aux noms historiques qui rappelleraient l'ancien régime. Surtout que, dans le même temps, tout l'édifice territorial de la Révolution est dynamité, de la centralisation jacobine aux Départements encore en sursis et la Commune qu'on vide, sans bruit, de sa substance.
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2016/03/20/33538912.html
Las, la première assemblée régionale à se prononcer sur son nom n'a pas déçu les persifleurs. C'est même une performance, une prouesse, un succès, un exploit, un triomphe. En quelques jours, la nouvelle Région est devenue la risée de toute la France. Les quolibets fusent, les ricanements grincent, les moqueries s'amplifient. La Région Nord-Picardie est devenue « Les Hauts-de-France » ! On fait remarquer que le reste du pays est alors en bas. D'autres suggèrent qu'ailleurs on dise « à droite » ou « à gauche ». Et le centre alors ? D'autres encore pointent l'ignorance de la grammaire la plus élémentaire parmi les membres de l'auguste assemblé. « Auguste » pris dans le sens circassien du terme, évidemment. On aurait choisi ce terme pour ne froisser aucune des susceptibilités. C'est un peu comme les billets d'€uro, pour ne vexer personne, ils ne représentent rien et donc personne ne s'y retrouve. Bravo, formidable, bravissimo !
Comme si la mesure n'était pas déjà à son comble, il a fallu qu'on s'aperçoive qu'une association de nudistes avait déjà pris ce terme et pas mal d'autres qui l'ont déposé également. Nous faisons souvent remarquer ici que la mémoire individuelle et collective est particulièrement déficiente. Par conséquent, on a oublié (mais pas les élus régionaux visiblement) que, au milieu des années 1980, le Conseil Régional de Nord-Pas-de-Calais avait déjà voté le changement de nom et opté pour « Les Hauts-de-France ». Seulement, le changement n'a jamais été officialisé par les autorités centrales compétentes. Exit, donc, les « Hauts-de-France » sauf que certains, sur place, ont voulu conserver l'appellation. Trente ans plus tard, on y revient mais la force des médias est telle que personne ne peut plus l'ignorer. Là où l'affaire n'avait pas dépassé les limites de la Région, c'est devenu une affaire nationale. Et quelle affaire ! Tout le boulot, tous les résultats positifs – et pour tout dire inespérés – du film de Dany Boon « Bienvenu chez les Chtis » est balayé par des gens dont c'est la mission première et l'honneur de défendre leur région. Alors que toute la France et au-delà s'était émue à la projection de ce film et avait adhéré au mode de vie des gens du Nord, à leur simplicité et à la fraternité qui inspire leurs actes, voici que tous les préjugés défavorables refont surface et qu'ils passent pour des crétins alors même qu'ils n'y sont pour rien puisque ce sont leurs représentants qui sont responsables. Nul doute qu'ils ne feront pas machine arrière mais qu'ils vont payer cher un cabinet de communication pour rattraper le coup.

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On attend avec impatience et, maintenant, avec amusement, ce que les autres régions vont nous concocter. Espérons que, instruits par la lamentable affaire des Hauts-de-France, ils sauront éviter le pire et opteront pour un nom sobre ou historique. On s'était moqué de Georges Frêche quand il avait voulu transformer « Languedoc-Roussillon » en « Septimanie » mais au moins il n'avait pas idée de nommer sa chère Région « Les Bas-de-France ». En fait, malgré leurs dénégations, les Français sont attachés aux noms technocratiques. Sur une des cartes jointes, l'auteur a ironisé avec « truc où y a des montagnes » pour Auvergne-Rhône-Alpes. Pour avoir, à la fin des années 1970, établi une carte régionale qui tentait de tenir compte des réalités économiques et culturelles, j'avais trouvé le nom de Région « des Montagnes » pour une partie de cet ensemble tant les montagnes en sont la caractéristique principale. Attendons.
Toujours est-il ces histoires relèvent de l'enfumage. Ça n'intéresse pas grand monde et l'on ne demande pas l'avis des historiens et des artistes locaux qui auraient leur mot à dire sans que ça coûte un centime. La Révolution avait demandé au poète Fabre d’Églantine de trouver les noms des mois du calendrier et il s'était fort bien débrouillé. Maintenant, ce sont les publicitaires qui ont le dernier mot juste après des élus d'abord soucieux de leur ré-élection.
Cette histoire montre surtout l'impossibilité qu'il y a en France à maintenir la démocratie locale avec ses communes et à rapprocher les administrés de leurs centres de décisions et à les entendre.
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