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la lanterne de diogène
12 septembre 2016

Claude-Jean Philippe pour le plaisir

Je vous parle d’un temps etc.

C’était du temps où se cultiver était facile, fastoche. La télévision, déjà si décriée par ailleurs, était indigente. Trois chaînes seulement. c’était pépère. Pour se cultiver, s’instruire, il suffisait d’attendre que la première série d’émissions soit terminée. Ça se faisait vers 21 h 30. Une speakerine venait alors nous dire ce qu’on allait voir. Après l’éclatement de l’Ortf, à l’été 1974, les nouvelles chaînes, devenues indépendantes les unes des autres n’avaient eu pas trop le temps d’innover. Il fallait l’ouverture d’esprit et l’immense culture des Julian et Chancel, qui débordaient d’idées en permanence, pour proposer, dès le 2 janvier 1975 des émissions originales ou pour améliorer celles existant avant. Ainsi, « Ouvrez les guillemets » de Pivot et Lapouge est devenue « Apostrophe », émission devenue culte, quand ce mot voulait encore dire quelque chose et avant que Pivot ne dérive vers le débat parisien, cultivant un entre-soi qui faisait vendre des livres mais pas aimer la littérature. Or, juste après, vers 22 h 30, commençait le « Ciné-Club » qui existait déjà du temps de l’Ortf. En fait, non. Le Ciné-Club commençait après le dernier journal télévisé mais, Claude-Jean Philippe – car c’était lui – débarquait sur la plateau de l’émission phare de la culture écrite, pour annoncer le film qu’il avait envie de nous montrer. Dernier journal, donc, un dernier « Aaaa ! 2-2-2-2-2 ! » sur fond de pomme et l’on entendait les premières note du limonaire « à vous faire chialer tant et plus » (J-R Caussimon) sur fond de vieilles photos en noir et blanc, comme quand on entrait dans un cinéma avant de prendre son ticket. Les cinéphiles les reconnaissaient tous et les autres, quelques uns seulement. Gabin, bien sûr, dans « La Bête humaine », « Le septième sceau » de Bergman, Fellini, Chaplin, Orson Wells. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il nous susurre : « Rosebud » à propos de ce générique qui a marqué des générations de cinéphiles et de simple amateurs de bon films. Oh, c’étaient pas des films « prise de tête », c’étaient pas des « films Inter », ennuyeux comme la pluie. C’étaient de vrais bons films, avec des grands acteurs ou pas, des histoires bien ficelées, des plans inoubliables, des répliques cultes. Le tout, sans prétention aucune que celle de passer un bon moment sans s’abêtir, et de permettre au populo de regarder un vrai bon film sans avoir à se taper les débats pédants des ciné-clubs de quartiers. c’était un temps où l’on ne se payait pas de formules telles que « populaire et de qualité », généralement pour désigner ce qui n’est pas du tout populaire et dont la qualité se réduit souvent à l’ennui que ça procure. C’était populaire ; forcément quand il n’y a que trois chaînes, le populo regarde ce qu’on lui propose et il aime bien, le populo, quand on lui sert la même chose qu’aux élites et qu’il est pas obligé de rester devant son écran jusqu’à 1 h du matin ou de payer un abonnement pour voir des choses bien.

Heureux temps, encore une fois, où il était facile de se cultiver dès 21 h 30 puis 22 h ou 22 h 30. Nous, les lycéens, nous commentions, le lendemain l’émission que nous avions suivie. On apprenait des trucs et ça nous servait à argumenter nos dissertations. C’était facile. Les profs avaient regardé aussi. La culture pour tous, ça avait un sens ! Ça donnait envie d’aller voir d’autres bons films, de comparer, d’affiner son esprit critique. Et si ça nous servait pas, c’était pour le plaisir. Oui, pour le plaisir !

 

Oui, bon, je sais que ça fait « vieux con » de raconter ses vieilles histoires, ses souvenirs, de dire que c’était mieux avant. Chaque époque a ses avantages. Simplement, « avant » donc, il était facile, à la portée de tous, de posséder une bonne culture générale sans trop d’efforts. Simplement, « avant », on ne marchandait pas ses apprentissages. On ne répondait pas, quand on ne savait pas quelque chose, « à quoi ça sert de savoir ça ? ». Oui, à quoi ça sert de connaître le cinéma d’Orson Wells, d’Autant-Lara, de Verneuil, de Carné, de Ford, d’Antonioni, de Visconti, de Truffaut ? Oui, à quoi ça sert d’aller au théâtre voir comment les auteurs d’autrefois critiquaient la société dans laquelle ils évoluaient ? Oui, à quoi ça sert de lire des bouquins qui sont pas au programme du bac ? Et à quoi ça servira après ? À rien ! « C’est encore plus beau quand c’est inutile » (Rostand).

Surtout, ça embellit la vie de connaître des choses belles, même si l’on ne s’en sert pas dans son métier, ni dans sa vie quotidienne. Quand on voit l’inhumanité de notre société, comment ne pas penser aux « Raisins de la colère », vus au Ciné-Club de Claude-Jean Philippe ? Comment ne pas se dire qu’on est revenu (en était-on vraiment sorti?) en ces temps de mépris ? Comment ne pas se dire que des générations incultes (c’est pas leur faute), parce qu’elles n’ont pas exercé leur esprit critique, sont manipulables à merci ? Comment ne pas être triste en constatant que la dissertation de culture générale a disparu de l’épreuve de français du bac au profit de simples questions de cours auxquelles on peut répondre même sans bien connaître le cours ? Comment ne pas être effrayé en observant qu’il vaut mieux ne pas être cultivé pour trouver du boulot – même et surtout dans les filières culturelles – car un salarié cultivé pourrait en savoir plus que ses supérieurs et ça mettrait le bordel dans le service ? Non, mieux vaut choisir parmi la masse de ceux qui ont appris juste ce qui va leur servir pour le poste qu’ils occupent. À quoi sert d’être cultivé, de connaître les grands et beaux films pour poser des câbles électriques ? À rien, bien sûr, sauf que peut-être, la connaissance de la beauté induit le goût du travail bien fait. À rien, bien sûr, sauf qu’on peut se dire toute la journée que, après le boulot, on va se régaler en allant voir un bon film ou en terminant le bouquin qu’on a ouvert la veille. Ça sert à rien, parce que c’est pas mesurable, c’est pas quantifiable, c’est pas évaluable. C’est un peu comme le soleil. Il brille pour tout le monde (à condition de pas travailler enfermé) et donc, si tout le monde y a droit, ça vaut rien. Ça sert à rien. Ça sert à rien de savoir ça.

 

Claude-Jean Philippe

Claude-Jean Philippe, c’était « ça » justement : montrer des films et regarder des films pour le plaisir. Et il n’était pas le seul. Je citerai l’autre, Patrick Brion et son « Cinéma de minuit » qui lui aussi a vulgarisé les grands et beaux films et les a mis à la portée de tous. La culture, la beauté, ça doit être à la portée de tous.

Merci Claude-Jean Philippe, merci Patrick Brion, et un petit coup de limonaire ! Marrant comme on revoit le film de sa vie, comme on se revoit en train d’attendre le film du Ciné-Club en entendant ça ! Clap de fin !

https://www.youtube.com/watch?v=zipM50_XjTM

 

http://php88.free.fr/bdff/act.php?ID=1584

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Commentaires
A
Il faisait partie de ces gens qui pratiquaient en toute simplicité "l'élitisme pour tous" cher à Jean Vilar. Y en a-t-il encore de cet acabit-là ?
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S
Ce serait quoi, un auteur sans lecteur, un écrit vain ? Ça servirait à quoi, vraiment à rien ? Alors juste un passage, un mot de St Nazaire, un rien, pour dire que ça sert, et rien.<br /> <br /> Enfin si, une chose : merci.
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