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la lanterne de diogène
31 août 2016

Variations sur "L'enfant seul" d'Oxmo Puccino

Cet été, j'ai eu l'occasion de rencontrer un garçon de dix/douze ans. Il était en vacances avec la partie de sa famille qui l'était aussi et à tour de rôle. On fait ce qu'on peut. Un garçon plein de vie, bronzé, espiègle et débordant d'affection pour sa toute petite sœur d'à peine un an. Plus de dix qu'il attendait ce moment où il ne serait plus seul à la maison, seul dans sa chambre après le dernier bisou de ses parents en éteignant la lumière. Cette petite sœur, avec laquelle il ne peut communiquer qu'avec des embrassades et ses gestes de tendresse, il est peu de dire qu'il l'attendait. Pour le moment, elle est le réceptacle de l'amour qu'il porte et qui n'avait pas de destinataire jusqu'alors. Un amour qui déborde comme un vase trop plein qui rejette le surplus par terre sans que l'eau précieuse ne serve. C'est dire s'il était joyeux, enflammé et, parfois, un peu trop sûr de lui ; comme si, désormais, plus rien de désagréable ne pourrait lui arriver. Oui, car, désormais, il ne sera plus tout seul pour affronter la vie et ses déconvenues et il a tant à lui montrer. Il marche avec cette « amie qui lui ressemble », pour reprendre les très beaux mots de Maxime Leforestier. Il sait aussi qu'il doit être plus fort pour défendre sa petite sœur et lui éviter les obstacles qu'il a rencontrés avant elle. L'amour, ça marche dans les deux sens.

https://www.youtube.com/watch?v=d40sUi3oW_o

 

T'es comme une bougie
Qu'on a oublié d'éteindre dans une chambre vide,
Tu brilles entouré de gens sombres voulant te souffler
Celui qui a le moins de jouets
Le moins de chouchous
Celui qu'on fait chier

 Avant de connaître cette effervescence, il a dû en avaler des larmes, tant l'enfance est parfois cruelle, malgré les dénégations des adultes qui regardent dans le rétroviseur, avec la condescendance suffisante de celui qui considère qu'il n'y a d'autre problème qui vaille que ceux des adultes et qui se résument à payer, encore payer, toujours payer et être emmerdé par un chef, un flic, un conjoint, parfois, hélas. Un petit être qui n'a pas beaucoup vécu a les problèmes qui correspondent à sa taille et à son vécu. L'enfant seul subit la double peine. Que dis-je, double, la multiple peine. À la solitude, s'ajoutent toutes les autres. La réciproque est vraie : aux diverses contrariétés, s'ajoute la solitude ; comme si ça n'était pas assez.

 

Mes mots s'emboîtent les gens s'y voient comme
Dans une flaque d'eau, ça leur renvoie un triste reflet
Mais est-ce ma faute ?
T'es l'enfant seul c'est pas facile, on se comprend
Peu l' savent
Que je le sache ça te surprend.
Il mate par la vitre la solitude qui le mine

 

À chaque fois, l'enfant seul, non seulement connaît, éprouve la solitude – tu sais ce que sais, toi, la solitude ? – mais en plus, il se voit reprocher en permanence d'être seul.

Fais-toi des petits camarades ! Ne reste pas dans ton coin ! Ça c'est pour la bienveillance mais avec des mots maladroits qu'on dit sans en mesurer la portée. Sinon, le plus souvent, ce sont les variantes de : je veux pas que tu restes dans ton coin à glandouiller ! Il aimerait bien sortir de son coin, l'enfant seul, mais il ne connaît que ça et il se sent désarmé pour aller vers l'autre. L'autre, il sait pas ce que c'est, l'enfant seul. Il sait pas comment lui parler. Il ne connaît pas bien ses semblables. Il connaît surtout les adultes et parmi eux, ceux qui passent un peu de leur temps avec lui. La littérature, le cinéma, abondent d'histoires d'enfants seuls qui ont senti un main chaleureuse sur leur épaule. Alors, trouver un semblable, un autre enfant (seul ou pas) qui lui-même n'ose pas affronter le monde, c'est vraiment dur-dur.

 

L'enfant seul ne s'ennuie pas. Très vite, il peuple son univers. Il s'invente des amis, joue avec eux, part à l'aventure, rejoue les histoires qu'il a lues. Selon son humeur, l'enfant seul est le plus fort et il défend ses amis imaginaires ou bien, il s'allie avec ce qui lui manque le plus, en fait, un défenseur, un protecteur, un justicier. L'enfant seul adore les justiciers, encore plus que les autres. D'abord, le justicier est seul. Ça fait un point commun, et non le moindre. Ensuite, il combat tous les avatars de l'injustice. L'injustice, l'enfant seul sait ce que c'est. La première des injustice, c'est « cette solitude si dure et si rude qu'on peut la toucher » (Lavilliers). En combattant les injustices, ou plutôt en prétendant combattre les injustices, c'est une façon de se révolter et de combattre la première des injustices, celle qu'il subit : la solitude. Ses parents sont pas seuls. Ils sont deux. Ils ont des amis (parfois), des voisins, des collègues. Mais lui, l'enfant seul, il est tout seul. Et en plus, on le lui reproche tout le temps. Ah, c'est bien un fils/une fille unique ! Tout qu'il dit, tout ce qu'il fait, qu'il ne fait pas, est ramené à sa condition d'enfant seul. Les adultes ne parlent pas d'enfant seul. Ils ont leurs mots à eux pour éviter d'avoir à se poser des questions ; et lesquelles ? Adulte, on sait pas tout non plus. Quoi qu'il fasse, l'enfant seul est ramené à sa condition de « fils unique/fille unique ».

 

T'es l'enfant seul
Je sais que c'est toi
Viens-tu des bas-fonds
Ou des quartiers neufs ?
Bref, au fond tous la même souffrance

 

Tout le jour, les enfants le passent loin des leurs. Ils vont à l'école. Les parents vont au boulot ou restent à la maison. En tout cas, ils ne se voient pas. Pendant les vacances, on pourrait croire que les choses vont mieux. Ça ne dure jamais longtemps. Très vite, l'un et les autres reprennent leurs habitudes. Quand ils se retrouvent, l'enfant seul déborde de joie. Il est tout content de retrouver ses parents. Il frétille. Il est volubile. Il commence à raconter tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a pensé. Et ça en fait à raconter. Très vite, on ne l'écoute pas. Qui ça peut bien intéresser les exploits imaginaires d'un gosse qui a passé la matinée ou la journée tout seul dans son coin ? Lui, ne connaît d'autres alliés, d'autres récepteurs que ses parents. Il raconte. Il est intarissable. Alors, c'est le début d'une suite de répliques, immuables. Il parle, l'enfant seul. Pour une fois qu'il est pas seul, qu'il a un auditoire, que tous ceux qu'il aime le plus sont réunis, on lui répond : dépêche-toi de finir de manger, tu fais que parler et ça refroidit, on attends que toi, tu permets qu'on s'occupe de ta petite sœur/frère, attends qu'est-ce qu'ils disent à la météo pour demain, tu débarrasseras ton assiette, allez dépêche-toi il faut qu'on parte, qu'on nettoie. Non seulement l'enfant seul est resté tout seul mais, en plus, on ne veut pas écouter ce qu'il a fait. Qu'est-ce qu'il a bien pu faire, d'ailleurs, puisqu'il est resté tout seul ? Lui, l'enfant seul, il a essayé de raconter ce qu'il a fait. Il a essayé de dire qu'il a existé pendant que les autres étaient occupés. Il a existé, il a vécu, l'enfant seul. Il existe, l'enfant seul. Il a voulu raconter sa matinée, sa journée d'enfant seul mais personne n'a envie d'entendre ça. Qu'est-ce qu'il a pu faire ? Ah, il est resté toute la matinée, toute la journée sur sa console, sa tablette ! Alors, faut pas qu'en plus, il vienne nous raconter qu'il a fait quelque chose. Il a glandouillé et c'est tout. Autrefois, c'étaient pas les consoles ou tablettes qui servaient de refuge à l'enfant seul mais les bouquins. Ça valait pas mieux, surtout si c'étaient des bandes-dessinées. On a dit pareil avec la télé : « Il reste toute la journée devant la télé à rien foutre ! ». Tu ferais mieux de ! De quoi, au fait ? Pour faire ce qu'il ferait mieux de, il faut un autre, un partenaire. L'enfant seul, il en a pas. Et quand il a des jouets (et il en a comme les autres, on n'est pas dans Dickens), quelle atroce révélation quand il se rend compte qu'il ne peut pas jouer avec car il est tout seul !

 

Quelle que soit l'époque, l'enfant seul est mal vu. On n'aime pas le solitaire. On aime croire qu'il reste tout seul par détestation des autres alors qu'il n'est tout simplement pas ou mal accepté par les autres. On aime croire (parce que c'est plus arrangeant de le croire) que l'enfant seul veut être seul, aime être seul, ne veut pas aller avec les autres alors qu'il en crève d'envie ou qu'il n'a, tout simplement pas, les codes, les instruments, pour se mêler aux autres. La société veut pas en entendre parler de l'enfant seul, même et surtout si elle l'appelle l'enfant unique. La preuve, on n'accorde pas d'alloc aux parents d'enfant seul. Pourtant, tout le monde sait que c'est le premier enfant qui coûte cher. Et s'il n'en vient pas d'autre, il coûtera toujours cher et ça aussi, on le lui reprochera ou bien il s'apercevra qu'il n'a pas le même potentiel que les autres.

 

Et les filles ? Les filles, elles sont curieuses, elles veulent savoir, elles parlent. Alors, elles vont, peut-être, plus facilement vers l'autre mais beaucoup n'ont que leur poupée. Et elles leur en racontent… Parfois, c'est un animal en peluche et elle imagine qu'il va prendre vie, à force d'invocations et de tendresse et qu'il va la défendre, la protéger car elle se sent encore plus vulnérable que le garçon. Dans un univers féminin tout en paroles, l'enfant seul, la fille seule est encore plus rejetée et elle rêve encore plus du prince, charmant ou pas d'ailleurs, mais le mec qui va briser sa solitude. Et elle est prête à donner encore plus que le garçon seul, « des choses pour oublier / Des choses qu'il y a qu' les filles pour vous y faire goûter / Des choses qui font qu' la peine elle est douce à passer ». L'amour, ça marche dans les deux sens.

 

L'enfant seul c'est l'inconnu muet du fond de classe
Celui de qui l'on se moque, rond comme
Coluche, ou le boss dans le hall, au groupe
Massif l'os dans le steak haché plantant
Chaque postulant à un poste,
Vu que les conneries de gosse des rues couvrent
Souvent un jeune qui souffre d'un gros gouffre affectif
Grandir sans père c'est dur
Même si la mère persévère
Ça sert mais pas à trouver ses repères c'est sûr !

 

Parfois, on est enfant seul parce que le frère ou la sœur est trop différent. Différence d'age importante, différence de sexe, de caractère. On peut être enfant seul dans une fratrie comme on peut être seul au milieu d'une foule ou seul dans un repas entre collègues pour peu qu'on n'ait pas envie de parler boulot à table ou qu'on ne rie pas aux plaisanteries du boute-en-train. Parfois, et c'est le cas de ce garçon, arrive l'être tant attendu. C'est toi que j'attends depuis longtemps ! Oh, bien sûr, c'est pas le langage des enfants mais il le montre dans chaque regard, dans chaque geste. Ses regards, ses gestes, ses sentiments étaient quelque part, enfermés comme les vents d’Éole avant de se répandre avec force un fois libérés. Comme dit le poète, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. C'est pas comme dans les feuilletons TV où tout le monde dit « je t'aime » à tout le monde. Ça vaut rien, ça. L'enfant seul, il sait pas le dire mais ses mains savent les gestes qui font du bien à l'autre.

 

On pourrait croire que, pour ce garçon, c'est la fin de la solitude. Oui, et en grande partie mais, déjà, il apprend que c'est la petite sœur (en l'occurrence), qui monopolise les adultes. Non seulement, pour lui, on n'a fait que le minimum syndical mais en plus, à présent, on va lui faire payer ses années de tranquillité forcée. Occupe-toi de ta sœur, habille ta sœur, je peux pas tout faire. Tout sera sa faute, désormais. Tout ce qui arrivera à sa sœur sera dû à une négligence du grand frère. Lui qu'on a laissé tout seul, trop souvent tout seul, il ne devra jamais laisser sa petite sœur toute seule. Il l'aurait fait bien volontiers et sans qu'on lui demande, spontanément, instinctivement, affectueusement mais, quand ça devient une contrainte, c'est pas pareil. L'injustice, il connaissait déjà. Il lui faudra beaucoup de force pour continuer d'aimer sa petite sœur qui lui cause, sans le vouloir, ne nouveaux griefs.

 

Nous savons tous que personne ne guérit de son enfance
Même un torse poilu ne peut oublier sa vie de
Gosse du divorce rossé par son beau-père.
L'enfant seul c'est toi, eux, lui, elle
Oxmo Puccino voix de miel

 

L'enfant seul, il est seul toute sa vie et toute sa vie on lui reproche d'être ou d'avoir été seul. La multiple peine : demeurer seul et se l'entendre reprocher. Ah, t'es fils/fille unique, alors t'es égoïste, tu partages pas, t'es pas des nôtres. Ben non, il partage pas. Partager quoi et avec qui ? Il aimerait partager « Les mots d'amour et les pavés / Les filles et les coups de matraque » (Maxime Leforestier. Alors, il garde tout dans le silence de sa solitude. L'enfant seul, il est pas né au bon moment et il s'en rend compte toute sa vie. L'enfant seul, il doit se cacher pour vivre.

 

enfant seul

 

T'es comme une bougie
Qu'on a oublié d'éteindre dans une chambre vide,
Tu brilles entouré de gens sombres voulant te souffler

T'es l'enfant seul
Je sais que c'est toi

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Commentaires
L
« des choses pour oublier<br /> <br /> Des choses qu'il y a qu' les filles pour vous y faire goûter<br /> <br /> Des choses qui font qu' la peine elle est douce à passer »<br /> <br /> <br /> <br /> est extrait d'une chanson du regretté François Béranger sur les prisons
Répondre
E
Un beau texte très touchant !
Répondre
A
Tu viens de me faire penser et revivre des tas d'évènements et de circonstances où je suis en scène, moi-même ou mes enfants. Je ne sais pas encore si je dois t'en remercier...En tout cas on ne peut pas je crois sortir de ton article tout-à-fait comme on y est entré. La désinvolture n'est pas de mise. Amitiés.
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